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Demba Ndiaye : "Quand le camp des justes s’agrandit, celui des voleurs panique"

POLITIQUE
Jeudi 5 Avril 2018

Dans nos institutions gangrenées par une « culture de soumission », nourries au sein de la corruption, se dressent de temps en temps des hommes d’honneur qu’on nomme, faute de mieux, des héros. Le juge Dème, sabre au clair, droit dans ses bottes, s’est extrait de la fange judiciaire qui, comme de la colle glu, arrime notre société aux intérêts d’un pouvoir (de pouvoirs?) qui chaque jour que Dieu fait, pose des actes d’un fascisme rampant et ordinaire : le bâillonnement des voix discordantes, l’embastillement d’acteurs politiques et potentiels adversaires sérieux.

Le juge Dème est un récidiviste du combat des justes causes, notamment la cause judiciaire qui est le fondement de la justice qui, elle-même, est la fille vertueuse des républiques éthiques. Un an presque jour pour jour après sa sortie et démission (déjà !) du Conseil supérieur de la magistrature, comme ces héros tragiques qui ne peuvent vivre sans liberté, notre « petit juge rouge » à nous, fait exploser l’hypocrisie de cette relation haine, peur, amour, que nous entretenons avec la justice.

Le juge Dème, derrière sa fausse nonchalance, est un teigneux combattant des valeurs en perdition de notre institution judiciaire : l’égalité des justiciables devant la justice, le traitement non-sélectif des citoyens, des fauteurs en tous genres et de tous bords. Parce que justement, de l’intérieur de la citadelle judiciaire, il a vu les souillures qui entachent, tâchent, tous les marqueurs qui sont (et font) l’ADN d’une justice à la distribution impartiale. De l’intérieur, il a vécu avec des dizaines de collègues sans doute, les dérives de son corps, qui s’est aussi et surtout, le régulateur de toute société.

Quand la justice trie ceux et celles qu’elle conduit à l’échafaud, quand sa balance perd son équilibre fondateur et vertueux pour ne pencher que d’un côté, quand les gardiens et garants de notre sécurité en société et en République deviennent des outils dociles de la mise au pas d’adversaires politiques, il ne reste plus que l’espoir de l’irruption d’hommes (et de femmes). Justice, glaive, rédemption, passion, honneur, des mots qui siéent en cette période de fêtes chrétiennes qui célèbrent la « passion » du Christ. L'évocation de son sacrifice pour l’humanité peut paraître « douteux » sous la plume d’un ceddo impénitent. Mais ce sont des valeurs que partage notre humaine condition malgré nos cultes et nos croyances divers et multiples.

Pour appuyer ce qu’il appelle la « culture de la soumission », qui n’est pas propre aux seuls juges du reste, il confie des secrets terribles : « Dès l’école, on nous dit, ne faites pas comme le juge tel, le procureur tel... ». Des personnages qui tout compte fait, étaient dans la posture qui doit être celle de leur profession : debout ! Oui, des juges debout existent dit-il, mais ploient sous le poids d’injonctions multiformes qui s’abattent quotidiennement sur la justice et les juges. En réalité, ce que le juge Dème nous dit, nous rappelle, c’est cette phrase que Fiodor Dostoïevski fait dire à un de ses personnages : « Si le juge était juste, le dirigeant du pays serait le premier coupable ». Terrible vérité oubliée par la plupart de ceux et celles qui doivent rendre la justice au nom du peuple ! Ils s’aplatissent sous les grincements d’ascenseurs empruntés pour atteindre les cimes d’une profession dévoyée.

Oui, osons le dire, Khalifa Sall n’aurait jamais dû être le seul à être traîné devant la justice ! Des criminels économiques désignés par nos instruments de contrôle, IGE, OFNAC, Cours des comptes, etc. sont soustraits à la foudre de la justice par un grand protecteur au coude épais et dissimulateur de délinquants de haut vol. En se couchant honteusement sur leurs principes et devoirs, pour s’acharner sur les voleurs de poules et les résistants aux sirènes du pouvoir, des juges participent au cheminement inexorable du dépouillement de nos institutions de ces vertus et valeurs, de sa fonction : garde-fou contre tous les arbitraires et autres abus de pouvoir.

Quelle est donc cette justice qui efface honteusement le délit grave de détournement de deniers publics pour lequel le maire de Dakar était attrait devant la justice avec une célérité jamais vue dans les annales de notre justice et, pourtant, le condamne à cinq ans, un quinquennat ? Quelle est cette justice qui poursuit pour un peu moins de deux milliards de francs CFA, et le condamne à cinq millions ? Mais pardi, parce que la justice qui avait désertée, dès le début la salle 4 du Palais (de justice ?) pour, aux yeux de millions de citoyens, aller prendre « domicile » et ordres, dans et/ou, à la périphérie d’un certain Palais de la République.

Ce qui est exécrable et montre la profondeur du naufrage éthique de plusieurs de nos intellectuels et autres « chroniqueurs émargeurs de quelques caisses noires », c’est de les entendre accuser le juge Dème « d’avoir un calendrier politique », et qu’il « faut qu’il se dévoile » ! Quelles exquises imbécilités assénées par des défroqués qui pourtant font chaque jour de la politique dans les colonnes des journaux et autres micros et petits écrans du pays. Ces perroquets, non seulement, dénient a des citoyens de faire de la politique et d’être de bons serviteurs de l’Etat, mais ils taisent honteusement ces autres fonctionnaires nommés politiquement à leurs postes de Dg aux conseils des ministres, font chaque week-end la politique à grands renforts de moyens de l’Etat. Ce que ces politiciens6chroniqueurs planqués refusent de reconnaître à certains citoyens, c’est de faire la politique autre que celle en vigueur, en mode : celle du pouvoir.

Cela me rappelle les années 80-90, quand des responsables de médias publics (radios, télés, Soleil et Aps) nous bassinaient sur le même thème hypocrite : le journaliste ne doit pas faire de la politique. Pire, le journaliste ne doit pas faire même du syndicalisme, mais se noyer dans les associations. Pourtant, ces hypocrites étaient socialistes, appliquaient avec un zèle d’esclave les politiques, consignes et ordres du régime socialiste. Non, ce qu’ils voulaient dire, c’est qu’il ne fallait pas faire une politique autre que celle en vigueur, celle du Parti socialiste ; qu’il ne fallait de syndicalisme que celui dit « responsable » arrimé au parti unique d’abord, avec des quotas de députés, de ministres. En gros, un syndicalisme qui renforce les chaînes, qui entrave et emprisonne !

Ce sont les mêmes qui se sont recyclés en démocrates et chroniqueurs, la plume et la langue miraculeusement libérées de leurs chaînes dorées d’hier. Ils étaient allés en guerre contre un petit inspecteur des impôts qui était devenu trop bavard en dénonçant tous les prédateurs économiques. Et, ils ont applaudi (c’est leur spécialité, applaudir) quand l’inspecteur Sonko a été radié de la fonction publique.

Que le juge Dème se prépare : les vautours vont lui tomber dessus comme. Ce sera un « mortal combat ». Après notre inspecteur des impôts et empêcheur de dilapider en cachette, nous souhaitons la bienvenue au juge Dème dans le champ d’honneur de la défense de la Justice et des justes causes. Quand le camp des justes s’agrandit, celui des voleurs panique. À juste titre.

Demba Ndiaye, éditorialiste à Seneplus  
 
 

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