A travers le monde, certains pays commencent peu à peu à rouvrir les portes de leurs écoles. C’est le cas de la Chine, Danemark, Suède, Island, Roumanie, etc. D’autres ont décidé de renvoyer leur réouverture au mois de Septembre : c’est le cas de l’Italie, Portugal, Espagne et l’Irlande. Dans notre pays, le président Macky SALL avait pris un décret fermant les établissements scolaires et universitaires à partir du lundi 16 mars 2020 jusqu’à nouvel ordre. Depuis, un vent souffle sur la communauté éducative avec un fort parfum de « ni classes ni vacances ». Et pour cause… les portes de l’école verrouillées par le COVID 19 « jusqu’à nouvel ordre », cette formule qui installe définitivement dans le flou artistique toute perspective d’une année scolaire harmonieuse.
Et pourtant, depuis quelques jours, un débat est alimenté dans les réseaux sociaux concernant la reprise des cours dans nos établissements scolaires. D’ailleurs, des posts dont la paternité est souvent prêtée au Ministère de l’Education occupent une bonne place dans les partages entre internautes, même si l’information a été vite démentie par l’autorité. Pourrait-ce être un ballon de sonde pour avoir l’avis des sénégalais ?
Etant donné que tout porte à croire que l’Ecole pourrait être un foyer de prédilection du COVID, sa réouverture prématurée constituerait un véritable danger pour les populations. La situation inédite que vivent parents et élèves s’est, à ce moment, traduite en une sorte de stress nationale. La peur d’être infecté ou de transmettre le virus aux autres a presque rompu pour les citoyens, la chaîne de commerce social. Le sentiment d’isolement, la frustration et l’ennui ne cessent de malmener nos écoliers « confinés ». Il s’y ajoute chez les parents d’élèves avertis, l’absence de clarté sur les niveaux de risque et le manque de transparence sur la sévérité de la pandémie. Qui plus est, l’écho favorable chez certaines personnes des théories complotistes, qui pullulent sur internet, vient alourdir la couche brumeuse qui enveloppe le travail de sensibilisation porté par les personnels de santé et les pouvoirs publics. Il s’avère donc normal que dans ce grand tohu-bohu, certains esprits soient tentés de proposer la reprise du chemin des classes.
C’est vrai, la France a pris la décision d’aller vers un déconfinement progressif à partir du 11 mai prochain. Mais, la France n’est pas le Sénégal. D’ailleurs, ni la violence de pénétration ni la vitesse de propagation du virus n’ont été les mêmes de part et d’autre. La France avait pris l’option du confinement, le Sénégal a fait le pari de « l’état d’urgence ». La France rouvre ses écoles parce qu’avec le déconfinement, les parents travailleurs ne peuvent plus garder les enfants à la maison. Est-ce le cas du Sénégal ? Dès lors, l’idée abjecte qui circule, de vouloir « tenter le diable » ne serait pas opportune. L’école est une bombe à retardement compte tenu de la vulnérabilité des cibles qui la fréquente. Toutefois, nous ne prônons pas l’isolement dans le choix des bonnes pratiques. Bien au contraire, il serait profitable pour le Ministre de l’Education de prendre le temps d’étudier les mesures prises par les pays déjà déconfinés (Danemark,Chine, …) afin de prendre des décisions les plus adaptées à la crise sanitaire au Sénégal.
En tous les cas, le respect de certains préalables s’impose pour une bonne reprise des cours. Les bâtiments des écoles devront être entièrement désinfectés et totalement réorganisés. Les classes physiques seront divisées par deux ou trois, du fait d’une nécessaire réduction des effectifs. Les nombres d’élèves par classe seront allégés au nom du respect de la sacrosainte distanciation sociale. Aussi, les nouvelles tailles des effectifs commandent-elles des préalables de formations. Le maître d’école qui avait démarré l’année scolaire avec un effectif de cinquante élèves et qui se retrouve avec une classe éclatée en trois cohortes (deux de quinze apprenants chacune, et une de vingt, par exemple), a-t-il forcément le bagage pédagogique nécessaire pour gérer une classe à double voire triple flux ? Sa formation initiale ne l’y avait pas prédestiné, car nul ne s’y était préparé. C’est presque par hasard que tout cela nous frappe de plein fouet. Hélas, le hasard ne favorise que les esprits préparés. Et les enseignants devront puiser du plus profond de leur génie pour s’en sortir. Compte tenu de la position de l’enseignant dans le dispositif de riposte, le ministère devra impliquer les syndicats d’enseignants, en amont de toutes définitions de stratégies de reprise.
Pour les enfants de l’élémentaire ou de la maternelle, à qui on avait demandé de rester à la maison, parce qu’une dangereuse maladie sévissait, on va leur dire : «il y a toujours la maladie, mais vous allez y retourner quand même ? » Il est évident qu’ils ne pourront pas reprendre les cours sans courir le risque d’ouvrir la voie à une pulvérisation des records de contamination. Nos enseignants se posent déjà des questions légitimes. Comment va-t-on arriver à imposer des gants et des masques à des élèves de 3 ans ? Comment peut-on exiger d’un enfant, le maintien strict de la distanciation sociale dans une cours de récréation ? Comment le maître pourra-t-il s’assurer que l’apprenant se lave les mains régulièrement ? D’ailleurs, ce lavage de mains sera loin d’être une mince affaire, puisque les enfants devront se les laver à leur arrivée, puis au moins une fois toutes les deux heures, pendant une minute à chaque fois. Quid du port obligatoire du masque ? On ne le dira jamais assez, la réouverture précoce des classes conduirait inévitablement à une rapide explosion de l’épidémie, compte tenu de la fragilité et de la vulnérabilité des sujets.
Les paramètres sont nombreux à gérer pour la reprise du chemin des classes pour les enfants alors que l’épidémie de coronavirus sévit toujours. Cela relève du cauchemar logistique. Notre école est «la société sénégalaise en miniature » a-t-on l’habitude de dire. Les mêmes maux sévissent de part et d’autre. Et le mode de comportement de nos enfants, entre eux, défie les barrières quelles qu’elles soient. Dès lors, les inquiétudes sont nombreuses quant à la reprise, car l’on ne peut refuser à la société ce que l’on tolère à l’école. Comment laisser des enfants être ensemble, à plus d’une centaine, dans des cours de récréation, souvent avec des petits qui ne peuvent pas respecter des gestes barrières, alors que, dans le même temps, on demande aux parents de réduire les déplacements en restant à la maison ? Les bus de transport d’élèves, n’en parlons même.
La réouverture prématurée des écoles sera un acte de relâchement national. Et au moment où le Président de la République Macky SALL appelle à un véritable sursaut pour vaincre le COVID 19, il serait incompréhensible que le secteur de l’éducation s’érige en terreau fertile pour cette maladie. Par ailleurs, pour nombre de techniciens de l’éducation, une éventuelle prochaine reprise des cours, à l’état actuel de la propagation du virus, pourrait apparaître déraisonnable et en partie incompréhensible.
In fine, la réouverture des établissements scolaires en France, prévue le 11 mai, ne doit en aucune manière influencer le rythme de progression des décisions du Ministère de l’Education nationale sénégalaise. Nous savons pertinemment que les mesures sanitaires dans nos établissements ne seront ni suffisantes ni assez promptes pour éviter l’explosion de l’épidémie. Le temps médical n’est pas le temps politique, mais puisque la fermeture des écoles était une décision de l’autorité politique fondée sur des avis médicaux et scientifiques, nous nous ferons le métier de croire que toute proposition politique de sortie de crise sera chevillée à un avis de l’autorité sanitaire. Notre chance est de continuer à adosser les mesures prises dans le domaine de la lutte contre cette pandémie aux «suggestions et conclusions des médecins et des scientifiques ».
Lamine Aysa FALL
Citoyen de la Commune de Thiès