Monsieur le ministre, j’ai préféré m’adresser à vous sous la forme d’une interpellation ouverte pour deux raisons. Ce format épistolaire présente le double avantage d’avoir, d’une part une dimension pédagogique (peut-être une prétention de ma part) et d’autre part une valeur testimoniale par rapport aux citoyens pris à témoins. La présente ne s’adresse ni ne s’intéresse à la personne d’Ali Ngouille NDIAYE en tant qu’homme et simple citoyen, même pas en tant que responsable politique membre de l’APR.
Monsieur le ministre, par la présente, je vous interpelle par rapport à vos responsabilités publiques, en votre qualité d’homme politique investi de la confiance du Chef de l’État pour prendre en charge le Ministère de l’Intérieur et de la sécurité publique. Un ministère de souveraineté très stratégique devant assurer la protection de notre intégrité physique, celle de nos biens et surtout devant garantir la stabilité de nos institutions. S’y ajoute la lourde tâche d’organiser les différentes élections qui ponctuent notre démocratie ; encore que celle-ci ne se résume pas à l’observation d’un cycle électoral régulier et déterminé.
Monsieur le ministre, c’est compte parfaitement tenu de toutes ces responsabilités qu’en ma qualité de citoyen, je me permets de vous interpeller publiquement sur des sujets, des faits et des situations qui ont suscité des questionnements voire des inquiétudes chez bon nombre de nos compatriotes dont certains n’ont guère hésité à remettre en cause votre probité, votre patriotisme et surtout et par-dessus tout votre légitimité à exercer vos présentes fonctions.
Monsieur le ministre, il y a d’abord l’affaire Arcelor Mittal dont la gestion est considérée par les spécialistes en la matière comme scandaleuse. Par laxisme, par une absence de rigueur et surtout par une complaisance injustifiée l’État a renoncé à la voie contentieuse au profit d’un règlement à l’amiable pour bénéficier d’une compensation financière portant sur un montant dérisoire. Vous auriez ainsi fait perdre à l’État une manne financière évaluée à plus de mille milliards de francs qui aurait pu soulager les populations dans plusieurs secteurs de la vie sociale (construction de structures de santé, d’établissements scolaires, d’infrastructures et équipements sécuritaires, bourses des étudiants, arriérés des enseignants et augmentation substantielle des pensions de retraite et des filets sociaux etc…). Vous étiez certainement étrillés par un besoin pressant et urgent de liquidités. Toutefois cela ne saurait justifier l’option choisie par les autorités qui amène beaucoup de nos compatriotes à penser que vous avez procédé à un bradage des intérêts supérieurs de la nation voire à un acte de haute trahison du peuple.
Monsieur le ministre, au cours d’une émission télévisée très largement suivie par les Sénégalais et animée par le très talentueux Pape Alé NIANG, vous avez fait des déclarations très maladroites, inopportunes et inappropriées qui avaient, à l’époque, suscité l’indignation de bon nombre de vos compatriotes. Il me parait nécessaire de préciser que vous vous étiez rendu à cette émission en votre qualité de ministre de l’Intérieur et de la sécurité publique avec tous les attributs d’identification inhérents à vos fonctions. Malheureusement vous n’aviez pas su ni pu faire le départ nécessaire entre votre station ministérielle et vos responsabilités politiques partisanes.
Monsieur le ministre, vous avez osé déclarer, sans aucune gêne perceptible, que vous vous évertuerez par tous les moyens à faire passer votre candidat en l’occurrence le président Macky SALL et ce, certainement, dès le premier tour comme les membres de votre coalition n’ont de cesse de le seriner à tout bout de champ. A ce propos cette déclaration entonnée par vos partisans est une véritable incantation qui, moins qu’une assurance et une certitude fondées sur une analyse objective de la réalité apparait plus comme l’évacuation d’une peur, d’une angoisse existentielle, d’une anxiété c’est-à-dire l’anticipation négative de ce qui peut arriver. L’emploi de la préposition «dès» n’est point fortuit. Comme toute préposition elle joue dans votre slogan non seulement un rôle de strument mais évoque un rapport, c’est-à-dire qu’elle a un sens ; celui d’un impératif. Vous pourriez sans aucune gêne paraphraser nos cousins Ivoiriens en déclarant que lors des prochaines élections présidentielles «On gagne dès le premier tour ou on gagne au premier tour». Vous pouvez vous approprier cette formule. Et pour ce faire vous dites que vous vous donnerez tous les moyens pour y parvenir ; notamment en permettant à tous les militants de Bennoo Bokk Yaakaar de disposer de leurs cartes d’électeurs. Quant aux autres citoyens, il est bien évident que vous adopterez la démarche inverse ou contraire en procédant à une rétention massive de leurs cartes. Votre déclaration bien que malheureuse a au moins le très grand mérite de clarifier la nature de la mission que vous a confiée votre patron. Les Sénégalais sont édifiés sur le rôle que vous aurez à jouer avant, pendant et après les élections. Et c’est désormais clair que vous n’hésiterez point à effectuer toutes sortes de manipulations et manœuvres dolosives voire de manigances pour parvenir à vos fins qui, dans le cas d’espèce, justifient tous les moyens dont vous estimerez devoir user.
Monsieur le ministre, je ne suis pas de ceux qui exigent de vous une neutralité illusoire compte tenu de votre appartenance partisane qui ne souffre d’aucun doute. Il ne vous est pas demandé d’être neutre, mais il vous est exigé d’être foncièrement impartial. Il y a une nuance fondamentale entre ces deux notions. Souvent la neutralité ne traduit rien de moins qu’une fuite de responsabilité et un manque de courage à exprimer ses opinions, un refus d’assumer et de s’assumer. Dans les pays réellement démocratiques comme la France qui nous sert souvent de référence, les élections sont organisées par le ministre de l’Intérieur qui, le plus souvent, est un baron du parti au pouvoir et généralement un homme de confiance du Président de la République. Et pourtant les élections s’y déroulent sans contestations majeures dans un esprit de fair-play et sur la base de principes consacrés consensuellement admis par tous les acteurs de la vie politique. C’est du, non pas à leur neutralité puisqu’ils sont partisans, mais à leur impartialité et au fait qu’ils sont imbus des principes républicains et imprégnés d’éthique avec un sens très élevé de l’équité, de la justice et du droit.
Monsieur le ministre, votre fameuse déclaration et vos prises de positions pourraient logiquement et facilement amener à conclure que tout le long du processus électoral, vous poserez toutes sortes d’actions et mener toutes sortes d’opérations, même les plus injustes, les plus illicites et les plus illégaux pour favoriser votre candidat, au besoin en modifiant le sens du vote des Sénégalais. Et c’est à juste raison que la plupart des acteurs de la classe politique et de la société civile vous soupçonnent de vouloir user de méthodes inavouées et malhonnêtes pour vicier et vampiriser les opérations de parrainages. C’est vraiment regrettable, dommage et triste d’en arriver là après tant d’années de sacrifices et de luttes historiques voire épiques ponctuées par d’innombrables morts dont plusieurs jeunes à la fleur de l’âge tel que Mamadou DIOP. Vous avez instillé le doute dans l’esprit de vos compatriotes ; et si dans le cadre d’un procès pénal le doute doit toujours être profitable à l’accusé, dans le cas d’espèce, celui d’un processus électoral, le doute suscite une suspicion légitime disqualifiante et rédhibitoire.
Monsieur le ministre, ma troisième interpellation portera sur de très graves accusations portées contre vous par l’ancien premier Premier ministre du Président Macky SALL. En effet, monsieur Abdoul MBAYE, pour ne pas le nommer, contresignataire des décrets attribuant des permis de recherches et d’exploitations d’hydrocarbures liquides et gazeux à Petro-Tim Ltd, a déclaré que lesdits décrets ont été signés sur la base de vos rapports de présentation qui comportaient volontairement de fausses informations dans le but manifeste de surprendre la vigilance de l’autorité et d’emporter son assentiment abusant ainsi de sa confiance.
Il s’agit du décret 2012-596 du 19 juin 2012 dont le rapport de présentation porte la référence n° 792/ MEM/DHCD/ANT/Cmb du 11 juin 2012 qui concerne le bloc de Cayar Offshore Profond et du décret 2012-597 du I9 juin 2012 dont le rapport de présentation porte la référence N°687/MEM/DHCD/ANT/Cmb du 05 juin 2O12 concernant le bloc du Saint –Louis Offshore Profond. Et selon l’ancien premier ministre, les deux décrets ont été signés en violation flagrante et manifeste des dispositions de l’article 8 de la loi 98-05 du 08 Janvier 1998 portant Code pétrolier et sur la base de fausses informations contenues dans les rapports de présentation.
Monsieur le ministre, il se trouve que c’est vous qui aviez rédigé les rapports de présentation et sur lesquels se sont fondés le Président de la République et le Premier ministre pour signer et contresigner les décrets incriminés accordant des permis à une société qui à l’évidence ne remplissait pas les conditions pour en bénéficier tout simplement parce que n’ayant pas les capacités techniques ni financières exigées pour réaliser les opérations requises.
Monsieur le ministre, les deux PR, en l’occurrence le président de la République ainsi que le procureur de la République ont été officiellement saisis pour que la lumière soit faite sur ce qui apparait aux yeux de beaucoup de nos compatriotes comme une forfaiture d’une exceptionnelle gravité. Un faux d’une telle dimension au cœur de l’État pose un véritable problème de crédibilité et de stabilité de nos institutions. Eu égard à tout ce qui précède vous apparaissez comme un « faussaire » présumé. Il vous appartient dès lors de prouver le contraire aux yeux de vos compatriotes. Ni le Président de la République ni le Procureur de la république n’ont jugé utile et nécessaire d’agir pour éclairer la lanterne des Sénégalais. Une double enquête administrative et judiciaire doit obligatoirement être ouverte pour qu’éclate la vérité et que soient situées les responsabilités directes et indirectes.
Monsieur le ministre, quant à votre silence assourdissant, l’oxymore est vraiment approprié dans ce cas d’espèce, il est fort embarrassant et ne se justifie ni ne s’explique. Vous occupez aujourd’hui une station ministérielle de souveraineté très stratégique. Comme moi, vous n’ignorez pas que dans la gestion des affaires publiques, notamment ceux de la sphère étatique et plus particulièrement dans le secteur dont vous avez la charge, les informations doivent être correctes et fiables en tant qu’outils d’aide à la prise de décision. La sécurité de notre pays vous est confiée ; il ne saurait être question pour les Sénégalais de concevoir encore moins d’accepter qu’un faussaire présumé soit mis en responsabilité d’assurer notre protection, celle de nos biens et celle de nos institutions. De fausses informations peuvent entrainer des conséquences dramatiques, tragiques voire catastrophiques.
Monsieur le ministre, c’est une obligation, un devoir et une exigence républicaine pour vous de prouver votre innocence et d’exciper de votre loyauté et de votre probité par rapport à cette grave accusation portant sur le dossier Petro-Tim. Vous devez démontrer à la face du monde que vous n’êtes pas ce ministre vicieux, ce faussaire présumé qu’on accuse d’avoir volontairement, consciemment et à dessein soumis à la signature de notre Président de République un projet de décret sur la base de fausses informations et de données sciemment tronquées. Et tant que le flou demeurera, il y aura des raisons valables de s’inquiéter sur la sécurité de notre pays, la stabilité de nos institutions et sur la confiance en nos dirigeants.
Certains n’hésitent pas à dire que la complaisance du Chef de l’État s’expliquerait par son implication personnelle dans le déroulement de tout le processus ; qu’il aurait signé en toute connaissance de cause, c’est-à-dire qu’il aurait été préalablement mis au fait des fausses informations contenues dans lesdits rapports. Il y aurait ainsi une connivence et ce serait encore plus grave et tristement déplorable que les dirigeants du pays se mettent à comploter sur le dos du Peuple.
Monsieur le ministre, vous avez sous vos ordres tout le Commandement territorial composé de gouverneurs, de préfets et de sous-préfets, des administrateurs civils de grande valeur que je qualifie de «Chevaliers de la République» ; vous avez sous votre commandement des milliers de policiers, tous grades confondus, des professionnels de la sécurité qui risquent quotidiennement leurs vies pour protéger vos concitoyens, lutter contre la délinquance sous toutes ses formes, notamment les faussaires de tous acabits.
Monsieur le ministre, imaginez un seul instant et pensez une seule seconde que tout ce beau monde puisse douter de votre loyauté, de votre sincérité et de votre probité morale tout simplement parce que vous seriez à leurs yeux un vulgaire faussaire. Ce serait une situation gênante à la limite intenable. Et tant que vous n’aurez pas apporté la preuve manifeste de votre innocence dans cette affaire de rapports de présentation viciés et vicieux, le doute restera toujours instillé dans les esprits.
Dites-vous bien que chaque fois que vous présiderez une réunion au ministère ou une cérémonie de sortie de promotion ou de passation de service, que vous passerez en revue les troupes de la Police nationale ou de la Brigade nationale des sapeurs-pompiers, c’est autant de paires d’yeux qui vous fixeront en se posant de lancinantes questions sur la nature de votre personnalité. Vos subordonnés seraient en droit de ne plus accorder du crédit à vos discours sur la loyauté, l’éthique, la déontologie et le respect des valeurs qui fondent la république. Vous servirez difficilement de référence.
Monsieur le ministre, il faut dissiper le doute chez les Sénégalais en général et chez les personnels travaillant sous votre autorité en particulier. Démontrez que tout ce qui se raconte sur les décrets 2012-596 et 2012-597 n’est qu’affabulation de contempteurs malveillants. Pour rassurer tout le monde de votre réelle volonté de faire la lumière sur cette gravissime affaire, il serait très souhaitable que vous démissionniez. Un tel geste de votre part aura le double mérite de permettre à la justice de faire son travail librement et de mettre à l’aise le Président de la République si tant est qu’il en a un souci particulier. Certains pensent, à tort peut-être, que la crainte de poursuites judiciaires par un autre régime vous pousse à tout faire pour faire gagner votre candidat ; ce serait pour une question de survie personnelle.
Monsieur le ministre, vous, vos collègues du gouvernement ainsi que le Président de la république avez la mauvaise manie d’observer un silence devant les interpellations des Sénégalais. Sachez que vous ne vous êtes pas octroyé les responsabilités que vous exercez. Vous avez l’obligation et le devoir d’éclairer les citoyens et d’expliquer le sens et la finalité de vos choix et de vos actions. Vous n’êtes que des délégués de la souveraineté populaire. Et le moment venu le Peuple répondra à votre silence méprisant par un mépris silencieux qui se manifestera au moment opportun.
Monsieur le ministre, permettez-moi de faire une digression pour faire comprendre aux uns et aux autres que mes différentes contributions se situent dans le cadre d’un engagement citoyen et patriotique, tout le contraire de certains discours politiciens. Surtout que l’on ne parle pas d’obligation de réserve que des spécialistes du management veulent nous opposer et l’utiliser comme moyen malicieux de réduire au silence certaines voix. L’obligation de réserve ne doit point être transformée en conspiration du silence au détriment du citoyen. Aujourd’hui la délibération démocratique a libéré la parole et nous sommes suffisamment responsables et très imbus des principes républicains pour nous amuser à déflorer des secrets d’État.
Sur ce plan aucune leçon à recevoir de quiconque. Et comme disait Babacar Justin NDIAYE, je cite «Il faut tracer une ligne de démarcation entre les déballages et la divulgation de secrets d’État. Dénoncer publiquement des scandales financiers ou des écarts de mœurs indignes d’un dirigeant politique, c’est un devoir civique qui conforte la pratique de bonne gouvernance». Et si pour les scandales financiers les Sénégalais en savent assez, par contre en matière d’écarts de mœurs il y a beaucoup de choses à dire. Tout sera dit le moment venu et opportunément ; et personne ne sera épargné, je précise bien personne quelle que soit la station occupée. Désormais nous devons veiller à avoir des dirigeants vertueux.
Monsieur le ministre, c’est votre droit et même votre devoir de vouloir faire gagner votre candidat ; mais vous devez le faire dans la transparence la plus totale sur la base de règles équitables ne favorisant aucun postulant. Pour l’heure tous vos actes sont frappés de suspicion ; et à juste titre. Il est clair que les prochaines élections, en plus d’être parasitées par des pratiques partisanes et partiales, seront polluées par une distribution malsaine, insultante et indécente de fortes sommes d’argent comme jamais le pays n’en a connu. L’état de paupérisation provoqué et entretenu des masses populaires constituera un terreau fertile à l’achat effréné des consciences auquel vous allez vous livrer ; Émile ZOLA ne disait-il pas que «la misère a généralement raison de toutes les vertus humaines».
Monsieur le ministre, compte tenu de tout ce précède, vous conviendrez avec moi que votre position est des plus délicates. A tout prendre ce que je puis vous dire, c’est que l’Éthique vous commande de démissionner, la Morale vous demande de démissionner, l’Honneur et la Fierté doivent vous inciter à la démission. Votre démission est une exigence absolue. Alors démissionnez.
«Le Pouvoir au Peuple, les servitudes aux dirigeants»
Boubacar SADIO
Commissaire divisionnaire de police de classe exceptionnelle à la retraite
Ancien directeur général adjoint de police nationale