Serigne Mboup (CCBM), le patron « Made in Kaolack » qui bouscule le statu quo

PORTRAIT
Vendredi 24 Novembre 2023

Le PDG du groupe CCBM, poids lourd de l’économie sénégalaise, se lance en politique. Pour JA, il explique les raisons de cet engagement et dresse les leçons à tirer de la crise du coronavirus.


Serigne Mboup n’a pas de parti derrière lui, pas d’expérience en politique, mais il est bien décidé à conquérir la mairie de Kaolack, cinquième ville du pays avec ses 600 000 habitants. Initialement prévues en 2019, les élections locales auront finalement lieu au plus tard en mars 2021.

Le PDG du groupe CCBM (Comptoir commercial Bara Mboup), poids lourd de l’économie nationale, défiera Mariama Sarr, ministre de la Fonction publique, fidèle soutien du président Macky Sall, actuellement à la tête du conseil municipal.

« J’en ai discuté avec le chef de l’État au cours de l’audience qu’il m’a accordée. Mon ambition à Kaolack est de participer au développement économique et j’espère avoir son soutien si je suis élu », précise l’intéressé.
Fidèle à sa région d’origine

À 53 ans, l’homme d’affaires à l’allure toujours juvénile reste fidèle à sa région d’origine. Il y a construit des usines (textile et de transformation d’arachide), créé avec la chambre de commerce, qu’il dirige depuis 2010, une foire commerciale qui draine des centaines de milliers de visiteurs et installé le siège de ses médias, dont la chaîne Télévision régionale du Saloum (TRS), diffusée sur la TNT.

Malgré le ralentissement de l’activité, il continue de verser les salaires de ses 800 employés

C’est néanmoins depuis la capitale qu’il gère le plus souvent ses affaires. Il nous y avait reçu à la fin de février, affable et souriant. Plus amateur de thé que d’expresso, il nous avait proposé un café soluble pour accompagner notre discussion à bâtons rompus. Depuis, la crise du Covid-19 a ébranlé son groupe comme le reste de l’économie nationale.

« Je ne veux pas donner de chiffre. Il est sûr que cette année nos résultats vont être en baisse. Nous visons l’année prochaine un retour à la normale, avec un chiffre d’affaires aux alentours de 40 milliards de F CFA (61 millions d’euros) », assurait à la fin de mai le chef d’entreprise. Malgré le ralentissement de l’activité, son groupe continue de verser les salaires de ses 800 employés.
Réinvention du modèle paternel

Fondé par son père en 1992, CCBM est le distributeur au Sénégal du géant Samsung ainsi que des constructeurs Volkswagen, Foton Motors et Great Wall Motors. Le groupe était très dépendant des commandes publiques sous la présidence d’Abdoulaye Wade (2000-2012).

Serigne Mboup assure avoir depuis réinventé son modèle en baissant la part des automobiles dans ses ventes au profit des camions et des engins. L’État ne représenterait plus que 5 % des revenus de CCBM.

Fabriquer localement est une nécessité, c’est une des leçons de la pandémie

En parallèle, l’homme d’affaires se focalise depuis quelques années sur le renforcement de ses activités industrielles. Il assemble déjà une centaine de camions et d’engins Foton par an, aimerait que Volkswagen l’accompagne pour construire une usine de montage de voitures et veut produire les téléphones portables, les télévisions et l’électroménager qu’il vend sous la marque Serico.

En tant que président de l’Union nationale des chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture du Sénégal, Serigne Mboup milite plus que jamais pour que ces organismes consulaires soient le principal organe de dialogue des entreprises avec l’État.

« Aujourd’hui le patronat est trop divisé », insiste-t-il. Dans la situation actuelle, il est notamment préoccupé par le devenir des TPE et PME, en particulier celles dont les activités sont informelles et qui se sentent totalement oubliée par les mesures d’accompagnement prises par les pouvoirs publics.

« Au-delà du Covid, il faut les aider à formaliser leur existence, car c’est le seul moyen pour elles de se développer », plaide-t-il.
Parcours détonnant, aura véritable



Si sa voix porte auprès des politiques, c’est parce que son parcours détonne dans le cénacle actuel des capitaines d’industrie. Il lui confère une véritable aura auprès de ses concitoyens.

Pas d’études supérieures prestigieuses pour ce fils de commerçant, mais, comme pour la majorité des petits patrons, un apprentissage traditionnel à l’école coranique.

Loin d’en être sorti pétri de certitudes, le natif de Kaolack fait au contraire preuve de pragmatisme, n’hésitant pas à s’entourer de collaborateurs aux cursus plus académiques. Cela explique sa prudence sur des sujets comme le remplacement du franc CFA par l’eco ou la mise en place d’une zone de libre-échange continentale.
Indispensable industrialisation

Son franc-parler et sa fortune sont aussi pour beaucoup dans sa popularité. En 2014, un classement le faisait figurer parmi les trois Sénégalais les plus riches, avec un patrimoine de 400 milliards de F CFA (610 millions d’euros).

« C’était faux, et cela m’a causé beaucoup de problèmes avec les gens qui me devaient de l’argent comme avec les banques à qui je demandais des financements », regrette-t-il encore.

Après plus d’une heure d’entretien, au cours duquel notre hôte a souvent défendu avec conviction sa vision de l’économie, soulignant l’importance de préserver les intérêts nationaux face aux investisseurs étrangers, l’homme d’affaires insiste une dernière fois sur l’importance de l’industrialisation.

« Avant qu’elle ait des centres de recherche de classe mondiale, c’est grâce aux usines que la Corée du Sud a commencé son ascension », conclut-il.