Rebeuss ou la maison des esclaves des temps modernes

SOCIETE
Samedi 10 Aout 2019

Par Moïse Rampino

Nombreux sont les patriotes Africains qui fustigent les pratiques monstrueuses dont furent victimes nos ancêtres. Torturés, jetés au fond de l’océan puis dévorés par les requins ou même battus à mort dans les plantations, tel fut le triste sort réservé à nos ancêtres vendus hélas par leurs propres frères africains. Le décor a changé mais la pratique reste toujours le même, nonobstant tout l’eau qui a coulé sous le pont de l’atlantique depuis bientôt plus de trois siècles.

Nos matières premières sont bradées à vil prix comme le fut à l’époque l’or qui fut échangé avec des miroirs. Nos roitelets locaux, à l’image de leurs prédécesseurs, utilisent la populace pour se goinfrer les joues et le derrière si bien qu’ils ressemblent beaucoup plus à des lutteurs de sumo au ventre bedonnant qu’à des hommes d’Etat. Le peuple, dont les ressources sont spoliées, n’a d’autres choix que de se noyer dans l’atlantique à la recherche d’une vie meilleure ou de se retrouver entre quatre murs pour de longues années de très longues  années.

La justice sous nos cieux est faite pour les faibles

Quand la loi este un homme politique, c’est en général pour un règlement de compte politique. Depuis que l’actuel propriétaire de l’APR est au pouvoir aucun membre de son gang n’a été pris au collet, nonobstant tous les rapports de l’IGE ou de l’Ofnac placés sous son coude. La prison n’est donc là que pour accueillir les faibles ou plus tôt les personnes issues de famille modeste plus particulièrement de la banlieue (Pikine, Guédiawaye, Parcelles, Thiaroye, Yeumbeul).

Ces jeunes, qui pour la plupart ayant commis des erreurs de jeunesse, se voient coffrer des années durant pendant qu’au même moment les voleurs de milliards, qui utilisent l’argent qui devait leur servir de trouver un emploi à travers des projets structurants, se la coulent douce dans des palaces huppés champagne en main et fille de joie à portée.

Je remercie le bon Dieu de m’avoir fait vivre des années durant, trois au total, cette réalité que vivent au quotidien mes concitoyens. Ce serait une trahison face à l’histoire que de taire des pratiques ignominieuses qui me paraissent d’un autre âge pour un pays qui se dit démocratique. La prison de Rebeuss est non seulement surpeuplée mais plus grave, un risque réel plane sur les détenus où à tout moment les dalles fissurées peuvent s’effondrer sur eux. Le gouvernement attend certainement qu’il y ait des centaines de mort pour enfin construire une prison digne de ce nom.

La chambre 09 : cachot des gangsters

A la chambre 09 où j’eus fait quatre mois, nous fûmes 220 détenus entassés dans cet endroit long de 12 mètres et large de 08 mètres comportant une toilette de deux mètres carré sans porte, s’il vous plait. Les détenus urinent sur le mur, lieu aussi qui sert à faire le linge, laver les bols, se brosser les dents et faire les ablutions. Et parfois même, il est fréquent d’y constater des coupures d’eau. Imaginez alors le décor indescriptible. Une petite bâche verte qui couvre à moitié la toilette sert de portail. Ainsi, le détenu est exposé au regard de ses codétenus aussi bien lorsqu’il se lave que lorsqu’il fait ses besoins. En somme, c’est l’être humain qui y est réduit à sa version animale. C’est dans cette chambre que sont détenus les récalcitrants et autres présumés dangereux criminels.

Mes pensées vont vers Ousseynou Diop accusé du meurtre du taximen. Un homme bien éduqué qui ne regarde jamais une personne droit dans les yeux toujours calme sourire aux lèvres. Que dire de mon frère de Kébémer Tier Gambien, accusé du meurtre d’Awa Ndiaye au Pentola. Petit de taille, voilà un monsieur qui passe tout son temps à lire le coran. Il lui arrive même de pleurer en récitant des versets coraniques. Mais bon, nul n’est infaillible et nul ne peut échapper à son destin. Je ne saurai oublier Kader qui fut aussi coupable du meurtre d’un Nigérian aux Parcelles Assainies tout aussi calme, toujours un livre à la main. Jamais je ne l’ai entendu dire du mal de quelqu’un et j’étais loin de m’imaginer qu’il ait pu tuer une mouche jusqu’au jour où il me raconta son problème.

Que dire de mon grand Cheikh Oumar Diedhiou qui fait partie de ceux qui sont accusés de la tuerie de Boffa Bayote. Nous partageons chaque jour le même repas, un diola digne et très respectueux comme tout bon diola. Saliou Boye, accusé d’avoir tué Mariama Sagna est tout aussi calme même si l’on n’a pas une certaine affinité. Par contre, son présumé acolyte, Ousseynou Diop alias Weuthieu, est mon petit frère et dormait tout juste à ma droite à la chambre 13. Il m’a juré qu’il n’y est pour rien dans cette sordide affaire. Un homme chétif qui pèse à peine 60 kilos et qui est à peine âgé de 20 ans. Un garçon très serviable, très correct et qui ne se plaint jamais. Il fut le cadet de la chambre et fut bien aimé car nous eûmes tous pitié de ce charretier. Loin de moi toute idée de le défendre, mais d’après ce qu’il m’eut expliqué il n’y est pour rien. Et, j’ai le droit de le croire.

A 23 heures, sonne l’heure du placement. Les flagrants délits (ceux qui ont commis des délits mineurs (agression, vol) sont paquetés. Mais, ils ne se couchent pas. Ils s’assoient du matin au soir par rangée de 5. Il peut y avoir 20 rangées de 5. Raison pour laquelle, il ne se passe pas un jour sans qu’il y ait une violente bagarre. Et du sang y coule fréquemment. Certains dans la chambre disent que c’est le Djinn de la chambre qui aime le sang. Les correctionnels, quant à eux, se couchent mais d’un côté. Impossible de se retourner ou d’aller aux toilettes durant la nuit au risque de ne plus avoir où dormir.

Après mes 04 mois à la chambre 09, je fus muté de force à la chambre 13. Une chambre moins peuplée mais toujours le même décor. Des détenus qui s’asseyent jusqu’au petit matin et des correctionnels qui sont paquetés comme des sardines. Là-bas, j’eus rencontré Alioune Badara Sané, neveu de Cheikhou Omar Diedhiou, dont le père vient de décéder. A l’époque, je me souviens, il me disait que son père était gravement malade et me suppliait de ne pas les oublier une fois dehors. Ce que je ne ferais pas. De fond en comble, il m’expliqua ce qui s’est réellement passé et jusqu’à preuve du contraire je crois en son innocence car après tout, il est présumé innocent. C’est là-bas, que je fis aussi la connaissance de mon ami Samba Sow alias Bathie, accusé du meurtre de Fatoumata Mactar Ndiaye. Logé à la chambre 14, je profitais souvent des heures de cour pour tenter de lui tirer les vers du nez. Mais il est très intelligent et accuse les hauts responsables de la mouvance présidentielle. Il me parait curieux alors de voir que certaines hautes autorités venaient le voir assez souvent en prison. Pour quoi faire ? Je donne ma langue au chat. Il connait trop bien l’APR et grâce à lui, j’ai pu mieux cerner celui qui nous dirige et sa femme.

Même un livre ne suffirait pas pour décrire toutes les atrocités qui y sont commises. Les détenus y sont torturés par les gardes pénitenciers. Jusqu’au jour d’aujourd’hui, le meurtrier d’Ibrahima Mbow court toujours. Comme pour vous dire, ce fut bien un mal nécessaire pour moi que d’être passé par la case prison, car des informations on en récolte à satiété. Que dire de la cellule punitive dépourvue d’eau et d’électricité et où j’eus fait plus de 19 jours. Appelée dans le jargon des jailman, chambre noire, ce lieu sert de punition à tout prisonnier qui enfreint les règles de la prison. J’y eus fait d’abord 08 jours car m’étant révolté contre les gardes pénitenciers qui voulaient me torturer. Et 11 autres jours, en raison d’une grève de faim  pour demander à être jugé et n’eut été le directeur de l’administration pénitentiaire, le colonel Bocandé, j’allais y mourir puisque j’étais à un doigt de la mort. Là-bas, on ne porte pas d’habits, on y est seulement muni d’un caleçon malgré le froid glacial qui y prévaut. On dort à même le sol et on y est muni que d’une bouteille d’eau de 1,5 litre. La porte y est fermée à double tour et il y fait extrêmement sombre. C’est là où fut décédé Ino. Pas d’heure de cour, on y est encastré 24h/24h.

Rebeuss, en somme, est un monde à part entière qui rime avec bagarre quotidienne sanglante entre détenus, tortures, atrocités et souffrances au quotidien. Mais fort heureusement que notre frère Guy Marius Sagna y est épargné puisqu’il loge au 5e secteur qui est réservé au VIP. Un secteur où les chambres contiennent à peine 10 personnes et où le confort est de rigueur. Loin des conditions de vie inhumaine, dégradantes et esclavagistes de ses concitoyens.