Présidentielle en Mauritanie : après la victoire autoproclamée d’Ould Ghazouani, l’opposition contre-attaque

INTERNATIONAL
Lundi 24 Juin 2019

À 3 heures du matin, ce 23 juin, le candidat de la majorité, le général à la retraite Mohamed Ould Ghazouani a annoncé devant ses soutiens sa victoire à la présidentielle. Réunie à huis clos dès 10 heures ce matin, l’opposition a élaboré sa stratégie.

Et l’homme de l’ombre fut propulsé dans la lumière. Dans la nuit du 22 au 23 juin, Mohamed Ould Ghazouani s’est proclamé vainqueur de la présidentielle, devant plusieurs centaines d’invités (ministres, cadres du parti, soutiens…), réunis au Palais des congrès.

Le candidat de la majorité a passé la soirée auprès de son proche ami, le président Mohamed Ould Abdelaziz. Tous deux se sont isolés de l’assistance, avec leurs épouses, le Premier ministre, Mohamed Salem Ould Béchir, et les ministres Mohamed Abdel Vetah (Pétrole) et Seyedna Ali Ould Mohamed Khouna (Fonction publique).

98 % des résultats dépouillés

Ils ont suivi minute par minute la remontée des résultats, les yeux rivés sur leur téléphone. Selon les résultats provisoires, à l’heure où ces lignes sont écrites, sur la base de 98 % des résultats, l’ex-chef d’état-major serait crédité de 52,4 %. Le taux de participation s’élèverait à 62,7 %. L’écart entre Sidi Mohamed Ould Boubacar (17,8 %) et Biram Dah Abeid (18,6 %) serait très faible, à peine quelques centaines de voix. 

Kane Hamidou Baba aurait convaincu 8,6 % des électeurs et Mohamed Ould Maouloud, 2,4 %, un coup très dur pour le patron de l’Union des forces de progrès (UFP). Enfin, Mohamed Lemine El-Mourteji El-Wavi obtiendrait 0,2 %. « Ghazouani a obtenu des informations, il a le droit de les utiliser et de les transmettre, soutient un membre du premier cercle présidentiel. C’est une tradition dans tous les pays. Macky Sall a fait la même chose il y a deux mois ! »

Les chefs de l’État mauritaniens ont toujours proclamé eux-mêmes leur victoire. Ce fut le cas de Maaouiya Ould Taya, en 1992 et 2003, de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, en 2007, et de Mohamed Ould Abdelaziz, en 2009 et 2014. « Eux étaient dans une gestion unilatérale du pouvoir, il n’était pas censé y avoir un passage de témoin ! réagit Lo Gourmo, premier vice-président de l’UFP. Ce qu’il s’est passé cette nuit est extrêmement grave, ils auraient dû laisser les choses se dérouler normalement. »

Afin de mettre au point leur stratégie, quatre des cinq candidats de l’opposition se sont réunis à huis clos de 10 heures (de Nouakchott) à 13 heures au siège de campagne de l’UFP – Mohamed Lemine El-Mourteji El-Wavi n’a jamais pris part à leurs discussions.

Biram Dah Abeid se pose en leader

Selon nos informations, ils ont confronté les chiffres qui leur ont été transmis par chacun de leurs représentants, avant de décider d’appeler les Mauritaniens à manifester.

Lors de la conférence de presse qui a suivi, Biram Dah Abeid a longuement pris la parole, semblant vouloir s’imposer comme le nouveau leader de l’opposition. « Un duo de généraux s’est accaparé le pouvoir, à l’issue d’un processus électoral conduit unilatéralement par le pouvoir au profit de son candidat, a lancé le chef de la coalition IRA-Sawab. La Ceni et le Conseil constitutionnel sont issus de leurs rangs ! »

« Ce scrutin n’exprime nullement la volonté du peuple mauritanien », a complété Sidi Mohamed Ould Boubacar, qui assure que tous détiennent la « quasi-totalité »des procès-verbaux. Mohamed Ould Maouloud n’a publiquement prononcé que quelques mots. « Ce coup d’État électoral est dirigé contre un seul ennemi à abattre, l’UFP alliée au RFD d’Ahmed Ould Daddah, confie-t-il dans le calme retrouvé d’un petit salon. Le pouvoir a cherché à nous humilier, je suis gravement préoccupé pour notre pays. »

À l’heure où nous écrivons ces lignes, des échauffourées sont en cours dans le quartier d’Arafat (sud de Nouakchott), tandis que la ville est quadrillée par la gendarmerie.

Par Justine Spiegel - envoyée spéciale JA à Nouakchott