Ainsi le juge Malick Lamotte dans un climat tendu de méfiance et de défiance a prononcé laborieusement ce que tout le monde savait déjà : la condamnation de Khalifa Sall (KS), député et maire de Dakar à une peine privative de liberté et de ses droits civiques dans le but de l’éliminer aux prochaines joutes électorale de février 2019. Le Secrétaire général du Gouvernement, Seydou Guèye, l’a corroboré aux ondes de RFI le soir de la condamnation du maire de Dakar.
Pour les délits de «faux et usage de faux» et «escroquerie portant sur des fonds publics», il a été condamné à cinq ans de prison ferme assortis d’une amende de 5 millions de francs CFA, avec la saisie de 1/5 de ses biens. Il est, en revanche, relaxé des chefs d’inculpation d’«association de malfaiteurs», de «détournement de deniers publics » et de « blanchiment de capitaux». Le juge Lamotte, n’ayant pas statué in limine litis (dès le début du procès) sur ces exceptions qui auraient pu annuler la procédure, les a toutes déclarées irrecevables. Tout le monde s’y attendait puisqu’il était impensable avec toutes ces péripéties qui ont abouti au jugement que le président du Tribunal de Grande instance de Dakar acceptât une exception qui allait remettre les compteurs à zéro et libérer de jure comme de facto Khalifa Sall.
Loin de remettre en cause l’autorité de la chose jugée, une analyse du verdict s’impose. Même si on constate l’existence de fausses factures dans cette affaire, on ne peut attester qu’il y ait délit d’escroquerie si «l'escroquerie est le fait de tromper une personne physique ou morale et de l'inciter ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge». Dans la confection de fausses factures à la mairie de Dakar, jamais il n’y a eu intention de tromper qui que ce soit. C’est une commodité comptable établie depuis des décennies à la mairie de Dakar pour venir rapidement en aide à des personnes ou services de l’Etat nécessiteuses. Et le recours à l’interprétation téléologique de l’usage de ce qui est appelé «fausses factures» pour assister des populations dans le besoin ou appuyer certains services de l’Etat aurait pu permettre à l’intime conviction du juge de rejeter le délit d’escroquerie qui condamne le premier magistrat de Dakar à une peine minimale de cinq ans.
Ce qui est étonnant dans le délibéré de Lamotte, nulle part, il n’est mentionné le remboursement des 1,8 milliards de FCFA pour lesquels le maire de Dakar a été condamné. Etant donné que la mairie a subi un tel préjudice, elle devait, à son tour, être remboursée jusqu’au dernier centime indépendamment des autres intérêts de retard afférents. Si l’on se fie à la sentence du juge, ni l’Etat ni la Mairie de Dakar n’a subi un préjudice dans cette affaire KS. Donc il n’y eu aucune victime dans cette escroquerie. C’est ce qui nous amène à souligner l’incohérence disproportionnelle entre les chefs d’inculpation retenus et l’amende pécuniaire. Conformément aux articles 30 et 31 du Code pénal, les biens saisis du détenu sont dévolus au bénéfice de la Nation. Si le juge fait abstraction du dommage pécuniaire qu’aurait subi la mairie de Dakar et n’exige aucune réparation à part les 5 millions et le 1/5 des biens de KS pour la Nation, cela revient à dire que le mobile principale de l’arrestation du maire Sall (escroquerie portant sur des fonds publics) devenu, in fine, roupie de sansonnet lors de l’audience de jugement se présente aux yeux des Sénégalais comme un prétexte lâche et vil pour appréhender un adversaire politique redoutable du président de la République sortant.
Le juge démissionnaire Ibrahima Hamidou Dème a déclaré que la finalité d’un procès doit être exemplaire. C’est donc dire qu’au sortir de ce procès, la sentence prise devait servir de paradigme à la société. Mais si le procès laisse place à une rancœur et une rancune tenaces, une haine vengeresse à ce peuple au nom de qui la justice doit être rendue, il y a lieu de se poser de se poser des questions sur le fonctionnement de nos juridictions ou mieux sur ceux-là qui sont chargé de dire le droit en toute indépendance dans ces sanctuaires juridiques. Les réactions protestataires ouvertes et les grognes bourdonnantes des Sénégalais qui ont assisté à l’audience au point de pousser Lamotte et ses assesseurs à prendre la poudre d’escampette pour des raisons sécuritaires est un indice de désapprobation et de dénégation de la sentence qui prolonge le séjour carcéral de KS pour quatre ans encore.
Par conséquent, nous réitérons notre position inflexible sur la nature politique de cette mascarade judiciaire. En dépit des dénégations de certains acteurs judiciaires et politiciens du pouvoir, tous les Sénégalais restent convaincus que dans ce procès, le juge s’est intéressé plus à l’auteur de l’infraction que les faits véniels commis. La proximité de Lamotte avec l’ex-Garde des Sceaux depuis sa nomination comme Président du TGI Hors classe de Dakar par Macky Sall au 4e trimestre de 2015 via Sidiki Kaba est un fait établi. Ce dernier l’avait nommé Directeur de cabinet à son poste de coordonnateur à la CPI à New York, en sa qualité de Président de l’Assemblée générale des Etats membres de la Cour pénale internationale (CPI).
L’indépendance de la justice encore mise à nu
Et tout cela laissait planer le doute sur son indépendance et sa neutralité à piloter le dossier KS. En sus, le juge Lamotte a été cité par le journaliste Pape Alé Niang dans une de ses chroniques comme ayant fait partie de cette fameuse réunion des magistrats qui se sont réunis au palais en une sorte de Cour d’assises pour faire l’avant-procès du maire de Dakar avant même le déclenchement de l’action publique. Si le procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, et le Doyen des juges, Samba Sall, ont livré poings et pieds liés le prévenu Khalifa au juge Lamotte qui l’a condamné à la potence, il reste que les derniers coups de grâce seront donnés par les chefs des juridictions d’appel auxquels feront recours désespérément les conseils de KS. Un assassinat politique doit être parfait. Une chose est sure, cette affaire Khalifa Sall ne trainera ni au niveau de la Cour d’appel, ni au niveau de la Cour suprême. Il n’est pas question d’ouvrir le plus petit boulevard interstitiel au prisonnier Khalifa Sall qui puisse lui permettre de se mettre dans les starting-blocks pour prendre le départ au même moment que le président de la République, lequel est à l’alpha et l’oméga de son incarcération.
Ce procès de Khalifa Sall laissera des taches noires indélébiles sur la toge noble de la magistrature sénégalaise. Il est avéré que dans ce procès, l’Exécutif avec son appendice l’Assemblée nationale godillot s’est ligué avec le pouvoir judiciaire pour écarter un adversaire politique du chef de la Magistrature sénégalaise. C’est l’affaissement d’un pilier essentiel de la démocratie, l’effondrement de l’Etat de droit. Aujourd’hui le dernier rempart qui doit protéger les faibles des forts a cédé sous le poids de l’Exécutif. Et un système d’impunité et d’iniquité ne peut qu’encourager un climat de révolte au sein d'un Etat démocratique.
Cette tragi-comédie politico-judiciaire a fini par mettre à nu la soumission du palais de justice au palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor. En aucun moment dans cette affaire Khalifa Sall, ceux qui doivent être les bouches de la loi ont fait preuve d’une réelle neutralité. Du début à la fin de la procédure, aucun droit du prévenu n’a jamais été respecté. Le plus banal est celui relatif à l’assistance et la défense par un avocat lors de l’interrogatoire de première comparution, selon les dispositions de l’article 5 du règlement n°05/CM/UEMOA du Règlement relatif à l'harmonisation des règles régissant la profession d'avocat dans l'espace UEMOA et selon l’article 55 du Code de Procédure pénale. A cela s’ajoute son immunité parlementaire dès lors que le Conseil constitutionnel par décision du 14 août 2017, a reconnu Khalifa Sall, élu à l’Assemblée nationale. Par conséquent, conformément aux dispositions de l’article 61 de la Constitution et de l’article 51 de la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale, son immunité parlementaire devait lui ouvrir la porte de sortie de Rebeuss. Mais que nenni ! Le juge instructeur, par sa seule volonté ou selon les desiderata du Prince, l’a maintenu en prison.
Pour terminer, nous invitons ceux qui sont chargés de prononcer la justice au nom du peuple et non au nom d’une personne traumatisée et aveuglée par une réélection au premier tour à la présidentielle de 2019 à méditer sur ce texte très actuel du 17 mars 1939 du Journal (pages 21-22) de l’avocat français Maurice Garçon (1889-1967), lequel s’est prononcé avec véhémence sur l’indépendance de la magistrature française dans son œuvre où il compilait chaque soir les événements, petits et grands, dont il était le témoin ou l’acteur : «Pour les magistrats, la décoration ou l’avancement en font des valets. Ils sont lâches, trembleurs et pusillanimes. Ils ont peur de leur ombre dès que se manifeste une intervention un peu puissante. Toutes les palinodies leur sont bonnes lorsqu’il s’agit de flatter le pouvoir. Leur prétendue indépendance dont ils parlent est une plaisanterie. Plus ils gravissent les échelons des honneurs, plus ils sont serviles. Qu'y a-t-il de plus servile et plus lâche qu'un magistrat ? L'indépendance de la magistrature (...) est une chimère, et une chimère dangereuse parce qu'on l'entretient et que tout le monde y croit. La vérité est bien plus triste. Les magistrats, pour la plus grande majorité, sont des hommes ambitieux qui estiment que leur carrière est fonction de leur obéissance aveugle au pouvoir quel qu'il soit. Ils condamnent sur ordre ou, du moins, selon la tendance des maîtres de l'heure.
…Mais pour faire la grande carrière, il faut avoir accumulé tant de platitudes qu’on peut dire que leur bassesse est proportionnelle à leur élévation (…)
Si le gouvernement change, ils se mettront au service de celui qui tient présentement le pouvoir et jetteront impitoyablement en prison ceux dont quinze jours avant ils léchaient encore les bottes et auxquels ils doivent ce qu’ils sont.»