L’ancien président ivoirien et son jeune lieutenant Charles Blé Goudé avaient été traduits pour crimes contre l’humanité à la Cour pénale internationale (CPI), sise à La Haye, aux Pays-Bas. S’ils ont été mis en cause, c’est parce que leurs adversaires, le régime d’Alassane Ouattara et la France, ancienne puissance coloniale, ont mis le paquet pour qu’ils le soient.
Face au tribunal de l’Histoire
D’une certaine manière, Gbagbo a, ces dernières années, déjà touché le fond. Son humiliante arrestation le 11 avril 2011, son incarcération dans des conditions épouvantables et son transfert à la CPI ont constitué de vrais traumatismes pour ses supporters et lui-même.
Aujourd’hui, le cofondateur du Front populaire ivoirien (FPI) est surtout engagé dans un combat pour l’Histoire. Ce qu’il joue, c’est la trace qu’il laissera. Le verdict des juges qui est tombé aujourd’hui est au fond moins important pour lui que celui de l’opinion africaine.
La Procureur auprès de la CPI dont les éléments de preuve avaient été jugés insuffisants par les juges de la Chambre préliminaire en juin 2014, avait fait de Gbagbo une sorte de parangon de l’intégrisme ethnique aux réflexes quasi génocidaires, ce qui est pour le moins osé quand on connaît la complexité de l’histoire de la Côte d’Ivoire et le rôle que les uns et les autres ont joué. Dans sa démonstration, la juriste gambienne avait tenu des propos démontrant sa grande méconnaissance de la sociologie ivoirienne, faisant notamment passer le général de gendarmerie Georges Guiai Bi Poin, d’ethnie gouro, pour un Bété… comme Gbagbo…Sans même parler des preuves tronquées – comme des images d’exactions ayant eu lieu au Kenya et attribuées aux pro-Gbagbo lors de l’audience de confirmation des charges – et les témoignages douteux.
« Le Joker des Puissants »
Face aux accusations en partie fondées de justice des vainqueurs, la CPI s’est refusée jusqu’ici à mettre en cause Ouattara ou ses lieutenants. Est ce une mesure de précaution? Alassane Ouattara avait déjà indiqué que plus aucun ivoirien ne sera extradé à La Haye.
Dans son livre « Le Joker des Puissants » paru aux éditions Don Quichotte, la journaliste française Stéphanie Maupas, basée à La Haye, révèle le contenu de confidences très éclairantes faites par l’ancien procureur Louis Moreno Ocampo à des diplomates. « Les Français nous ont dit d’accord, mais on ne fait que Gbagbo. Ils ne voulaient pas enquêter sur l’autre côté. Et ils ont pris tout en charge, les salaires et les frais », aurait-il lâché. La CPI n’a ni policiers ni experts. Elle est obligée de s’appuyer sur les capacités des Etats parties et des organisations internationales. Pour l’instant, on ne voit pas qui aidera Bensouda, au cas où elle le voudrait vraiment, à confondre des éléments du camp Ouattara… Il faut croire que la complaisance structurelle de la CPI pour les puissants l’a conduit dans un piège sans fin sur le dossier ivoirien.
Le clan Ouattara gêné aux entournures
C’est un détail révélateur. Le pouvoir ivoirien, qui contrôle étroitement la Radio télévision nationale, s’est toujours gardé de diffuser le procès Gbagbo sur ses antennes. Il fallait éviter tout grand moment de catharsis. L’on se souvient qu’il a empêché la diffusion publique des auditions de la Commission dialogue vérité et réconciliation, qui avait pourtant longuement écouté les victimes des deux bords.
La relaxe de Gbagbo en janvier 2019 et plus encore la possible confirmation en appel mercredi 31 mars 2021, pourrrait remettre sur le tapis des interrogations dérangeantes et des thématiques qu’Abidjan aimerait voir oubliées. N’est-il pas temps de se démarquer d’un récit de la crise ivoirienne construit de manière manichéenne et admettre que les bourreaux et les victimes se sont trouvés dans tous les camps?
Une triste mascarade
Il suffit de surveiller les tendances sur les réseaux sociaux, y compris dans des pays historiquement « hostiles » à Gbagbo comme le Burkina Faso, pour se convaincre que le procès de la CPI restera inscrit comme une mascarade. Certes, c’est Nicolas Sarkozy qui a eu la peau de Laurent Gbagbo et a voulu l’exposer au « cirque » de La Haye. Mais sous le règne d’Emmanuel Macron, il n’y a pas eu une voix officielle qui se soit élevée pour prendre une certaine distance avec la farce judiciaire qui se jouait à la Haye.
Violemment ciblée par les groupes djihadistes qui créent inlassablement de nouvelles succursales dans le Sahel, la France pourrait subir, dans les pays du Sud, un désamour qui s’exprimera par des poussées nationalistes et une perte d’influence inéluctable.
Ce qui s’est joué à La Haye n’est pas une mesquine affaire. Beaucoup, en France comme en Cote d’Ivoire, auront, un jour, des comptes à rendre.
Mondafrique