Le mode opératoire du COVID 19 est connu : qu’il soit asymptomatique ou se signale par des symptômes, parfois d’une grande banalité au départ dès qu’il parvient à tromper la vigilance de l’organisme qu’il veut détruire, il s’attaque à ses organes vitaux. Les organes vitaux de notre Constitution menacés en l’espèce sont le Président de la République en tant qu’Institution, Gardien de la Constitution comme le prescrit l’article 42 de notre Loi fondamentale et l’Assemblée nationale qui vote seule la loi.
En raison de la nature de notre système politique, le Gardien de la Constitution est particulièrement concerné par cette ruse du COVID 19. De ce fait, il est le premier concerné par l’Alerte citoyenne. En même temps c’est l’occasion de s’assurer de l’efficacité du dispositif de gardiennage institué par la Constitution.
I Le Président de la République, Gardien de la Constitution, face au COVID 19
A Les outils de gardiennage
Le Président de la République, Gardien de la Constitution, dispose d’outils de procédure qui lui permettent de faire face à différents types de crise. Dans l’ordre des articles de la Constitution, ce sont : l’article 52 sur les pouvoirs exceptionnels ; l’article 69 sur l’état de siège et l’état d’urgence ; l’article 77 sur l’habilitation du Président de la République à prendre des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. A cela s’ajoute que le Président de la République en exercice dispose d’une majorité qualifiée à l’Assemblée nationale qu’il peut, au besoin discipliner par le vote bloqué, inscrit au dernier alinéa de l’article 82 de la Constitution. Enfin outre le pouvoir d’application des lois, il dispose du pouvoir réglementaire autonome institué par l’article 76 de la Constitution qui lui permet de prendre des décrets non susceptibles d’être modifiés par la loi.
B Première vague du COVID 19 : L’utilisation des outils de gardiennage
Dès les premières manifestations du COVID 19, le Gardien de la Constitution a mis en place un plan de riposte en utilisant deux des outils mis à sa disposition par la Constitution, à savoir l’habilitation législative de l’article 77 de la Constitution et l’état d’urgence de l’article 69. Sans désemparer, animé par un réel esprit de consensus, il a déployé une panoplie de mesures pour contrer la pandémie Le Président de la République, Gardien de la Constitution avait ainsi réussi à cantonner le COVID 19 dans des limites contrôlables, au grand bonheur des populations. Certes les politologues, acteurs politiques et juristes vont l’interpeller sur l’utilisation des outils moyens financiers et matériels qu’il a reçus. Toutefois, en attendant d’évaluer la gestion de la crise, on constate que le résultat sanitaire pour cette première vague est satisfaisant, au point que le Sénégal figure parmi les pays que cette pandémie a le moins endeuillé et dont l’économie, bien que gravement atteinte a tout de même résisté et peut rebondir.
C. Deuxième Vague du COVID 19 : Projet de loi no 046/2020, nouvel outil de gardiennage : Un changement de paradigme inattendu
Lorsque la 2e Vague du COVID 19 semblait s’imposer, vers mi-Octobre 2020, beaucoup de citoyens s’attendaient à ce que le Président de la République, Gardien de la Constitution retrouve son allure d’attaquant de mars/avril dernier, reprenne son armure constitutionnelle qui a fait ses preuves et mette son peuple en ordre de bataille. Beaucoup de citoyens croyaient qu’il allait rééditer la démarche consensuelle de mars dernier en invitant la classe politique, toutes tendances confondues pour échanger sur les nouvelles stratégies à adopter et en remobilisant les députés, toutes appartenances politiques confondues, pour le soutenir et l’accompagner comme ils l’avaient fait pour la première vague de la maladie, avec le succès que l’on sait. Au lieu de cela, c’est un nouvel outil d’intervention qui est soumis au vote des députés.
Avec ce changement de paradigme, c’est le Président de la République, Gardien de la Constitution qui prend des risques ; c’est la fonction présidentielle qui risque d’être infectée par le COVID 19. Le Gardien de la Constitution risque de l’infecter par le nouvel outil qu’il veut utiliser.
La question de savoir qui gardera le Gardien se pose ainsi avec acuité. La réponse ne fait aucun doute ; seule la Constitution peut garder le Gardien.
II La Constitution, gardienne du Président de la République face au COVID19
Seule la Constitution peut protéger son gardien. C’est sur elle qu’il a prêté serment Détenteur de la fonction présidentielle, tout outil qu'il manipule doit être testé négatif au COVID 19, c’est-à-dire conforme à la Constitution.
Il se trouve cependant que le diagnostic du projet de loi 046/2020 révèle qu’il est positif au COVID 19, c’est-à-dire qu’il n’est pas conforme à la Constitution. Il faut dès lors le désinfecter, supprimer sa toxicité, avant de le mettre à la disposition du Gardien de la Constitution.
A Diagnostic du projet de loi no 046/2020 : un texte inadapté pour la lutte contre le COVID 19
Le projet en cause contient tellement de lacunes, de chausse-trapes et de non-dits qu’il affaiblira la fonction présidentielle au lieu de la renforcer. La volonté du Gardien de la Constitution d’aller vite et d’être efficace ne sera pas comprise, ni acceptée. Une partie de l’opinion suspectera un agenda caché et il en résultera une démobilisation qui fera le jeu du COVID 19. Qu’on en juge.
a) Le projet de loi s’inspire manifestement de la « loi (française) no 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID 19 », publiée au Journal officiel de la République Française du 24 mars 2020, notamment de son chapitre 1er bis. Cette loi comporte six titres détaillant les domaines et modalités d’intervention, les garanties de protection des droits des citoyens, l’intervention du Parlement (Assemblée nationale et Sénat). De ce long texte, notre projet n’a retenu que quelques expressions exposées pour l’essentiel dans l’article 24 nouveau du projet. Un article pour instituer un nouveau régime de libertés totalement exclu du champ d’intervention de l’Assemblée nationale, parait un peu court. C’est une démarche positive de s’inspirer des textes des démocraties étrangères, à la condition de reprendre aussi toutes les garanties des libertés que ces textes prescrivent.
b) Les deux articles nouveaux, 24 et 25, rendent le projet incohérent. Ainsi, dans la même loi vont coexister l’état d’urgence régi par les articles 1er à 23 et un second état d’urgence qui ne dit pas son nom, régi par les articles 24 et 25. En réalité, les nouveaux articles instituent un régime dans lequel le Président de la République exerce les mêmes pouvoirs que ceux que lui confère l’état d’urgence. La seule différence, c’est que l’Assemblée nationale ne pourra pas intervenir.
c) Les justificatifs de l’exposé des motifs du projet de loi ne sont pas convaincants. Ainsi :
Le recours à l’état d’urgence serait une procédure lourde, mais c’est le prix à payer pour le développement dans le respect de l’état de droit, option que le Sénégal a choisie. Tant que nous n’aurons pas changé de Constitution et de système de valeurs sur lequel elle repose, nous serons tenus d’arrimer nos politiques publiques à l’état de droit au sens de la démocratie d’inspiration occidentale. Dans cette option, la collaboration avec l’Assemblée nationale dans toute activité touchant aux libertés publiques est incontournable.
L’état d’urgence ne serait pas adapté à la prise en charge de centaines catastrophes ; mais les régimes alternatifs mis en place ne peuvent pas exclure l’intervention de l’Assemblée nationale.
Enfin, il n’est pas convaincant que décider l’état d’urgence peut être mal compris par les populations dans le cas de la lutte contre les catastrophes sanitaires. En effet le projet de loi vise expressément le couvre-feu, comme exemple d’initiative que le Président de la République pourrait prendre. Or, un couvre-feu est un couvre-feu ; pour les populations ses désagréments et ses contraintes sont les mêmes, qu’il soit décrété dans le cadre de l’état d’urgence, ou des catastrophes naturelles ou sanitaires.
d) Le projet de loi 046/2020 n’est pas conforme à la Constitution.
Il faut rappeler qu’en France, l’état d’urgence n’est pas inséré dans la Constitution. L’article 36 de la Constitution française ne régit que l’état de siège. C’est la loi no 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, modifiée qui s’applique toujours. A l’Indépendance du Sénégal, le constituant avait repris la loi française de 1955 dans l’article 41 la Constitution du 29 avril 1960, associé à l’état de siège. Les numéros d’articles portant ce texte ont changé ; article 58 dans la Constitution du 7 mars 1963 ; article 69 dans la Constitution actuelle du 22 janvier 2001 ; en revanche, le contenu est resté le même, tel qu’il avait été rédigé en 1960.
La loi no 69-29 du 29 avril 1969 relative à l’état d’urgence et à l’état de siège (JORS no 4029 du 10 mai 1940, pages 571 à 573) dont la modification est entreprise, est une loi d’application de l’article 58, (actuel article 69) de la Constitution comme le précise son article 1er. Le projet de loi en cours est inconstitutionnel parce que le nouveau régime spécial de gestion des catastrophes naturelles ou sanitaires qu’il institue ne figure pas dans l’article 69 de la Constitution. Il faudrait, soit modifier la Constitution pour prévoir ce régime spécial, afin que la loi 69-29 modifiée conserve son statut de loi d’application de l’article 69 de la Constitution, soit conserver l’intitulé actuel de la loi 69-29 et ajouter les catastrophes naturelles ou sanitaires à l’alinéa 1er de son article 2. Ces matières seraient ainsi soumises au régime de l’état d’urgence. Le projet est inconstitutionnel parce qu’il consiste à greffer sur une loi d’application d’une disposition précise de la Constitution, des matières qui ne sont ni prévues, ni régies par cette disposition : les catastrophes naturelles ou sanitaires ne sont pas prévues par l’article 69 de la Constitution ; elles ne seront pas soumises, selon le projet de loi au régime de l’état d’urgence de l’article 69 de la Constitution. Finalement, cette opération de greffe va infecter la loi 69-29 qui deviendra inconstitutionnelle.
Le projet n’est pas également conforme à la Constitution parce qu’il se présente comme une habilitation législative déguisée : au lieu de recouvrir à l’article 77 de la Constitution comme il l’a fait à l’apparition de la première vague du COVID 19, le Président de la République veut faire voter une loi qui lui confère les mêmes pouvoirs qu’en matière d’habilitation législative, mais sans la contrainte de soumettre les décisions prises à la notification de l’Assemblée nationale. L’exclusion de l’Assemblée nationale du nouveau régime des catastrophes naturelles ou sanitaires est une violation de l’article 67 alinéa 1er de la Constitution selon lequel, la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques
Si le projet de loi est voté en l’état, les mesures prises en son application pourront faire l’objet de recours en exception d’inconstitutionnalité devant la Cour d’Appel ou la Cour suprême.
B Le traitement du projet de loi no 046/2020
Au regard de ce diagnostic, le projet de loi en question doit faire l’objet de désinfection et de désintoxication avant toute utilisation par le Président de la République, Gardien de la Constitution. Les mesures à prendre à cet effet sont les suivantes
1. Détacher le projet de loi 046/2020 de la loi no 69-29 du 29 avril 1969. Cette loi doit rester distincte et conforme aux dispositions de la Constitution qu’elle applique. Elle est d’ailleurs évolutive ; elle s’adopte à différentes situations de crise.
2. Ajourner la discussion du projet à l’Assemblée nationale, comme pour le mettre en quarantaine et se donner un délai pour le réécrire.
3. Pour la réécriture de ce projet de loi, il est indiqué de s’inspirer de la loi française no 2020-290 du 23 mars 2020 principalement pour ce qui concerne les garanties pour l’exercice des libertés publiques pendant l’ application de la loi. La première de ces garanties consiste à réintégrer l’Assemblée nationale dans son application et son évaluation, en vertu de ses pouvoirs constitutionnels d’évaluation des politiques publiques.
4. La préparation du nouveau texte doit s’accompagner d’une campagne de sensibilisation pour entre autres, recueillir le maximum de contributions, et les exploiter.
Professeur Jacques Mariel Nzouankeu
Citoyen Sénégalais