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«Il faut juste éviter de donner aux extrémistes des occasions de s’exprimer»

TRIBUNE LIBRE
Samedi 4 Mai 2019

Par Bosse Ndoye

Dans un pays où la belle cohabitation entre les différentes communautés ethniques et religieuses est souvent louée et citée en exemple en Afrique, voire dans le monde, tant elle est harmonieuse et pacifique, l’interdiction du port du voile par l’Institution Sainte Jeanne d’Arc ne peut que susciter étonnement et interrogations.

D’autant que cette question très sensible semble avoir été résolue par la publication de la note-circulaire de Kalidou Diallo, qui était  ministre de l’éducation nationale lorsque le problème s’est posé pour la première fois, il y a huit ans, aux collèges : Hyacinthe Thiandoum de Grand Yoff, Anne Marie Javoueh de Médina et Abbé David Bola de Thiès. Cette note-circulaire avait pour objectif de bien rappeler la primauté de l’article 24 de la constitution garantissant la Liberté de Culte sur quelque texte que ce soit, comme l’a bien rappelé Mame Mokhtar Gueye de Jamra. 

Dès lors, l’on ne peut s’empêcher de se poser un certain nombre de questions dont voici quelques-unes : pourquoi l’institution Sainte Jeanne d’Arc - tout en sachant que les mêmes causes allaient avoir les mêmes effets, eu égard à ce qui s’est passé en 2011 au collège Hyacinthe Thiandoum de Yoff - est-t-elle revenue à la charge après des années où – autant que je sache - aucun événement majeur ayant menacé la cohésion de différentes religieuses ne s’est passé dans le pays ? Pourquoi veut-elle, dans un pays très majoritairement musulman, adopter une décision qui n’a créé que remous et contestations dans d’autres pays où la communauté musulmane, faisant partie des minorités religieuses, a manifesté son mécontentement par de vives marches de prestation parce s’étant sentie stigmatisée ?

Plutôt que de s’attaquer à la sensible question de la religion, ceux qui ont pris cette décision n’eussent-ils pas dû prendre d’autres mesures à défaut d’accorder aux musulmans élèves de leur établissement scolaire, certains accommodements raisonnables qui, loin de pousser à céder à un quelconque chantage, permettent de faciliter le vivre-ensemble entre différentes communautés, comme cela fait ailleurs ? Surtout si l’on sait qu’une telle décision pourrait avoir un effet domino sur les autres écoles privées catholiques dans le pays. De plus, en quoi l’interdiction du port du voile dans l’école serait-elle par exemple une solution au refus de serrer la main à qui que ce soit ? Enfin, y aurait-il des forces obscures qui tirent les ficelles en douce pour mettre en péril notre si chère paix sociale ? 

Ces questions sont d’autant plus légitimes que le Sénégal d’aujourd’hui n’est pas celui d’il y a une vingtaine d’années. Car à cette époque-là  il n’y avait dans le pays que le phosphate et l’arachide qui constituaient nos principales ressources…Ce qui laissait indifférentes les puissances néocoloniales prédatrices. Mais les récentes découvertes d’importants gisements de gaz  et de pétrole lui donnent une autre image sur le plan international, notamment auprès des puissances prêtes à tout pour avoir accès à ces ressources-là.

Dussent-elles tuer, armer des rebellions, semer le chaos et la zizanie tout en suscitant la haine entre ethnies et/ou communautés vivant en harmonie de plusieurs siècles pour atteindre leurs objectifs. Par conséquent, sans verser dans le complotisme facile, nous sommes en droit de nous poser ces questions afin d’éviter d’ouvrir des brèches où pourraient s’engouffrer les puissances néocoloniales. Car elles maquillent souvent leurs interventions ayant des visées économiques et géostratégiques par des raisons faussement humanitaires telles que la protection d’une minorité religieuse ou ethnique ; la lutte contre le terrorisme, etc.

Pendant ce temps elles créent le chaos dans des pays stables et riches  afin de mieux les exploiter. Surtout au moment où l’on semble assister à une nouvelle balkanisation du continent. Les Maliens, les Congolais, les Soudan et les Somaliens…ne diront pas le contraire. Ils vivent dans un chaos permanent. Leur tort : avoir dans leur sous-sol d'importantes richesses. L’intervention des États-Unis au Venezuela suit la même logique. C’est pourquoi, comme le rappelle Amin Maalouf dans «L’un des fondateurs de l’OPEP, un Vénézuélien, disait que les hydrocarbures étaient les excréments du diable.»  Il semble avoir raison vu la situation désastreuse dans laquelle se trouvent certains pays anciennement colonisés où coulent à flots l’or noir et d’autres ressources. De plus, le diable se trouve dans les détails.

D’aucuns diront certainement que ceux qui se sentent visés par cette mesure peuvent inscrire leurs enfants ailleurs puisqu’il y a d’autres bonnes écoles privées dans le pays. Ce qui n’est qu’une manière de tourner le dos au problème afin d’éviter de lui faire face et de le résoudre une fois pour toutes. D’autant que chaque parent a le droit d’inscrire son enfant à l’école de choix. Ce qui est un droit fondamental. Dès lors une institution privée ne peut pas tordre le cou à législation d’un pays en appelant au respect de son règlement intérieur. C’est tout de même regrettable que la crise endémique dont souffre l’enseignement public soit loin d’arranger la situation puisque le privé semble devenir la norme et le public l’exception. Ce qui n’était pas le cas il y a quelques décennies. Pour autant nul n’est opposé à ce que des mesures disciplinaires soient prises contre les élèves qui enfreignent certaines règles dans leur établissement.

Donc, ne serait-ce que pour des raisons de bon sens et pour la préservation de l’harmonie et de la paix sociale de notre pays, certaines décisions peuvent être évitées parce qu’elles sont susceptibles de donner lieu à d’autres qui ne feront qu’ouvrir la boîte de Pandore et susciter une certaine haine là où il n’y avait que paix et bonne entente. Les extrémistes existent de tous bords, c’est indéniable. Mais il faut juste éviter de leur donner des occasions de s’exprimer. Le pays dispose d’importants ressorts culturels pouvant lui permettre de venir à bout de nombreuses difficultés. Les fêtes de Pâques qui viennent de passer et l’ambiance que le ngalax y a créée, relayée par plusieurs médias, notamment par les réseaux sociaux, sont entre autres un signe de la bonne santé cohabitation entre les différentes religions et ethnies. Pouvez-vous imaginer qu’on passe du ngalax au rajax en quelques jours d’intervalle.C’est impensable. Même avec transaction, personne ne le souhaite.

Finalement, c’est l’absence de l’État dans cette affaire qui suscite la plus grande peur. Toutefois, ne serait-ce par intérêt et/ou par un égoïsme lucide, pour reprendre les mots de Cheikh Anta Diop, nous devons entretenir et préserver notre harmonie et paix sociales en évitant d’imiter aveuglément ce qui se passe ailleurs.

 

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