Au moment où la recomposition de la classe politique se profile à l’horizon des échéances électorales prochaines, sur fond de défiance à l’égard de l’élite politico-financière et dans un contexte économique ardu, il est permis de s’interroger sur les enjeux que recouvre l’émergence d’Ousmane Sonko et la place de plus en plus emblématique qu’il occupe sur la scène politique. Sans se livrer à un décryptage systématique de son ascension, sans doute prématuré, on peut toutefois s’accorder sur quelques observations susceptibles d’apporter un éclairage sur sa popularité.
Au plan interne, la fascination dont fait l’objet la personnalité de Sonko dans toutes les couches de la société est sans doute le reflet de longues frustrations accumulées. Celles-ci se nourrissent des faits répétés de corruption banalisées, du sentiment d’impunité des élites, du délitement des mœurs dont l’une des expressions les plus achevées au plan politique est la transhumance érigée en norme nationale. A cela s’ajoute l’entre soi et l’arrogance d’une certaine élite affairiste, supposée de surcroît inféodée aux intérêts géostratégiques de puissances étrangères, etc.
Sur la scène politique, le vide laissé par l’élimination perçue comme arbitraire de candidatures jugées sérieuses aux prochaines élections présidentielles offre un nouvel espace à conquérir que Sonko a vite occupé. En effet, les analystes politiques convergent pour considérer l’invalidation des candidatures de Karim Wade et de Khalifa Sall comme relevant d’une évidente instrumentalisation de la justice. Les peines infligées à des adversaires politiques suscitent un profond sentiment d’injustice au sein de la population.
Par ailleurs, les réseaux sociaux et les médias ont joué un rôle d’amplification particulièrement réussi dans la diffusion et la propagation de ses idées qui, par un effet balançoire, se bonifient du discrédit des élites et notables du pays. Les sorties parfois vigoureuses des nouveaux snipers de la toile, nonobstant la forme parfois agressive et injurieuse de leurs propos, ont probablement contribué à démystifier le pouvoir abusif et la supercherie de certains caciques politico-religieux du pays.
Le candidat semble s’inscrire dans une démarche volontariste de modernisation de l’espace politique. En s’imposant l’exigence de rédiger sa vision et de la soumettre à la critique, il insuffle une nouvelle pratique appelée à faire des émules. L’articulation équilibrée de son discours sur les thématiques sociale, économique, diplomatique et de la bonne gouvernance séduit par sa clarté et renforce sa réputation d’homme intègre, compétent et courageux. En effet, à son niveau de popularité, rares sont les candidats qui osent aborder avec tant de clarté et sans détours la question des relations internationales déséquilibrées qui lient les pays africains francophones à la France. Ce credo de sa politique contribue également à renforcer sa notoriété, particulièrement auprès de la jeunesse assoiffée d’idéale de liberté et laissée en totale déshérence.
Sa particularité se mesure également à l’aune de sa bivalence, sa capacité à incarner à la fois la modernité et la tradition. Il manie avec dextérité la modernité lorsqu’il se montre au diapason des questions économiques les plus actuelles et dans sa stratégie de communication millimétrée dans la blogosphère et les médias sociaux, alors que son ancrage dans les traditions socioreligieuses apparaît dans sa façon de paraître et d’être, mais aussi dans ses thématiques de prédilection sur l’éthique républicaine. Alors qu’une certaine postmodernité s’évertue à décrier l’éthique religieuse au nom du relativisme, Sonko vogue à contrecourant en réaffirmant la nécessité de la morale en politique. Son modus operandi n’est pas sans rappeler à plusieurs égards l’ascension fulgurante de Barack Obama et encore plus récemment celle d’Emmanuel Macron.
En revanche, l’offre politique qu’il incarne n’est pas pour autant nouvelle. Son génie est moins dans l’originalité de ses propositions que dans son courage et sa capacité à rassembler dans un discours cohérent et argumenté des idées progressistes nées de la longue marche d’émancipation des peuples d’Afrique. Le refus du néocolonialisme, la moralisation de l’espace politique, l’assainissement de l’environnement économique sont autant de thématiques déjà portées par les organisations progressistes dès les premières heures de l’indépendance, à l’image du RND de Cheikh Anta Diop et des partis d’obédience communiste. Si la plupart de ces mouvements n’ont pas prospéré, c’est probablement parce qu’ils s’inscrivaient très souvent dans des idéologies très marquées, notamment du sceau du marxisme léninisme, dont la connotation anticléricale pouvait rebuter une frange non négligeable de la société sénégalaise fondamentalement religieuse.
Ces circonstances ont sans doute concouru, à des degrés divers, à l’émergence du candidat Sonko. S’agit-il d’une tendance lourde appelée à s’amplifier ou la manifestation d’un épiphénomène politique ? Toujours est-il qu’il suscite inquiétude et crainte dans le landernau politique. Les accusations de fondamentaliste religieux qui lui sont portées n’ont en vérité aucun fondement sérieux. Rien dans son programme politique, ni dans ses déclarations ne laisse transparaître une intention de rupture avec le caractère laïc de la constitution actuelle ni une quelconque opposition avec le soufisme confrérique dominant au Sénégal. Au contraire, son intérêt pour la religion semble plutôt séduire de nombreux électeurs, qui voient dans son attitude et ses croyances une garantie de probité morale et intellectuelle, au moment où la corruption banalisée et le délitement des mœurs gangrènent toutes les couches de la société.
Toutefois, quelle que soit la confiance qu’on peut aujourd’hui lui accorder et qui se fonde sur un faisceau d’actes posés, le désenchantement n’est pas à exclure dans le cadre d’une réflexion sur l’éventualité de son élection. Il n’est pas écrit sur du marbre que le candidat tiendra ses promesses une fois installé dans la fonction douillée et jouissive de Chef d’Etat. A l’épreuve du pouvoir et du sentiment de puissance consubstantiel aux régimes hyper présidentiels comme celui du Sénégal, combien d’élus à la fonction suprême ont pu résister au sentiment de profonde satisfaction qui effleure très souvent leur égo ? Le peuple sénégalais est coutumier de la trahison des élites dont l’ingéniosité, la versatilité et le machiavélisme sont portés à des niveaux époustouflants. Des exemples de très haute voltige sont légion. Ce constat invite à plus de prudence et surtout à plus d’exigence à l’égard de tout candidat.
Pour renforcer sa crédibilité, mais aussi pour dissiper les doutes légitimes de nombreux soutiens potentiels, il lui importe de décliner l’agenda de ses trois premiers mois de magistrature, dans l’hypothèse de son élection, comme il est d’usage dans les démocraties avancées. A ce titre, les réformes institutionnelles majeures et ardues, dont celles qui avaient fait l’objet d’un large consensus au moment des assises nationales, doivent être rapidement mis en chantier. Il s’agit notamment de :
S’attaquer à L’hypertrophie du pouvoir présidentiel, dont les excroissances tentaculaires sapent les bases de la démocratie et de la bonne gouvernance ;
Renforcer le pouvoir du parlement, notamment dans ses prérogatives de contrôle de l’action gouvernementale ;
Soutenir l’indépendance de la justice, aujourd’hui fortement assujettie au pouvoir exécutif ;
Garantir la liberté de la presse pour assurer un solide ancrage de notre système démocratique ;
Réhabiliter les instances de luttes contre la corruption qui ronge toutes les institutions et entrave fondamentalement le développement du pays.
Au plan international, la renégociation des accords déséquilibrés sur le pétrole et le gaz s’impose comme préalable à la normalisation des relations avec les multinationales concernées. Les ressources supplémentaires susceptibles alors d’être mobilisées pourraient opportunément soutenir les réformes envisagées. En portant cette préoccupation au cœur du débat électoral, Sonko fait preuve d’un volontarisme politique qui tranche avec la servilité volontaire ou contrainte de nombreux dirigeants.
La question du franc CFA est symptomatique de la condescendance et de la domination franche et directe exercées sur les pays africains, comme cela n’existe nulle part ailleurs dans le monde. Cette domination se renforce de la complaisance et de la capitulation des élites promptes à disserter sur les avantages d’une monnaie sous contrôle au mépris de tout bon sens et de la dignité élémentaire de toute nation souveraine. En s’inscrivant dans la rupture, Sonko est en phase avec les aspirations des peuples africains. Toutefois, Il ne doit pas mésestimer les risques de déstabilisation voire d’assassinat qui ont jalonné l’histoire tumultueuse et violente encore vivace de la françafrique. Même si la décision de reformer le CFA est une priorité, son exécution requiert deux préalables pour se prémunir de toute forme de subversion. A l’échelle nationale, un large consensus entre les acteurs politiques doublé d’une forte adhésion populaire sont de nature à conforter la position gouvernementale et à se prémunir de toute tentative de déstabilisation à partir de l’intérieur. A l’échelle sous régionale voire continentale, des alliances sont à bâtir au sein de l’UMOA voire de l’UA pour collectivement construire une monnaie commune africaine débarrassée de toute tutelle étrangère. Espérons que les initiatives actuelles au sein de la CEDEAO ne soient pas des manœuvres dilatoires destinées à retarder encore plus la nécessaire réforme du franc CFA. L’évolution des rapports distordus Nord-Sud, en particulier au sein de la françafrique, est une nécessité non seulement pour les pays du sud mais aussi pour les pays du nord qui subissent de plus en plus violemment les effets boomerang de leur politique à l’égard du Sud.
Le Sénégal est à un tournant décisif de son histoire. Les élections présidentielles prochaines présentent un enjeu capital. Les récentes découvertes minières et pétrolières, loin de susciter un élan patriotique pour le progrès, déchainent au contraire la voracité prédatrice d’une partie de l’élite politico-financière. Au-delà de sa forme séduisante, et en dépit des risques possible de désenchantement, l’offre politique incarnée par Sonko semble la plus cohérente, la plus à même à opérer les ruptures tant espérées, non seulement au plan de la gouvernance politique mais aussi pour le développement socio-économique du pays. L’ampleur des difficultés à surmonter et les défis parfois périlleux à relever supposent un véritable élan patriotique et une mobilisation de toutes les forces vives de la nation. Ce constat suggère une démarche inclusive de rassemblement et un solide leadership du candidat du PASTEF.
PAR Dr Bamba Sakho
Expert International en Education
Bamba.sakho111@gmail.com