L’hivernage pourrait être très rude pour le Président Macky Sall et sa majorité. Aux classiques difficultés de la période, (pénuries d’eau, d’électricité, hantise d’un déficit pluviométrique, dysfonctionnement dans la mise en œuvre du programme agricole), viennent se greffer des éléments conjoncturels, politico-judiciaires d’une toute autre ampleur. Sans doute, une meilleure performance de l’équipe nationale de football du Sénégal au mondial de Russie eût pu amortir le sentiment ambiant de frustration, voire produire des effets revigorants et triomphateurs en faveur du camp présidentiel. Comme, le Président en fanfaronnade, dans les rues de Dakar en 2002, après la belle prestation de la bande à El Hadji Diouf. Mais l’absence des lions de la Téranga au second tour de la coupe du monde, pourtant largement à leur portée, n’a au bout du compte que fait monter la moutarde au nez des Sénégalais tentés par la déception à la suite d’un rendez-vous, une nouvelle fois, encore raté
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Résultat des courses, le football véritable religion dans notre pays ne remplira même pas sa fonction cathartique, pour détourner les esprits et les attentions des difficultés existentielles relayées opportunément par les opposants dans un contexte politique si chargé. L’élimination très précoce, de nos clubs locaux de football et de nos équipes nationales dans les autres disciplines (basketball entre autres, exception faite de la la lutte) prive la majorité de lot consolation auquel les politiques, si prompts à prendre les trophées sportifs pour des victoires politiques chercheraient s’accrocher comme à un adjuvant.
Que reste-t-il alors au Président Sall, pour pouvoir canaliser les mécontentements de l’opposition et des citoyens confrontés aux rigueurs hivernales ? L’annonce d’un retour probable ces délestages de l’électricité du fait des retards de règlements des créances de l’état estimées à 235 milliards de FCFA, constitue une nouvelle source de psychose au moment où le déficit de production de l’eau accentue le malaise social dans la banlieue dakaroise. Pour une fois encore, l’état mauvais payeur est indexé, car l’administration, reste devoir à la SDE et à la Sones, la bagatelle de 45 milliards et de surcroît éprouve beaucoup de difficultés à honorer ses créances annuelles d’environ 22 milliards. La mise en œuvre de la première phase du Plan Sénégal Emergent laisse un goût d’inachevé.
Après une étape réussie de mise en orbite, les transformations structurelles annoncées ne suivent pas le rythme espéré. La CMU projet phare, bien que bénéficiant d’une bonne acceptabilité sociale, voit ses impacts amoindris par les créances non payées de l’état aux structures de santé au bord de l’asphyxie. Les travaux d’infrastructures risquent de connaître des retards et même, des ablations notamment le TER, du fait de nombreuses entraves, liées à la mobilisation des fonds, des problèmes récurrents de l’estimation et du paiement des impenses. L’indemnisation des personnes affectées par les projets aussi bien sur l’autoroute Ila Touba que la voie ferroviaire électrique sont sources de fortes dissensions et de récrimination populaire constante.
La carte d’égalité des chances ne couvre pas encore les espérances des bénéficiaires de plus en plus nombreux et impatients.
Le ciel de la majorité est noir d’incertitudes. Les nuages sombres s’amoncellent au-dessus d’elle. Paradoxe, c’est dans un contexte lourd de menaces, que des responsables de l’APR s’illustrent par une animosité particulièrement violente. Entre Moustapha Cissé Lô et Farba Ngom, le thermomètre relationnel a sauté tellement la tension est forte au sein de l’APR. Le tonitruant médiateur de la République Alioune Badara Cissé a rangé aux vestiaires son obligation de réserve, pour décocher des flèches assassines contre ses frères, n’épargnant même pas le Président Sall. Au même moment, les alliés socialistes et progressistes comptent les coups et rient sous cape. Ils observent avec délectation leurs alliés qu’ils accusent de boulimiques de pouvoir. L’affaire du Prodac sur laquelle, la justice et le gouvernement, observent un étonnant mutisme, empeste le climat dans le parti apériste et en dehors. Certains réclamant de bon droit une action judiciaire plus rapide et plus conséquente, pour déceler les réalités et les auteurs de cette ignominie de mauvaise gouvernance.
L’opinion d’une manière générale comprend mal l’arrogance de l’ex-ministre de l’emploi, (actuel dépositaire du département du Tourisme), plastronnant sur les plateaux de télévision, après rocambolesque un scénario de vraie fausse démission. Cette démonstration d’impunité renforce le sentiment largement partagé d’une justice à deux vitesses, exigeante et coercitive contre les opposants, bienveillante et aveugle pour les proches du pouvoir.
Ce ressentiment reste prégnant même quand Karim Wade et Khalifa Sall subissent- les foudres de la justice pour avoir été reconnus coupables d’écarts graves dans la gestion des affaires publiques. L’indice de victimisation leur profite, parce que tout simplement le camp résidentiel ne subit pas les mêmes rigueurs de la loi. Autant Karim Wade a perdu ses droits civils et politiques du fait de la lourdeur de la sanction judiciaire, autant le député–maire de Dakar aurait dû bénéficier de l’arrêt de la Cour de Justice de la CEDEAO. Et même bien avant. Mais, le rétropédalage du Procureur Lansana Duby Siby et l’autoritarisme du Président la Cour d’appel Demba Kandji ressemblent bien à des dénis de justice.
Le geste symbolique de Khalifa Sall, officiellement candidat à l’élection présidentielle de février 2019, est certes un dernier baroud d’honneur. Mais, ses effets sur l’image de notre démocratie pourraient bien embarrasser la majorité. Surtout s’il maintient sa stratégie de boycott des délibérations, à la suite de la défaillance de ses avocats. Cette démarche pourrait bien vider la poursuite du procès de son sens.
Cet enchevêtrement d'événements met incontestablement le Président Sall dans une position inconfortable. Jusqu'ici, en dépit des nombreuses et délicates péripéties sociales, politiques et judiciaires, le Président avait réussi à rester le maître du jeu. De ces pièges, il s’en est sorti presque sans coup férir ou presque. Mais il semble que la multiplication des candidatures indépendantes, la surchauffe politique marquée par la réussite de la marche du 12 juillet et de la campagne de dénonciation chez les chefs religieux et coutumiers accentuent la pression sur le Président Sall, sans soutien de poids dans son propre camp. En fin tacticien, le Président Sall est dans la posture du champion de boxe poussé dans les cordes, qui encaisse les coups, en attendant, d’asséner un contre fatal à ses adversaires plus que jamais déterminés à aller jusqu’au bout de leur résistance.
Mettra t-il un pied à terre ? Quelle est sa marge de manœuvre face à la montée des frustrations, qui fusent de partout. De retour de vacances sitôt annoncées, sitôt raillées, le Président, tel un boulanger submergé aura, assurément, beaucoup de pain sur la planche. C’est le moins qu’on puisse dire !