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L'essentiel


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DAKAR, LE FORUM DE LA REDONDANCE

POLITIQUE
Mardi 3 Décembre 2019

«Les défis de la belligérance asymétrique ne peuvent être relevés dans l’informel et l’exclusion».


Notre pays a abrité, les 18 et 19 Novembre courant, au centre international de conférences Abdou Diouf, la 6édition du forum de Dakar sur la paix et la sécurité en AfriqueLes initiateurs et organisateurs de cet événement, désormais institutionnalisé, cherchent à l’imposer dans l’agenda mondial des grandes rencontres internationales sur la sécurité. Il est bon et bien de préciser que le forum de Dakar n’est pas réellement une initiative africaine ; c’est une idée de la France soumise aux Africains suite au sommet de l’Elysée sur la paix et la sécurité en Afrique tenu sur le sol hexagonal en Décembre 2013. Le sommet de Dakar a été caractérisé par l’absence des principaux concernés, en l’occurrence, les Chefs d’Etat du Mali, du Burkina-Faso, du Niger, du Nigéria, Tchad, du Cameroun etc…
 
On peut avancer, au moins, quatre explications à cette situation ; il y a d’abord le fait que le forum de Dakar s’est tenu, presqu’aussitôt après celui de Paris qui a enregistré une très forte participation des pays africains, notamment ceux qui sont en belligérance directe avec les terroristes tel que le G5 Sahel ; la deuxième explication est la pertinence et l’opportunité de ce sommet après celui de Macron ou tout a été dit ; la troisième explication peut se résumer dans le fait que le G5 a voulu marquer de manière manifeste sa distanciation par rapport au Sénégal, pays stable non encore victime d’actes terroristes ; quant à la quatrième explication, c’est la volonté, évidente et manifeste des certains pays en conflit avec les terroristes, de denier au Président Macky Sall toute forme de leadership dans la lutte contre le terrorisme, alors que son pays n’a concrètement jamais fait face à ce fléau qui a, non seulement causé des milliers de pertes en vies humaines de morts, mais aussi déstabilisé et déstructuré certains pays. Et puis, pourquoi aller honorer de leur présence, d’ailleurs inutile, une rencontre organisée par un « préfet » comme eux, alors qu’ils viennent tout juste de quitter le maitre Macron ?

Le forum de Dakar souffre de deux tares ; c’est un espace informel de dialogue, ensuite il a une approche élitiste. Son caractère informel fait que ses résolutions et autres recommandations ne peuvent avoir de forces contraignantes, et quant à son approche élitiste, elle exclut du débat les populations principales cibles et victimes des actes terroristes. Il faut une démarche inclusive pour élargir le champ de la réflexion dont personne ne doit avoir le monopole et une grande implication de tous les acteurs sociaux les préconisations de lutte.

Le forum ne doit pas être une affaire exclusive d’experts et décideurs politiques mais une problématique communautaire ou tous les citoyens doivent voix au chapitre. Les pouvoirs publics n’ont de cesse de solliciter la collaboration des populations dans la lutte contre le terrorisme, mais ils ne proposent pas les canaux nécessaires pour le faire ; aussi cet appel normal, légitime et de très bon aloi reste-il le plus souvent sans écho.

Malheureusement, il faut le constater pour le déplorer, ces différents fora organisés sur la paix et la sécurité en Afrique, sont transformés en véritables tribunes de lamentations par les Africains. Les dirigeants de nos pays mettent à profit de telles rencontres pour se plaindre et geindre devant leurs homologues des pays occidentaux ; et c’est l’occasion pour eux, toute honte bue, d’étaler leur misère, leur impécuniosité et solliciter soutien, assistance et financement. Ils oublient souvent que la situation économique catastrophique que vivent leurs pays résulte de leur gestion calamiteuse caractérisée par la gabegie, les détournements de fonds publics, les prédations financières, dont, d’ailleurs, les dirigeants occidentaux ont parfaitement connaissance et l’absence d’une gouvernance sobre et vertueuse.

Il n’est que d’évoquer le cas de ce Président dont le pays est en lutte farouche et soutenue contre le terrorisme, et qui une fois arrivé au pouvoir, n’a eu comme priorité que de s’offrir un nouvel avion qui aurait couté des dizaines de milliards. Il a préféré son confort personnel aux préoccupations sécuritaires de ses concitoyens qui, si on leur avait demandé leurs avis, aurait recommandé qu’autant de milliards fussent dépensés au profit des forces de défense et sécurité.

Outre leur caractère informel, les différents fora s’organisent les uns après les autres sans une véritable évaluation encore moins un suivi conséquent. Un des responsables n’a-t-il pas affirmé que le forum est comme une bibliothèque ou sont exposées des publications à la disposition du public. On peut aisément constater que dans les éditions du forum de Dakar ce sont les sempiternelles ritournelles, des poncifs du genre « Le combat contre le terrorisme au Sahel est à la fois un devoir de solidarité et un impératif de sécurité collective » « La réponse contre le terrorisme est dans les stratégies préventives et durables » (Macky Sall-édition 2019).Déjà, lors de la toute première édition du forum, une des recommandations était de mettre l’accent sur une vision commune, sur l’élaboration et sur la mise en œuvre de solutions africaines.

La deuxième édition du forum avait fait les recommandations suivantes : « IL est impératif de l’approche globale et multidimensionnelle », « Les menaces, qui nous affectent tous, sont complexes, sournoises et plurielles.Pour lutter efficace ment contre elles, il est nécessaire de recourir impérativement à la recherche conjointe de renseignements, à tous les niveaux, sur tous les plans et à toutes les échelles, à l’investissement dnouvelles technologies informatiques, tout en cultivant une approche globale des problèmes », « Il est indispensable de réussir à constituer l’Armée africaine ».

Comme j’ai eu à l’affirmer, absolument rien de nouveau, c’est le même discours qui prévaut depuis la première édition du Forum de Dakar en 2014, prenant les allures d’un rituel incantatoire ; ce pédalage à vide n’est rien de moins que la manifestation et la traduction de l’incapacité et de l’incurie des Etats africains à se prendre en charge et à assurer leur propre sécurité. Cela dénote aussi, et de manière on ne peut plus criarde, une véritable absence de stratégie qui résulte d’un manque total de vision de nos dirigeants pour la définition d’une politique sécuritaire commune tant au niveau régional qu’à l’échelle continentale. Une des recommandations de la cinquième édition du forum de Dakar n’était-elle pas de demander à l’Afrique de ne pas sous-traiter encore moins déléguer sa sécurité ; malheureusement le constat est là et amer, ce sont les occidentaux qui assurent notre sécurité.

Comme forte recommandation, lors d’une des précédentes éditions, il a été demandé la création « d’une force d’intervention africaine opérationnelle qui fasse montre d’une réactivité appropriée à faire rapidement face aux crises ». Cette recommandation, pourtant pratique et salutaire, n’a jusqu’à présent pas pu voir le jour. Le projet de constitution d’une armée africaine se heurte à des considérations liées à l’étroitesse d’esprit et de vue de nos dirigeants, à l’attachement égoïste et maladif à leurs souverainetés factices et à l’indépendance entravée de leurs minuscules pays.

Dans la guerre contre le terrorisme, ce sont les pays occidentaux, pourvoyeurs de fonds qui pensent à notre place et définissent les stratégies souvent inadaptées à la réalité du terrain et à la complexité des enjeux. Il suffit tout simplement de se référer à ce qui se passe au Mali pour illustrer nos propos ; on est passé de « Serval » à « Barkhane » avec parallèlement la mise en place du G5, pour ensuite initier une jonction « Barkhane-G5 » et finir aujourd’hui par envisager l’intervention de forces spéciales multinationales.

L’Union européenne, si les pays africains bénéficiaient d’une véritable autonomie d’actiondevrait être dans une posture d’appui et de soutien et non de prise en charge directe de leur sécurité. Il se pose au niveau des forces de défense et de sécurité de la plupart des pays africains un véritable problème d’adaptation et de mise à niveau ; et comme le disait le Docteur Cheikh Tidiane Gadio, « Les Etats doivent réviser de fond en comble leurs doctrines en matière de sécurité puisque le danger n’est plus l’Etat voisin et ses conflits internes mais plutôt les nouvelles menaces hybrides adossées à l’économie criminelle ».

Le cas du G5 Sahel est très symptomatique de l’incohérence, de l’incongruité et de l’absence de logique stratégique dans la démarche des pays africains Comment peut-on penser, concevoir et imaginer un seul instant qu’il soit possible d’exclure le Sénégal d’une telle structure ? Bien que non encore agressé par les terroristes, le Sénégal n’en est pas moins sous une menace potentielle ; il partage la même sphère géographique, les mêmes frontières physiques, les mêmes communautés ethniques, religieuses et les mêmes traditions culturelles que certains des pays du G5.

Comme il est aisé de le constater, il n’y a aucune raison valable à même de justifier la mise à l’écart de notre pays de cette structure, l’exclusion du Sénégal ne peut s’expliquer que par des raisons subjectives relevant de considérations crypto-personnelles entre dirigeants. Cet état de fait est totalement contraire aux recommandations du forum international de Dakar tenu les 9 et 10 novembre 2015 qui demandait aux pays africains « de travailler à l’amélioration de la coopération inter-étatique et de cultiver la solidarité pour vivre ensemble dans une même communauté politique et économique durable» ; le Sénégal devrait logiquement intégrer le G5. 
Il y a tout lieu de préciser qu’initialement le G5 ne s’inscrivait pas dans une approche polémologique, c’est plus tard qu’il s’est inscrit dans une dynamique belliciste.

Outre l’aspect miliaire qui avait pour mission principale de protéger et de surveiller les frontières, le G5 devait promouvoir la bonne gouvernance, l’Etat de droits, le respect des droits humains, le développement économique, l’inclusion sociale, un véritable projet de société qui a pris en compte toute la dimension holistique des enjeux de la menace et ou le Sénégal avait sa place. C’est d’autant plus vrai que les dirigeants des pays du G5 Sahel auraient tout intérêt à s’inspirer la pertinence de certaines politiques publiques du Président Macky Sall, notamment le PUDC, le PUMA etc… Ces programmes, bien que présentant des lacunes dans la conception qui n’a pas été inclusive, dans le financement mal étudié, ce qui explique l’arrêt des travaux et dans la réalisation, parce que pour des raisons politiciennes certaines localités ont été favorisées et d’autres zappées, sont bons par rapport à leurs objectifs, nobles sur le principe. Il s’agit de réduire les inégalités et de corriger la fracture entre les zones rurales et les centres urbains ; c’est d’autant plus pertinent qu’il est de notoriété publique que les terroristes trouvent dans l’absence de la puissance, une occasion opportune pour s’implanter.

L’absence de la puissance publique, de l’Etat crée chez les populations un sentiment d’exclusion, de rejet et d’abandon. Les terroristes profitent de cette défaillance des pouvoirs publics pour créer et installer des structures proto étatiques appréciées par les populations. Ces investissements en faveur des populations locales permettent aux djihadistes de développer leur rhétorique à laquelle celles-ci seront de plus en plus réceptives, les amenant progressivement à être des sympathisants, ensuite des militants actifs pour finalement devenir des combattants. 

Tout juste après le forum, s’est tenu, toujours à Dakar, une rencontre pour vanter l’Agence d’assistance à la sécurité de proximité comme un modèle de bonnes pratiques qui pourrait être étendu dans certains pays. L’Agence a été créée pour la mise en œuvre de la Gouvernance sécuritaire de proximité initiée par le Président Macky Sall comme élément paradigmatique innovant pour une meilleure prise en charge des besoins sécuritaires de Sénégalais ; malheureusement, l’amer constat est là et sans appel, l’insécurité gagne du terrain. Elle se manifeste en intensité, en diversité, en propagation géographique et en récurrence. Dans la lutte contre le terrorisme, tout le monde, y compris le boutiquier du coin, déclare doctement qu’il faut mettre l’accent sur le renseignement, notamment le renseignement humain. Et à ce niveau, l’Agence d’assistance à la sécurité de proximité aurait pu jouer un rôle appréciable par l’exploitation intelligente de ses atouts :
-son effectif qui fait l’équivalent de dix bataillons ;
-la relative jeunesse des agents ;
-un maillage national à nul autre pareil, excepté les enseignants ;
-une immersion sociale et sociétale immédiatement exploitable ;
-une matrice d’activité, la prévention ;
 -une approche tactique, la proximité

Espérons que les pouvoirs publics voudront bien tenir compte de ces constats ; le cas échéant, c’est tout simplement une affaire d’organisation, de structuration fonctionnelle et de formation de mise à niveau. Les ASP, tout comme les populations, doivent être mis à contribution pour permettre à la communauté du renseignement de toujours et constamment disposer d’une grande masse critique d’informations à la base et en temps réel. 

Le forum de Dakar ne me parait pas d’une grande pertinence ni d’une utilité quelconque tant que le présent format sera adopté. Réunir des centaines  de personnes pour discuter de manière informelle sur un sujet comme la lutte contre le terrorisme, alors que tout le monde sait qu’il fait l’objet quotidiennement  de rapports et d’études de la part des agences en charge de lutter contre, n’est ni efficace ni productif.

Et pourquoi n’organiserait-on des fora au niveau national pour informer les populations, les sensibiliser et leur donner le minimum de connaissances pratiques pour pouvoir déceler de manière précoce, les signes d’alerte. Il faut développer la résilience des populations et les amener à considérer la dénonciation de suspects comme un acte civique.

Il faut aller au-delà du simple discours pour la mise place de plateformes d’échanges et de partage ; l’élitisme ainsi que la sanctuarisation ne doivent pas être de mise, même s’il faut admettre des limites que l’on ne saurait franchir sous aucun prétexte. La sécurité, notamment les renseignements, c’est une affaire de professionnels.

Boubacar SADIO
Commissaire divisionnaire de police de
Classe exceptionnelle à la retraite
 

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