Venu de Ndiaganiao, en pays sérère, issu d’un milieu extrêmement modeste mais propulsé dans la haute administration sénégalaise grâce à de brillantes études rendues possibles par l’école publique avant d’accéder à la présidence de la République, Bassirou Diomaye Faye est un pur produit de l’ascenseur social sénégalais. Lequel fonctionne à merveille 64 ans après l’indépendance de notre pays, ce dont il convient de se féliciter.
Les Sénégalais doivent conserver jalousement ce modèle social de méritocratie républicaine qui donne leurs chances à tous les citoyens de ce pays d’accéder aux responsabilités les plus élevées et à toutes les charges indépendamment de leur fortune ou de leur naissance. Pourvu que l’on travaille dur, à la force du poignet on peut y parvenir aux plus hautes cimes. De ce point de vue, la success story de Bassirou Diomaye Faye et celle de son prédécesseur Macky Sall sont à inscrire en lettres d’or dans la saga de notre jeune Nation. Sans écouter les Cassandres mais aussi les sarcasmes de ceux qui raillaient voire parlaient avec mépris de ce « petit Sérère », de ces « aventuriers » et autres « inexpérimentés », les Sénégalais ont choisi parmi les 19 candidats en lice celui qui leur semblait le meilleur sous tous rapports c’est-à-dire le plus intègre, le plus humble, le plus sincère étant donné que de sa compétence ainsi que sa capacité à bien diriger ce pays, ils n’en ont jamais douté.
Personnellement, c’est les yeux fermés que j’ai voté pour le nouveau président parce qu’il m’a convaincu et parce que le combat mené par son parti depuis sa création, sous la houlette d’Ousmane Sonko, m’était sympathique. Il me rappelait en tous points celui qu’en 1988, des idéalistes comme moi (mais aussi Me Cheikh Koureyssi Ba, Me Ousmane Ngom, Pape Samba Mboup, Cheikh Tidiane Touré, feu Abdoulaye Faye, Mody Sy, Clédor Sène et autres) avions mené dans les années de braise du « Sopi » contre le pouvoir socialiste.
L’injustice subie par ce parti (Pastef), les complots contre son principal dirigeant, la répression sanglante dont il a été l’objet, sa dissolution pure et simple…tout cela a contribué à me révolter.
Bassirou Diomaye Faye a été élu et bien élu mais c’est maintenant seulement que le boulot commence pour lui. Il n’aura pas droit à un état de grâce tellement les attentes sont nombreuses, pressantes et les urgences multiples. Au premier rang de ces problèmes, l’économie qui se trouve presque en cessation de paiement malgré les belles statistiques sans cesse exhibées par le régime sortant.
Dette stratosphérique, recettes en berne, dépenses qui explosent, masse salariale exponentielle, subventions ruineuses…Le tableau est effrayant. Il faudra effectuer des coupes claires pour ne pas dire qu’à court terme, un ajustement structurel nous paraît inévitable. Pour cela, il faudra tenir un langage de vérité aux populations dès le départ en leur faisant une présentation sans fard de l’héritage en matière économique pour leur faire accepter d’inévitables sacrifices. Un des moyens de faire accepter la pilule, ce sera bien sûr de prêcher par l’exemple et de diminuer immédiatement le train de vie de l’Etat en supprimant des institutions budgétivores et inutiles comme le CESE, le HCCT, la Commission pour le dialogue des territoires et autres machins destinés à caser une clientèle politique parasitaire. Cela tombe bien et bonne nouvelle puisqu’il paraît que cela fait partie des priorités de nos nouveaux dirigeants. Il leur faudra aussi faire subir une cure d’amaigrissement au parc automobile de l’Etat en roulant modeste.
Fini, les véhicules 4x4 ou 8x8 à 60 millions, 80 millions voire 100 millions de francs ! Dans un pays parmi les plus pauvres au monde, rouler dans de tels carrosses, c’est assurément insulter le peuple. Pour le reste, c’est bien beau de vouloir réaliser la réconciliation nationale mais elle ne devrait pas se faire au détriment de la reddition des comptes et de la justice. Quelques têtes de voleurs du régime sortant devront donc absolument être offertes en offrande au peuple sous peine de voir les nouveaux dirigeants accusés de complicité avec des criminels économiques. Ce ne sont là bien sûr que quelques exemples de ce qu’il conviendra de faire dès les premiers jours étant donné que Pastef dispose d’un excellent projet sur la base duquel les Sénégalais ont plébiscité son candidat. Au vu de la maestria avec laquelle ce parti à mené son combat contre le régime maffieux de Benno Bokk Yaakar, de la manière admirable (à bluffer les old fashioned comme moi !) avec laquelle ses jeunes maîtrisent le numérique, principalement les réseaux sociaux, de la cohorte de cadres très bien formés dont il dispose, de son excellent programme sur lequel ont cogité de brillants cerveaux, je ne doute pas un instant que ce parti sache ce qu’il a à faire. N’étant pas moi-même un consultant de Pastef, je me contenterai donc de quelques généralités en guise de viatique.
Dream team et banquet de la République
Le président Bassirou Diomaye Faye devra démarrer au quart de tour. Pour cela, il lui faudra choisir des ministres immédiatement opérationnels car les Sénégalais ne leur donneront pas le temps d’apprendre. C’est au pied du mur qu’on reconnaît le maçon et ces ministres devront faire très vite leurs preuves. Il lui faudra donc choisir les meilleurs, constituer une dream team pour s’attaquer immédiatement à la résolution des problèmes des Sénégalais. Certes, des centaines voire des milliers de militants ont investi dans le « projet », que ce soit sur le plan intellectuel, sur le plan matériel ou surtout financier, s’ils ne se sont investis physiquement. D’aucuns parmi eux ont payé leur engagement par l’emprisonnement, la perte de leur emploi ou la privation de revenus. Je ne parle évidemment pas de ceux qui ont été tués. Tous ces gens veulent donc un retour sur investissement et leur part du gâteau. Ils exigent leur place au banquet de la République. C’est normal, légitime puisqu’ils ont misé et gagné. Ce n’est donc que justice qu’ils soient rétribués. Seulement voilà, il faudra faire la part des choses et trouver le juste équilibre entre la nécessité de récompenser les militants et les alliés, d’une part, l’impératif de produire des résultats au niveau de l’Etat de l’autre ! Une des choses qui ont le plus perdu le président Macky Sall c’est sa fâcheuse propension à politiser toutes les directions des ministères, toutes les directions générales de sociétés nationales et des agences, toutes les régies financières, toutes les ambassades…bref tout. Qu’importe que l’on soit incompétent pourvu que l’on ait la carte de membre de l’Apr ou que l’on soit estampillé Benno Bokk Yaakar ! Avec les piètres résultats que l’on sait. Si le président Bassirou Diomaye Faye pouvait systématiser l’appel à candidatures pour les fonctions les plus importantes, cela l’aiderait grandement à obtenir de bons résultats ! Mais là aussi pas de panique, ça figure dans son programme.
Encore une fois, cinq ans ça passe très vite et c’est dès maintenant qu’il faut poser des actes forts pour la réussite du quinquennat. L’on sait que généralement les présidents disposent des 100 premiers jours suivant leur accession au pouvoir pour mettre en œuvre les grandes réformes de leur magistère parce qu’après c’est très compliqué. Pour ne pas prêter le flanc à leurs adversaires de l’Apr-Benno, qui voudront très vite instruire leur procès en incompétence, les nouvelles autorités devront agir vite et donner des résultats. Ils devront démentir l’adage selon lequel il n’y a jamais deux sans trois. Après le désastre du passage au pouvoir des islamistes d’Ennahda chassés du pouvoir par les Tunisiens au vu de leur incompétence manifeste, de celui des Frères musulmans du Caire où la révolte du peuple égyptien contre le président Mohamed Morsi a entraîné la prise du pouvoir par les militaires, nos nouveaux maîtres taxés de salafistes par leurs adversaires devront avoir à cœur de réussir.
Créer des centaines de Sedima et ne surtout pas supprimer les fonds politiques !
Oh certes, encore une fois, en cinq ans il n’est pas possible de faire des miracles quand on sait le temps nécessaire pour réaliser un bon projet, de sa conception à sa mise en œuvre en passant par la recherche de financements (il faudra compter avec les procédures bureaucratiques des institutions ou organismes de financement !) surtout qu’au bout de la quatrième année il faudra déjà se mettre en campagne pour une éventuelle réélection. Créer des centaines de milliers voire un million d’emplois durant un quinquennat, ça relève de la légende et il faudra faire des promesses réalistes à nos compatriotes. Leur dire surtout que tout le monde ne pourra pas accéder à l’emploi salarié. C’est surtout dans l’agriculture — n’en déplaise au nouveau président de la République mais il lui faudra encourager la création de dizaines de Sedima à travers le pays car les Prodac ne sont que des variantes tropicales Sovkhoz, ces fermes d’Etat de l’ère soviétique. Autrement dit, des gouffres à milliards. Dans l’agriculture stricto sensu, donc mais aussi dans l’artisanat, la pêche, l’auto-emploi qu’il sera possible d’insérer les milliers de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi. Encore qu’il faudra bien oser briser le tabou de notre démographie galopante dont aucun taux de croissance au monde n’arrivera à neutraliser les effets.
Pour le reste, Bassirou Diomaye Faye bénéficie d’atouts non négligeables dont le moindre n’est pas le fait d’avoir été élu sans le soutien des marabouts qui ne pourront donc pas prétendre que ce sont leurs prières qui l’ont porté au pouvoir. Il ne leur doit absolument rien et c’est tant mieux ainsi. Il devra aussi se méfier des griots, communicateurs traditionnels et autres courtisans — bref des « toog muy dokh — qui vont lui tisser une légende tellement dorée, changer ses louanges à un point tel qu’il pourrait croire être un demi-dieu ! S’il ne serait pas Dieu le Père lui-même. Sa porte devra être hermétiquement fermée aux transhumants qui ne pourront que polluer sa gouvernance et le fâcher avec le peuple qui l’a plébiscité. Avec le pouvoir arriveront de nouveaux amis, des lobbyistes de tout poil, des investisseurs tenant des mallettes remplies d’argent. Les signatures de quelques-uns d’entre nos nouveaux maîtres vaudront des milliards, tout le monde sera à leurs pieds, le tapis rouge sera déroulé partout au président Bassirou Diomaye Faye qui, par un décret, un acte, un coup de fil pourra changer radicalement la vie de ses sujets. Difficile de résister à toutes les tentations surtout à l’argent dans un pays où c’est le président de la République qui doit régler tous les problèmes avec des fonds politiques qui ne pourront même pas tenir un mois tellement les sollicitations sont nombreuses. De ce point de vue, je me demande si la promesse de supprimer les fonds politiques n’est pas un peu trop démagogique. Que le nouveau président de la République y réfléchisse à deux fois avant d’appliquer cette promesse ! Surtout, on est tenté de donner à son excellence Bassirou Diomaye Faye ce conseil que donna Mohamed Ali, le grand champion de boxe, à son adversaire Ken Norton qui lui avait cassé la mâchoire au cours d’un combat mémorable. Ce dernier étant venu le voir à l’hôpital les jours suivants, Ali lui avait dit en serrant les dents: « méfie-toi des croqueuses de diamants » ! Eh oui, Bassirou Diomaye, Ousmane Sonko et autres devront se méfier des putains de la République mais de toutes façons elles sont dans les allées de tous les pouvoirs du monde !
Personnellement, tant qu’ils seront dans une ligne de défense absolue de la souveraineté nationale sur tous les plans, mais aussi de relative intégrité, je les accompagnerai inch’Allah tout en priant Dieu de veiller sur eux et de leur permettre de toujours garder leur lucidité afin de ne jamais dévier de leur cap ! Mes vœux de réussite accompagnent le président Bassirou Diomaye Faye et son équipe…
Mamadou Omar NDIAYE
LE TEMOIN