Dans un monde où, de plus en plus, se réduit l’espace entre le l’information et le jugement, la prise de parole peut piéger un auteur, peu ou mal préparé. Pour ne l’avoir pas compris, le ministre de l’Intérieur Aly Ngouye Ndiaye a commis une grande erreur de communication. Dans un contexte de suspicion politique aiguë, il a fait passé, malgré lui, une partie de son discours en apparence, anodin, pour une sorte de méthode de fraude électorale. Il n’y a aucun doute, sa langue a dépassé sa pensée. Mais, il s’est désormais installé dans la spirale de la communication paradoxale
Faut-il, pour autant, jeter la pierre au ministre de l’Intérieur Aly Ngouye Ndiaye, après ses dérapages verbaux sur la gestion du processus électoral, sous le prétexte que ce lapsus linguae traduit une réelle volonté de fraude lors de l'élection présidentielle de 2019 ? Ou faut-il banaliser sa dérive communicationnelle inadmissible à ce niveau de responsabilité ? Quelle que soit la posture qu’on veut adopter dans le cas d’espèce, il convient de reconnaître, à sa décharge, une simple question de logique : quand un ministre de l’Intérieur cherche à favoriser de manière illicite, son mentor, il ne le clame pas à la télévision. Surtout pas dans une émission animée par le tonitruant et perspicace Pape Alé Niang. Et de surcroît dans un contexte aussi chargé après les graves dysfonctionnements des législatives de juillet.
En revanche, à sa charge, il est impensable qu’à ce niveau de responsabilité, un ministre de l’Intérieur n’ait pas pu prendre toute la mesure de ses propos. Encore une fois, dans un contexte si lourd de contentieux et de suspicions. Qui plus est, de la part d’un ministre aussi attendu par l’opinion et compulsivement contesté par ses adversaires de l’opposition. Et pourtant, l’onde de choc provoquée par les déclarations du ministre de l’Intérieur prouve à suffisance qu’elles continueront à marquer les esprits. Elles vont encore empester l’atmosphère déjà délétère du climat politique. Elles risquent surtout de prolonger, encore, la conflictualité politique quand les partisans du ministre ripostent à la vague de réprobation par cette lapidaire allégation : «au Sénégal, on ne peut truquer les élections.» Les formes et manières de sacquer la sincérité d’un scrutin ne résident pas seulement dans la manipulation technique du fichier certifié fiable. Elles peuvent provenir de toutes parts, pouvoir comme opposition, tout le long du processus par des moyens plus subtils.
En effet, le simple fait d’annoncer ses intentions de vote constitue une entrave au caractère secret du scrutin. Que devrait-on penser alors d’un ministre qui déclare haut et fort consacrer toute son énergie à faire réélire son candidat-président. Et comble de maladresse, de faire inscrire et livrer sa carte à toute personne pouvant contribuer à réaliser ce dessein répété à tue-tête. En dépit des précautions oratoires prédisant un engagement à garantir la fiabilité du vote, l’activisme débordant du ministre dénude de tout sens et de tout crédit ses bonnes intentions annoncées peu avant l’émission de sa bourde. On ne peut, sans frais, dans une même séquence spatio-temporelle, dire une chose et son contraire, être équitable, équidistant et ouvertement partisan actif.
La raison en est simple. L’ambivalence des propos du ministre oriente ses acharnés adversaires et une bonne partie de l’opinion vers une sorte d’exposition sélective, au nom de laquelle chacun ne voit midi qu’à sa porte. Et que surtout, qu’une sortie partisane induit forcément une perception de parti-pris, de favoritisme, de sectarisme (en faveur de son mentor) au détriment de la majorité, dont un bon nombre peine encore à disposer de sa carte d’électeur. Le dédoublement fonctionnel entre le ministre de la Respublica et le responsable politique d’une association privée (Bennoo Bokk Yaakaar), écarte toute forme de neutralité et n’efface pas l’ambiance et les enjeux de la compétition électorale en filigrane. Cette contorsion discursive comporte son pesant d’ambiguïté quand un ministre cherche au même moment, dans la même séquence médiatique à rassurer des citoyens désemparés par les dysfonctionnements du processus, et exprimer, à haute et intelligible voix, sa loyauté au président de la République sortant. Une telle gymnastique intellectuelle est digne d’un trapéziste sans filet.
En vérité, Aly Ngouye Ndiaye aura appris à ses dépens qu’un ministre de l’Intérieur doit être avare en paroles et très sélectif dans ses sorties médiatiques soigneusement préparées. Il saura plus que jamais qu’il est risqué de vouloir ménager la chèvre et le choux, en mixant trois fonctions de la communication (informer le grand public sur le processus électoral), (convaincre le président Macky Sall de sa loyauté), (mobiliser et influencer l’électorat de Bennoo Bokk Yaakaar pour faire réélire son candidat sortant). Ce choix de mode de communication est à la fois antinomique et asymétrique.
Il ne lui resterait plus qu’à comprendre que la meilleure précaution qu’un homme politique doit prendre avant d’aller à la télévision, ce n’est pas de dire «qu’est-que je dois dire pour plaire» mais bien, qu’est-ce-que «qu'est-ce que je ne dois pas dire pour garder la dignité de la fonction de ministre et la confiance de mes concitoyens.» En somme, il doit éviter que le discours incriminé recoupe la méthode. C’est hélas, la désagréable sensation qu’ont eu les Sénégalais en réécoutant les propos du ministre. Et pourtant, on peut bien comprendre et accepter le décalage entre ce qui a été dit et ce qui a été compris et restitué. Entre le message réel et le message perçu. Suffit-il pour absoudre Aly Ngouye Ndiaye ? Exiger sa démission serait assurément, certes excessif, mais un petit geste d’humilité suffirait à rasséréner les esprits raisonnablement chagrins. Si ce n’est lui, ce serait probablement au président Sall que reviendrait la charge de ramener la sérénité dans la classe politique.
Momar Seyni Ndiaye