L’Espagne est en pleine crise politique et d’identité. En guise de catalyseur, le référendum catalan du 1er octobre, désiré par une grande partie de la classe politique régionale mais contesté par Madrid, qui est allé jusqu’à arrêter des organisateurs et confisquer du matériel dévolu au scrutin. Les questions sur une éventuelle indépendance sont multiples (rapport entre la Catalogne et ce qui restera de l’Espagne, l’intégration dans l’Union européenne, la place de la langue espagnole dans le nord-est de la péninsule ibérique…). Et le sport n’y déroge pas. A tel point que Zinédine Zidane, le coach du Real Madrid, a très sérieusement répondu à une question sur ce sujet, déclarant «ne pas imaginer une Liga espagnole sans Barcelone». Quel serait le paysage footballistique espagnol en cas d’indépendance politique de la Catalogne ? Le patron de la Liga met le feu aux poudres
«Les clubs catalans ne pourront pas jouer en Liga si l’indépendance est prononcée.» Javier Tebas, sulfureux patron du foot espagnol, a balancé cette bombe le 9 septembre au très sérieux El Pais. Etrange si on se souvient de ses déclarations peu après avoir été élu à son poste en 2013 : «L’important pour la Liga, au niveau économique, c’est que le Real Madrid et le FC Barcelone soient toujours devant.»
Mais il s’agit d’abord de savoir qui est Tebas. Adepte des sorties tonitruantes, tantôt moralisateur sur les sommes dépensées par le Paris-SG cet été, notamment pour Neymar, ou fossoyeur de ce qui restait de la scène ultra en Espagne, l’ancien dirigeant du CD Badajoz fait aussi l’objet d’une enquête pour fraude fiscale.
(adsbygoogle = window.adsbygoogle || []).push({}); Il a par ailleurs un avis sur la politique. A El Mundo, en 2016, il délivrait ses «pensées» : «Il y a trop de tapettes dans la droite espagnole. La droite a toujours été lâche. […] Et si être en faveur de l’unité de l’Espagne, de la famille, de la défense de la vie et du sentiment religieux, c’est être d’extrême droite, alors oui j’appartiens à ce groupe.» Plus loin, il distille même sa jalousie envers notre paysage politique hexagonal : «Nous manquons franchement d’un Le Pen à l’espagnole.» Autant dire que, s’il y a besoin d’autres bras pour confisquer les urnes à Barcelone, Javier Tebas pourrait facilement déplacer deux ou trois rendez-vous dans son agenda.
Tout cela est-il bien sérieux ?
D’un côté, Tebas revendique l’unité espagnole. De l’autre, le FC Barcelone est intrinsèquement et historiquement lié aux désirs indépendantistes catalans. Le club a d’ailleurs été jusqu’à se fendre d’un texte officielle mercredi en soutien aux organisateurs du scrutin arrêtés par la police espagnole. Lorsqu’ils rédigent leurs communiqués, on imagine les représentants du FC Barcelone, des instances catalanes et le président de la Liga les sourcils froncés, marmonnant un «ils vont voir ce qu’ils vont voir».
Puis on se dit que tout ça ressemble plus à un coup d’épée dans l’Ebre. Les valeurs du FC «Más que un club» Barcelone ou les menaces de Javier «il manque une Marine Le Pen espagnole» Tebas sont ce qu’elles sont. Mais des droits TV qui chuteraient en flèche pour la Liga comme pour le Barca et des plus faibles possibilités de briller sur la scène européenne, donc dans l’écosystème du foot, font que, pour l’instant, on ne croit pas des masses à ces coups de menton aussi visibles que dans un tableau de Diego Vélasquez. Mais puisque la classe politique espagnole rivalise de décisions à l’emporte-pièce, il ne faut pas totalement exclure que la boîte de Pandore restera ouverte. (1)
A quoi ressemblerait un championnat catalan ?
A pas grand-chose. Le FC Barcelone est l’un des trois ou quatre meilleurs clubs au monde. Derrière, l’Espanyol Barcelone fait bonne figure (finaliste malheureux de l’Europa League en 2007, de la Coupe du roi l’an dernier contre… le FC Barcelone, vainqueur de la compétition en 2000 et 2006) mais qui n’a jamais fait mieux que 5e du championnat depuis vingt ans et a surtout terminé dans la deuxième moitié de tableau. Ensuite, on aurait des FC Gérone ou Gimnàstic Tarragone en guise d’Atlético Madrid et FC Séville régionaux. Pas de quoi, à court et moyen terme faire saliver les chaînes de télé et les spectateurs. On espère juste que l’Unió Esportiva Sitges ne jouera pas en première division, ça nous éviterait l’avis de Javier Tebas à ce sujet.
Que resterait-il de la Liga ?
Le championnat espagnol propose chaque week-end des affiches intéressantes à regarder. Outre les deux locomotives madrilènes et le géant barcelonais, le FC Séville, le Deportivo La Corogne ou le FC Valence développent du jeu agréable à la rétine. Mais il y a un gros problème d’homogénéité. 12 des 13 derniers championnats ont été remportés par le Real Madrid (4) ou le FC Barcelone (8). L’autre l’a été par l’Atlético Madrid. Pire : depuis cinq saisons, ces trois clubs ont occupé intégralement le podium.
Les droits TV enregistreraient une chute importante. Sur le contrat à 2,65 milliards d’euros sur trois saisons (2016-2019), 140 millions sont pour l’instant attribués chaque année au Real et au Barca (moitié moins pour l’Atlético), pour la simple et bonne raison que les matchs de ces deux équipes sont les plus attendus et les plus suivis. Enlever l’un des deux clubs, et donc faire disparaître (au moins au plan national) le mythique clásico, c’est l’assurance de décevoir les annonceurs et chaînes télé.
(adsbygoogle = window.adsbygoogle || []).push({}); En cas de repli du FC Barcelone sur ses terres catalanes, le salut pourrait venir d’au-delà de la Raya : la ligue portugaise a proposé début septembre un rapprochement des deux championnats ibériques. Pas une fusion pour l’instant, mais imaginer des Benfica, FC Porto et Sporting, avec des moyens financiers supérieurs, aux prises avec les poids lourds espagnols, ça en jette sur le papier.
Les sélections nationales muteraient-elles ?
Xavi et Puyol à la retraite, le onze titulaire de la Roja est moins phagocyté qu’il y a peu par les stars catalanes. Mais il reste tout de même quelques piliers de l’équipe : le très sifflé, dans toute l’Espagne (et en région parisienne) Gerard Piqué, Busquets, Jordi Alba, Iniesta et, dans une très moindre mesure, Sergi Roberto. Mais si la Masia (le centre de formation du Barça) recommençait à sortir du talent comme dans les années 90 et 2000, la sélection espagnole pourrait perdre de nombreux atouts.
De son côté, la sélection catalane existe déjà. Elle organise même un ou deux matchs amicaux par an contre le Cap-Vert ou le Pays basque. Si on imagine bien Gerard Piqué, le plus politisé des joueurs barcelonais, en capitaine de l’équipe, on ne la verrait pas en mesure de finir au-delà des deux ou trois dernières places d’un groupe qualificatif pour une compétition internationale. Il sera toujours temps aux plus ambitieux de trouver l’adresse d’un oncle basé à Vigo pour choper un passeport espagnol.
Quel impact sur les coupes d’Europe ?
Sept des douze dernières Ligues des champions ont été remportées par le Real Madrid (3) ou le FC Barcelone (4). Il est certain qu’une explosion du championnat espagnol briserait la loi qui, depuis une décennie, veut que ces clubs sont deux des trois ou quatre favoris chaque année. Sans le Barça, l’Espagne perdrait sans doute sa première place au classement UEFA, mais resterait dans les quatre premiers, ce qui lui permettrait de continuer à avoir quatre clubs qualifiés d’office pour la plus prestigieuse coupe d’Europe.
(adsbygoogle = window.adsbygoogle || []).push({}); Quelle place pour un hypothétique championnat catalan ? L’UEFA n’est pas un grand défenseur de la cause régionaliste. Ne voulant pas entendre parler de messages politiques dans ses compétitions, l’association du foot européen a plusieurs fois sanctionné le Barca pour des slogans pro-catalans dans son antre. Une fois indépendante, la ligue catalane pourrait, grâce au coefficient UEFA du Barca, se hisser très haut la première année et pourquoi pas permettre de qualifier 4 ou 5 autres clubs catalans dans les coupes d’Europe. Mais si un FC Gérone - Bayern Munich fait franchement saliver (pour la bière devant le match), on imagine que le championnat catalan perdrait inexorablement des places, histoire de végéter entre les championnats autrichiens et polonais. La rançon de la liberté ?
(1) Illustration de cette boîte de Pandore : dimanche, le club catalan du Lleida Esportiu dit s’etre vu interdire par la Ligue de foot espagnole de jouer avec un maillot aux couleurs du drapeau de leur région, spécialement créé pour l'occasion. Le club de Lérida, situé à 150 kilomètres à l'ouest de Barcelone, dit dans un communiqué que, même si l'Atlético Saguntino a été prévenu, ces derniers ne sont venus de la région valencienne qu'avec une tunique rouge. Du coup, les maillots catalan et de Saguntino étant trop ressemblants, une solution de repli n'a pu être trouvée.
Damien Dole, Libération
«Les clubs catalans ne pourront pas jouer en Liga si l’indépendance est prononcée.» Javier Tebas, sulfureux patron du foot espagnol, a balancé cette bombe le 9 septembre au très sérieux El Pais. Etrange si on se souvient de ses déclarations peu après avoir été élu à son poste en 2013 : «L’important pour la Liga, au niveau économique, c’est que le Real Madrid et le FC Barcelone soient toujours devant.»
Mais il s’agit d’abord de savoir qui est Tebas. Adepte des sorties tonitruantes, tantôt moralisateur sur les sommes dépensées par le Paris-SG cet été, notamment pour Neymar, ou fossoyeur de ce qui restait de la scène ultra en Espagne, l’ancien dirigeant du CD Badajoz fait aussi l’objet d’une enquête pour fraude fiscale.
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Tout cela est-il bien sérieux ?
D’un côté, Tebas revendique l’unité espagnole. De l’autre, le FC Barcelone est intrinsèquement et historiquement lié aux désirs indépendantistes catalans. Le club a d’ailleurs été jusqu’à se fendre d’un texte officielle mercredi en soutien aux organisateurs du scrutin arrêtés par la police espagnole. Lorsqu’ils rédigent leurs communiqués, on imagine les représentants du FC Barcelone, des instances catalanes et le président de la Liga les sourcils froncés, marmonnant un «ils vont voir ce qu’ils vont voir».
Puis on se dit que tout ça ressemble plus à un coup d’épée dans l’Ebre. Les valeurs du FC «Más que un club» Barcelone ou les menaces de Javier «il manque une Marine Le Pen espagnole» Tebas sont ce qu’elles sont. Mais des droits TV qui chuteraient en flèche pour la Liga comme pour le Barca et des plus faibles possibilités de briller sur la scène européenne, donc dans l’écosystème du foot, font que, pour l’instant, on ne croit pas des masses à ces coups de menton aussi visibles que dans un tableau de Diego Vélasquez. Mais puisque la classe politique espagnole rivalise de décisions à l’emporte-pièce, il ne faut pas totalement exclure que la boîte de Pandore restera ouverte. (1)
A quoi ressemblerait un championnat catalan ?
A pas grand-chose. Le FC Barcelone est l’un des trois ou quatre meilleurs clubs au monde. Derrière, l’Espanyol Barcelone fait bonne figure (finaliste malheureux de l’Europa League en 2007, de la Coupe du roi l’an dernier contre… le FC Barcelone, vainqueur de la compétition en 2000 et 2006) mais qui n’a jamais fait mieux que 5e du championnat depuis vingt ans et a surtout terminé dans la deuxième moitié de tableau. Ensuite, on aurait des FC Gérone ou Gimnàstic Tarragone en guise d’Atlético Madrid et FC Séville régionaux. Pas de quoi, à court et moyen terme faire saliver les chaînes de télé et les spectateurs. On espère juste que l’Unió Esportiva Sitges ne jouera pas en première division, ça nous éviterait l’avis de Javier Tebas à ce sujet.
Que resterait-il de la Liga ?
Le championnat espagnol propose chaque week-end des affiches intéressantes à regarder. Outre les deux locomotives madrilènes et le géant barcelonais, le FC Séville, le Deportivo La Corogne ou le FC Valence développent du jeu agréable à la rétine. Mais il y a un gros problème d’homogénéité. 12 des 13 derniers championnats ont été remportés par le Real Madrid (4) ou le FC Barcelone (8). L’autre l’a été par l’Atlético Madrid. Pire : depuis cinq saisons, ces trois clubs ont occupé intégralement le podium.
Les droits TV enregistreraient une chute importante. Sur le contrat à 2,65 milliards d’euros sur trois saisons (2016-2019), 140 millions sont pour l’instant attribués chaque année au Real et au Barca (moitié moins pour l’Atlético), pour la simple et bonne raison que les matchs de ces deux équipes sont les plus attendus et les plus suivis. Enlever l’un des deux clubs, et donc faire disparaître (au moins au plan national) le mythique clásico, c’est l’assurance de décevoir les annonceurs et chaînes télé.
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Les sélections nationales muteraient-elles ?
Xavi et Puyol à la retraite, le onze titulaire de la Roja est moins phagocyté qu’il y a peu par les stars catalanes. Mais il reste tout de même quelques piliers de l’équipe : le très sifflé, dans toute l’Espagne (et en région parisienne) Gerard Piqué, Busquets, Jordi Alba, Iniesta et, dans une très moindre mesure, Sergi Roberto. Mais si la Masia (le centre de formation du Barça) recommençait à sortir du talent comme dans les années 90 et 2000, la sélection espagnole pourrait perdre de nombreux atouts.
De son côté, la sélection catalane existe déjà. Elle organise même un ou deux matchs amicaux par an contre le Cap-Vert ou le Pays basque. Si on imagine bien Gerard Piqué, le plus politisé des joueurs barcelonais, en capitaine de l’équipe, on ne la verrait pas en mesure de finir au-delà des deux ou trois dernières places d’un groupe qualificatif pour une compétition internationale. Il sera toujours temps aux plus ambitieux de trouver l’adresse d’un oncle basé à Vigo pour choper un passeport espagnol.
Quel impact sur les coupes d’Europe ?
Sept des douze dernières Ligues des champions ont été remportées par le Real Madrid (3) ou le FC Barcelone (4). Il est certain qu’une explosion du championnat espagnol briserait la loi qui, depuis une décennie, veut que ces clubs sont deux des trois ou quatre favoris chaque année. Sans le Barça, l’Espagne perdrait sans doute sa première place au classement UEFA, mais resterait dans les quatre premiers, ce qui lui permettrait de continuer à avoir quatre clubs qualifiés d’office pour la plus prestigieuse coupe d’Europe.
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Damien Dole, Libération