A quelques mois de l’élection présidentielle de 2019, c’est la grande inconnue, en ce qui concerne les potentiels challengers du président Macky Sall. Seul Idrissa Seck se détache, pour le moment, du lot. Karim Wade, candidat déclaré du Pds, absent du pays, Khalifa Ababacar Sall étant en train de se battre pour une liberté hypothétique.
Que d’incertitudes ! A quelques encablures de l’année électorale 2019, l’opposition se cherche toujours. Vendredi dernier, elle était dans la rue. Mais force est de constater que la déferlante humaine tant promise n’a pas eu lieu. En lieu et place, c’était de petites vagues, peu suffisantes pour ébranler le palais. Etaient à la tête de cette rencontre, Oumar Sarr du Parti démocratique sénégalais, Mamadou Diop Decroix d’Aj/Pads, Abdoul Mbaye, Président de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail, Déthié Fall, n°2 de Rewmi, Pape Diop de Bokk Guiss Guiss, Mamadou Lamine Diallo (Tekki), Thierno Alassane Sall, Amsatou Sow Sidibé, les “khalifistes’’ Bamba Fall, Barthélemy Dias, entre autres.
Voilà, à quelques exceptions près, les têtes de gondole de l’opposition présentes à la marche nationale. Parmi eux, rares sont les dirigeants qui contrôlent ne serait-ce qu’une collectivité. Et leur envergure ne dépasse guère les limites de leur territoire communal. Aussi, il faut le dire, aucun candidat potentiel “sérieux’’ n’était présent sur les lieux.
Même si la plupart n’auront pas le réalisme et la modestie d’Aliou Sow, Président du Mouvement des patriotes pour le développement (Mpd/Liggey) qui s’est auto-exclu de la bataille de 2019. Interpellé sur sa candidature à la prochaine élection présidentielle, l’ancien ministre des Collectivités locales disait ceci : “Je me veux réaliste. J’ai dépassé le moment où je dois me présenter pour me faire connaitre. Il n’y a pas un coin dans ce pays où je n’ai pas mis les pieds quatre, six ou sept fois, menant des activités étatiques, économiques… au profit des populations… Je suis convaincu que pour 2019, je ne suis pas encore prêt, à moins qu’il se produise une chose extraordinaire…’’
Ainsi compte-t-il, réaliste, différer sa candidature à 2024 et accompagner à la prochaine présidentielle le candidat qu’il pense être “le meilleur, le plus utile, le plus performant, le plus rigoureux pour mettre de l’ordre dans ce pays’’. Mais, à y voir de plus près, certains se demandent même s’il n’y a pas une pénurie de candidats sérieux pouvant faire la différence en 2019. Ce n’est pas l’avis du professeur Moussa Diaw. Toutefois, le politologue consent que l’opposition soit obligée de revoir sa copie, si elle veut faire une participation honorable aux prochaines élections.
“Il faut savoir que la bataille de 2019 se gagne dès maintenant. Et le moins qu’on puisse dire est que la majorité a une avance sur l’opposition. Ils ont un bilan à présenter. Ils n’ont pas de problème de candidat. Du côté de l’opposition, je pense qu’ils sont un peu en retard. En dehors d’Idrissa Seck qui est en train de sillonner le pays, je pense que les autres trainent un peu les pieds. Et ce n’est pas comme ça qu’ils parviendront à créer des difficultés au régime. Ils risquent d’avoir de grosses surprises, s’ils ne se ressaisissent pas le plus rapidement possible’’. Et que faire pour réussir une troisième alternance au Sénégal ? Le politologue trace la voie. “D’abord, il faut construire un projet politique à soumettre aux populations.
Les élections, c’est demain. La campagne doit commencer maintenant. Et la majorité l’a bien compris. C’est sur le terrain que doivent répondre les opposants avec une offre politique concrète. Ainsi seulement pourraient-ils se présenter en force alternative’’, indique l’enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint Louis. Mais, au préalable, il va falloir résoudre l’équation du candidat, ou des candidats. Dans un contexte marqué par les exclusions programmées de Karim Wade et éventuellement de Khalifa Ababacar Sall, qui pour représenter le Pds ? Qui pour porter la candidature de Mankoo ? Bref, qui pour faire face à Macky Sall ?
Le Pds, un corps sans tête
Depuis sa création en 1974, le Parti démocratique sénégalais n’a jamais été confronté à une situation aussi ubuesque.Tentantvaillequevailled’imposerl’illusiond’unecandidatureimpossible.Celledufilsdesonsecrétairegéné- ral Abdoulaye Wade. Deuxième force politique du pays, l’ancien parti au pouvoir devra forcément revoir sa démarche, si elle veut revenir aux affaires, selon le politologue Moussa Diaw. Ses forces et faiblesses, l’enseignant chercheur les passe au crible.
“Le Pds, en voulant coûte que coûte imposer Karim Wade, est en train de perdre du temps. On ne le sent pas sur le terrain. Ils sont plus dans les batailles politiciennes. Or, l’espace politique sénégalais a connu de profondes mutations. Ce n’est pas par les batailles médiatiques que l’on arrive à convaincre les Sénégalais. Ce n’est pas par les thématiques politiciennes qu’on parvient à convaincre. Il faut une offre politique valable. A ce rythme, le Pds risque de tomber dans son propre piège’’, analyse-t-il.
Toutefois, il ne faut pas vendre la peau du Pds avant de l’abattre, semble prévenir le spécialiste. Comme aux dernières législatives, beaucoup avaient voué la formation politique de Me Wade aux gémonies. Mais, à l’arrivée, elle s’est imposée comme deuxième force politique du pays. Selon Moussa Diaw, le Pds, malgré ses multiples handicaps liés à sa dislocation, son défaut de candidat, reste une force non négligeable. Ce qui s’explique par son ancrage social, sa présence sur l’ensemble du territoire, en plus du dévouement de ses militants.
Néanmoins, ceci n’est pas suffisant, si l’on en croit toujours le politologue. Encore faudrait-il élaborer un projet de société, descendre sur le terrain et trouver un candidat alternatif… Ce candidat de substitution, selon M. Diaw, ne doit pas forcément être issu des flancs du parti. “Il aurait été intéressant, pour le Pds, de se surpasser, de se trouver un candidat jeune, dynamique et nouveau. Un candidat qui pourrait porter un discours nouveau auprès de l’électorat qui se renouvelle. Pourquoi ne pas aller chercher un candidat neutre qui pourrait même venir de la société civile ? Voilà ce qui leur manque. Un candidat qui, au-delà de leurs militants, pourrait leur permettre de capter de nouveaux électeurs. Malheureusement, je ne crois pas qu’ils le comprennent ainsi’’. Quid d’Idrissa Seck ?
L’enseignant chercheur est pessimiste quant à un alignement du Pds derrière le président de Rewmi, dès le premier tour. “Ce dernier, en effet, explique-t-il, compte beaucoup d’adversaires dans le parti de Me Wade. Mais il ne faut jamais dire jamais’’, renseigne-t-il. Ainsi, selon l’expert, le Pds gagnerait à se trouver un candidat autre que Karim dans les plus brefs délais. Idrissa Seck et la tentative de résurrection Pendant que la validité du candidat du Parti démocratique sénégalais se pose avec acuité, le Rewmi, lui, semble bien tenir son candidat, en la personne de son président. Plusieurs fois donné pour “mort’’, l’ancien maire de Thiès refuse de baisser les armes.
Dans sa quête permanente du Graal, Idrissa Seck ne compte guère baisser les bras. Plus que jamais déterminé, il est en train de faire sa mue. De plus en plus éloigné de l’image d’un homme condescendant qui lui collait à la peau, il est en train de sillonner le pays de long en large. Dans sa pérégrination, il n’épargne aucune contrée, il a été même dans les fiefs du président de la République, du Premier ministre et du président de l’Assemblée nationale, à la pêche de nouvelles voix. Peut-il arrivé à renverser la tendance ? Moussa Diaw donne son opinion : “ En politique, tout est possible. Il y a toujours possibilité de rebondir.
Le contexte change. Les rapports de forces aussi. Mais il faut d’abord avoir un projet et je pense que lui, contrairement aux autres membres de l’opposition, en est conscient. Il a bien analysé la situation. Et il sait que la meilleure manière d’élaborer un programme est d’écouter les populations, en vue d’élaborer un projet qui tienne compte de leurs préoccupations. Il est dans la bonne direction, on le voit très actif sur le terrain, enthousiaste, avec beaucoup de motivation.’’
Toutefois, ses principaux adversaires, ce sont les départs dans son parti, les erreurs commises par le passé… Le politologue minore ces effets. “Pour ce qui est des erreurs commises par le passé, cela lui a coûté très cher. Mais je pense qu’il a réussi à rectifier le tir. Quant aux défections dans son parti, il faut relativiser.
Dans sa démarche, on voit une nouvelle orientation axée sur les Sénégalais et non plus sur les capacités de ses collaborateurs. Il est en train de se battre et de se positionner comme principal alternative crédible’’.
Selon Moussa Diaw, Idrissa Seck peut fédérer plusieurs forces de cette opposition, mais il a peu de chances avec ses anciens frères du Pds.
Ousmane Sonko, le candidat vierge
Vendredi dernier, lors de la marche de l’opposition, son absence a été des plus remarquées. Lui, c’est Ousmane Sonko. En un laps de temps, il a réussi à imposer son nom parmi les leaders les plus en vue de l’espace politique. Contrairement à la plupart des membres de l’opposition, il a aussi l’avantage de n’être mêlé à aucun scandale.
En le radiant du prestigieux corps des inspecteurs des impôts et domaines en août 2016, le président de la République Macky Sall était peut-être loin de se douter qu’il pourrait être l’un des hommes politiques qui lui donnerait le plus de tournis. Toujours aussi acerbe, cohérent et très critique vis- à-vis du régime, Sonko s’est frayé son propre chemin dans le landerneau politique. Au milieu des fauves, il a pu tracer son propre chemin. Une voie construite en marge d’un système qu’il dit combattre avec beaucoup d’engagement.
De l’avis de M. Diaw, il peut certes créer des sensations, mais sans un appareil fort, les choses vont être difficiles pour lui. “Son principal problème, c’est que son parti est jeune. Il leur manque un ancrage social fort, dans tous les espaces. Mais cette jeunesse constitue en même temps son avantage. De ce fait, il n’est trempé dans aucun scandale lié à la gouvernance. Les autres potentiels candidats, y compris ceux de l’opposition, ont un passé qui peut leur être préjudiciable’’. Mais Sonko devra se lever tôt pour surmonter l’équation des parrainages pour ne pas subir le même sort que Youssou Ndour en 2012.
Outre ces leaders, l’autre bloc de l’opposition qui n’a toujours pas son candidat, est celui des partisans du maire de Dakar. Ces derniers, selon le professeur, sont obligés de se ranger derrière un leader, au cas où leur mentor serait exclu de la course. Pour le professeur Moussa Diaw, il est difficile, pour l’un quelconque de ces candidats, de créer des difficultés au président Sall. La candidature unique est donc, selon lui, la voie du salut.
A l’en croire, cette dispersion des forces n’est pas à l’avantage de l’opposition. Le politologue estime qu’il aurait été plus avantageux pour la minorité de s’entendre autour d’un candidat unique. Un candidat qui soit en mesure de porter un nouveau discours. Ainsi, à un an de l’élection présidentielle, l’opposition donne l’impression d’être une force sans locomotive. Ses principaux leaders (Karim Wade, Coalition gagnante, et Khalifa Sall, Mankoo Taxawu Senegaal) étant mis hors course ou en voie de l’être, l’on ne sait toujours pas quelle alternative les opposants au régime actuel vont présenter au peuple pour faire face à la majorité, plus que jamais soudée derrière son leader, le président de la République Macky Sall. Se prononçant sur la dernière marche de l’opposition, Moussa Diaw explique qu’on ne saurait parler d’échec.
“Il y avait quelques ténors de l’opposition. Ce qu’il faut plutôt se demander, c’est si cette manifestation a permis de dégager une vision commune, de mener le combat ? C’est cela la grande question. Je crois que le principal obstacle, pour l’opposition, se situe à ce niveau. On ne voit pas, pour le moment, la construction d’un bloc pour la préparation de la présidentielle’’. Vaste programme !