Accusé d’avoir utilisé sans les justifier les fonds – qu’il qualifie de «politiques» – de la régie d’avance de la mairie (pour un montant total de 2,7 millions d’euros), Khalifa Sall, incarcéré depuis le 7 mars, est inculpé d’«association de malfaiteurs», «complicité de faux et usage de faux en écritures privées de commerce», «faux et usage de faux dans des documents administratifs», «détournement» et «escroquerie aux deniers publics et blanchiment de capitaux».
Élu député depuis sa prison
Le 30 juillet, le maire de la capitale a été élu député sur la liste d’opposition Taxawu Senegaal. Le 17 août, une fois les résultats des législatives proclamés par le Conseil constitutionnel, ses avocats ont donc déposé une demande de mise en liberté d’office en raison de l’immunité parlementaire qui, selon eux, s’attache à sa nouvelle qualité de député. Et d’invoquer l’article 61 de la Constitution et l’article 51 de la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale, deux textes qui codifient cette question.
A l’époque, le procureur de Dakar ne voit pas les choses ainsi. Il s’oppose à la liberté provisoire de l’édile «au motif que l’inculpé a été arrêté dans le courant du mois de mars 2017, alors que son élection comme député à l’Assemblée nationale a eu lieu […] près de quatre mois plus tard».
Autrement dit : l’immunité parlementaire ne saurait s’appliquer de manière rétroactive. Se rangeant à ces arguments, le doyen des juges d’instruction, Samba Sall, rejette donc la demande de liberté de Khalifa Sall.
Les avocats de l’intéressé interjettent alors appel de la décision, et saisissent la chambre d’accusation de la Cour d’appel. La décision que celle-ci rend le 28 septembre écarte une nouvelle fois les arguments de la défense, laquelle qualifie l’incarcération du député de «détention arbitraire». Le ministère public campe sur ses positions, considérant que «personne ne saurait se prévaloir d’une immunité [s’il] fait déjà l’objet d’une détention».
Et la chambre d’accusation considère, elle aussi, que «Khalifa Sall a été poursuivi, inculpé et placé sous mandat de dépôt avant son élection», qui plus est pour des faits «n’ayant rien à voir avec les opinions ou votes émis» en tant que député. Elle rejette donc les arguments de la défense – qui a saisi depuis la Cour suprême d’un recours en cassation qui n’a pas encore été examiné.
Les avocats évoquent un désaveu des magistrats
Entre-temps, l’ancien ministre de la Justice, l’avocat Sidiki Kaba (nommé depuis aux Affaires étrangères), apportait sa contribution au débat qui oppose depuis trois mois partisans et détracteurs de Khalifa Sall. «Ce n’est pas le député Khalifa Sall qui a été arrêté mais quelqu’un a été épinglé par un rapport de l’Inspection général d’Etat. Toutes les voies de recours qu’il a, il est en train d’en user», déclarait l’ancien Garde des Sceaux à l’ouverture de l’assemblée générale de l’Union des magistrats du Sénégal, fin août.
«Le Parquet finit par passer aux aveux au sujet de l’immunité de Khalifa Sall, désavouant les différents magistrats qui l’avaient précédemment contestée», ironise l’un des avocats du maire. A défaut d’un désaveu, le retournement subit du Parquet pose effectivement question : pourquoi demander la levée d’une immunité parlementaire dont on réfute par ailleurs l’application ?
Il reviendra désormais à l’Assemblée nationale, largement dominée par la coalition gouvernementale Benno Bokk Yakaar – supposée hostile à Khalifa Sall -, d’apporter sa contribution au débat.
Par Mehdi Bâ, Jeune Afrique