Par Serigne Saliou Guèye
Le maire de Dakar et ses co-accusés au nombre de quatre ont saisi la Cour de justice de la Cedeao le 26 décembre 2017 d’une requête introductive d’instance contre l’Etat du Sénégal pour avoir violé leurs droits dans la fameux procès dit de la «caisse d’avance». C’est l’acte de procédure par lequel la personne qu’on dénomme le «demandeur» ou le «requérant», c’est-à-dire, celui qui prend l’initiative du procès, saisit le juge d’une prétention qu’il entend faire valoir contre une ou plusieurs personnes dites le ou les «défendeurs». Ici les «demandeurs ou requérants», c’est Khalifa Sall et compagnie et le défendeur c’est l’Etat du Sénégal. Cette requête était accompagnée par deux autres (l’une en procédure accélérée et l’autre en référé). La procédure en référé qui rejoint dans le fond la procédure accélérée est une procédure permettant de demander à une juridiction qu’elle ordonne dans la célérité des mesures provisoires tendant à préserver les droits du demandeur.
Après notification de ces pièces fournies par le demandeur pour plaider sa cause, l’Etat du Sénégal, le défendeur, a répondu en fournissant trois mémoires en réponse le 29 janvier 2018. Le mémoire en réponse ou mémoire en défense est un document écrit adressé à une juridiction pour répondre aux conclusions présentées dans une requête et faire valoir des moyens juridiques destinés à l’obtention d’un droit ou d’un avantage en relation avec la situation qui y a été exposée. C’est par la suite que l’affaire a été enrôlé pour être débattue à l’audience hors-siège de Bamako le 23 avril 2018 par devers les différentes parties concernées avant d’être mise en délibéré. Il faut rappeler que l’article 26 du protocole du 6 juin 1991 autorise cette juridiction sous régionale à siéger sur le territoire d’un état membre lorsque les circonstances ou faits de la cause l’exigent. Pendant cette audience de Bamako qui a duré quatre jours 19 cas supposés de violation des droits de l’homme des pays membres de la Cedeao dont celui afférent à l’affaire Khalifa Sall ont été examinés.
C’est ainsi que le 29 juin 2018 que les juges de l’instance communautaire que sont le Président Jérôme Traoré, le rapporteur Hamèye Founé Mahalmadane, Yaya Boiro membre et le greffier Aboubakar Djibo Diakité ont rendu leur décision qui condamne l’Etat Sénégal sur plusieurs points tout en déboutant les requérants sur certains. Les requérants après avoir énuméré tous leurs droits qui ont été violés depuis le déclenchement de l’action publique par le procureur de la République Serigne Bassirou Gueye passant par l’ouverture d’une information par le doyen des juges Samba Sall jusqu’à leur condamnation ferme par le juge Malick Lamotte ont sollicité à la Cour de « déclarer leur requête recevable, de se déclarer compétente, de constater leurs droits (en dix points) violés ». L’Etat défendeur, après avoir démonté les éléments qui fondent la requête de la partie adverse a sollicité de la Cour de dire et juger que « la Cour n’a pas pour rôle d’examiner les législations des Etats membres de la Communauté in abstracto ni compétence pour apprécier les décisions judiciaires rendues par les Etats membres; de dire et juger que la Cour n’a pas de compétence pour apprécier les décisions judiciaires rendues l’Etat du Sénégal; de dire et juger que l’Etat du Sénégal n’a violé aucun des droits de l’homme allégués ». En conséquence, le défendeur demande à la Cour de rejeter la requête introductive d’instance comme mal fondée.
Ainsi par rapport à la demande de l’Etat relative à l’incompétence de la Cour d’apprécier les décisions judiciaires les juridictions du Sénégal en invoquant la jurisprudence de la Cour notamment l’arrêt ECW/CCJ/APP/ 03/07 du 22 mars 2007 relatif à l’affaire Moussa Léo Keïta contre l’Etat du Mali. L’arrêt est ainsi libellé « La Cour n’a pas pour compétence de réviser les décisions rendues par les juridictions des Etats membres; elle n’est pas une juridiction d’appel ni de cassation des décisions des juridictions nationales... ».
Série de revers de la justice sénégalaise à Abuja
Mais la Cour a notifié à la partie défenderesse ses vices de formes dans la saisine. Elle précise que selon l’article 87 du règlement de la Cour de justice de la Communauté (CJC) que toute demande relative à une exception doit être formulée à titre d’exception préliminaire et présentée par acte séparé. Ce que l’Etat défendeur n’a pas respecté puisque son argumentaire sur l’incompétence de la Cour à connaitre de la requête a été porté par le mémoire au fond en réponse à la requête d’instance introductive de la partie demanderesse. L’exception n’ayant respecté la forme prescrite, ce moyen de l’Etat sur l’incompétence de la Cour à connaitre de la requête de la partie requérante est irrecevable. Ce qui montre les limites des avocats de l’Etat dans cette affaire. Par magnanimité, les juges de la CJC dans le souci d’alimenter et d’éclairer le débat sur sa compétence s’est fait le devoir d’examiner ce moyen de défense de l’Etat sénégalais. Ainsi la Cour fait observer que le Protocole additionnel a/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005 portant amendement du Protocole Pa/P.1/7/91 relatif à la CJC lui confère explicitement la compétence pour connaitre des cas de violation des droits de l’homme dans tout Etat membre. L’article 9 du Protocole additionnel dispose en son alinéa 4 que « la Cour est compétente pour connaitre des cas de violation des droits de l’Homme dans tout Etat membre ». Pour mieux motiver sa compétence, la CJC précise à l’Etat du Sénégal qu’il en a été ainsi dans l’arrêt n° ECW/CCJ/JUG/01/12– El Hadj Mame Abdou gaye contre la République du Sénégal du 26 janvier 2012.
Incompétence de la CJC rejetée : 1e revers de l’Etat du Sénégal
L’Etat sénégalais ne parvient pas à faire la différence être compétent pour juger et juger impartialement. et étant donné que les requérants ont allégué être victimes de violations de droits de l’homme commises par l’Etat du Sénégal et invoqué des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l’homme notamment la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et le Pacte international relatif aux droits civils politiques que l’Etat du Sénégal a ratifiés, la CJC constate que les éléments qui l’ont guidée par la passé à fixer sa jurisprudence en matière de compétence sont réunis et par elle ne peut que retenir sa compétence dans l’affaire opposant Khalifa Sall et compagnie à l’Etat du Sénégal et procéder au jugement de ladite affaire. Ce qui constitue un premier revers pour l’Etat du Sénégal.
Droit l’assistance d’un avocat : 2e revers de l’Etat du Sénégal
Le demandeur s’est plaint de l’absence du conseiller juridique durant l’audition par la police puis durant le premier interrogatoire devant le juge d’instruction. Pour le droit à l’assistance d’un avocat dès leur interpellation, les requérants invoquent l’article 14, alinéa 3-d du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. A cela s’ajoute le règlement n°05/CM/Uemoa du 25 septembre 2014 relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace Uemoa en son article 5, l’article 9 de la constitution alinéa 4, l’article 55 bis du code de procédure, alinéa 10, 11, 12, 13, 15 qui traitent tous du « droit à l’assistance par un conseil dès l’interpellation au niveau de la police ou dès la première comparution devant le juge d’instruction». L’Etat défendeur, pour se défendre de ce grief, a soutenu que « la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar qu’aucun droit des requérants n’a été violé ». Ce que la CJC rejette car elle estime que la Chambre d’accusation de la Cour d’appel était appelé à se prononcer sur la nullité du procès d’enquête préliminaire pour inobservation d’une formalité substantielle et non sur la violation d’un droit humain. Une formalité substantielle « est une règle de procédure obligatoire dont la méconnaissance, totale ou partielle, exerce une influence déterminante sur le sens de la décision dont elle régit l’édiction, soit prive les intéressés d’une garantie ». En sus, la CJC fustige la lâcheté de l’Etat sénégalais qui laisse entendre que « pour la violation du droit à l’assistance d’un conseil puisse prospérer, il faut que celle-ci lui soit imputable » alors que l’enquête préliminaire a été assurée par les services de police de l’Etat sénégalais. Pourtant l’article 55 bis alinéa 10 du code de procédure pénale dispose que « l’officier de police judiciaire informe la personne interpellée de son droit de constituer conseil parmi les avocats inscrits au tableau ou admis en stage. Mention de cette formalité est faite obligatoirement sur le procès-verbal d’audition à peine de nullité ». Soit la police judiciaire ignore encore cette réforme, soit elle exécute des mots d’ordre au point d’ignorer royalement les dispositions de la loi. Au regard de ce qui précède, la CJC déclare que la responsabilité de l’Etat défendeur dans la violation du droit à un conseil est engagé. Deuxième revers de l’Etat sénégalais.
Violation du droit à la présomption d’innocence : 3e revers de l’Etat sénégalais
Concernant la violation de leur droit à la présomption d’innocence, les requérants se sont appuyés sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, la Déclaration universelle des droits de l’Homme, les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique. La partie demanderesse s’est plainte de l’attitude non neutre du procureur de la République, Serigne Bassirou Gueye, qui a tenu une conférence le 03 mars 2017 pour accuser le maire de Dakar d’avoir fait main basse sur un montant de 1 milliard 800 millions sur la base de faux documents. La CJC fait savoir au procureur que ses propos détonnent avec les prescriptions des instruments juridiques que l’Etat du Sénégal a ratifiés. Là aussi la responsabilité de l’Etat du Sénégal est engagée. Troisième revers de l’Etat sénégalais.
Violation du droit à un procès équitable : 4e revers de l’Etat sénégalais
S’appuyant sur la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, les requérants se sont plaints devant la CJC de la violation du droit à un procès équitable. Là, c’est le doyen des juges Samba Sall qui en a pris pour son grade. Il a clôturé l’information judiciaire le 07 décembre 2017 alors que des appels devant la Chambre d’accusation. Le même jour où il a notifié ses ordonnances aux requérants, ces derniers ont relevé d’appel desdites ordonnances. Ce qui constitue un obstacle aux droits de la défense de Khalifa Sall. Le Doyen des juges n’a pas le droit de clôturer une information tant des recours contre ses ordonnances (ordonnance de refus de désignation d’expert et de refus d’audition de personnes, ordonnance rejetant la demande d’autorisation de consigner en vue d’une liberté provisoire) attendent leur examen par la juridiction d’instruction du second degré. La Cour conclue que le juge instructeur Samba Sall en agissant ainsi a ôté à la procédure son caractère équitable. Ainsi l’Etat du Sénégal, par l’entremise de ses agents judiciaires a failli à l’obligation de garantir un aux requérants un procès équitable. Par conséquent sa responsabilité est encore engagée. Ce qui constitue un quatrième revers !
Violation des droits politiques de Khalifa Sall : 5e revers de l’Etat sénégalais
Quant à ses droits politiques, Khalifa Sall en tant leader de Manko Taxawu Dakar s’est plaint d’être privé de campagne et d’exercer son droit de vote. La partie défenderesse a justifié cette privation sur la base du décret N°2001-62 du 04 mai 2001 relatif aux procédures d’exécution et aménagement des sanctions pénales qui ne prévoit pas pour un détenu la possibilité pour recevoir la télévision pour communiquer avec l’extérieur encore moins celle de sortir pour effectuer un vote. La CJC a rejeté cet argumentaire parce que Khalifa Sall au moment des faits était un détenu préventif jouissant donc de tous ces droits civiques susnommés. Il n’était pas en train de purger une sanction pénale. Par conséquent les prescriptions du décret N°2001-62 du 04 mai 2001 ne lui sont pas applicables. C’est une faille de la législation électorale. Un cinquième revers de l’Etat du Sénégal !
Détention arbitraire de Khalifa Sall : 6e revers de l’Etat sénégalais
a partir du 14 août 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré Khalifa Sall député. Donc une nouvelle situation juridique lui a été conférée par les urnes. La CJC estime que dès lors une procédure de levée de son immunité parlementaire ou une suspension de sa détention devait être entamée. Ainsi le défendeur l’a maintenu irrégulièrement en prison parce que la levée de son immunité parlementaire n’a été sollicitée que le 25 novembre 2017 soit deux semaine avant la clôture de l’information. Ainsi le député Khalifa Sall a été maintenu illégalement en prison pendant trois mois et demi. La responsabilité de l’Etat défendeur est encore engagée. Ce qui constitue un sixième revers pour l’Etat du Sénégal. Il faut constater que dans cette audience de la CJC qui traite de l’affaire Khalifa Sall, l’Etat du Sénégal a perdu sur six sur dix chefs de demande formulée par les requérants. Ces derniers n’étant déboutés que sur quatre chefs. Avant que le procureur général Lansana Diaby n’intervienne pour déclarer à la Cour d’appel qu’il faut tenir compte des décisions de la CJC au risque d’aller vers chaos communautaire, la partie défenderesse et la valetaille de Bennoo Bokk Yaakaar criaient sous les toits que le Sénégal n’a obligation de respecter les décisions de la Cour supranationale. Mais conformément à l’article 19, alinéa 2 du Règlement de la CJC « les décisions sont immédiatement exécutoires et ne sont pas susceptibles d’appel ».
La force exécutoire des décisions de la CJC
Dans le Traité révisé de la Cedeao, il est clairement prohibé aux Etats membres de « s’abstenir d’entreprendre toute action susceptible de compromettre la réalisation des objectifs de la Communauté » puisque « Chaque Etat Membre s’est engagé à honorer ses obligations aux termes du présent Traité et à respecter les décisions et les règlements de la Communauté ». et dans l’article 15 qui crée et fixe les compétences de la CJC, il est indiqué à l’alinéa 4 que « les arrêts de la Cour de Justice ont force obligatoire à l’égard des Etats Membres, des Institutions de la Communauté, et des personnes physiques et morales. Ses décisions sont contraignantes et chaque État membre doit indiquer l’autorité nationale compétente chargée de l’exécution des décisions de la Cour ». Au terme du jugement de la CJC, il est constatable que la justice sénégalaise est à terre. Cette situation rétrograde explique pourquoi, dans le classement publié en février 2018 du World Justice Project (WJP) sur l’« Indice sur l’Etat de Droit 2017-2018 », le Sénégal perd trois places et occupe la 49e place sur 113. Il n’y a pas un seul secteur de la chaine judiciaire qui n’ait été cloué au pilori par la CJC. Cette dernière a souligné tous les manquements qui doivent aboutir à la libération du maire de Dakar. Des irrégularités ont entaché la procédure. Et certaines formalités substantielles (comme l’assistance d’un avocat à la première interpellation par la police) ont été ignorées. Ce qui annule le procès-verbal d’enquête préliminaire de la police et du doyen des Juges. De là, il y a un effet induit sur la validité de la procédure en entier. Maintenant, il appartient au juge Demba Kandj et associés de tirer toutes les conséquences de droit de cette condamnation de l’Etat du Sénégal qui ne peuvent déboucher que dans la libération du député-maire de Dakar
Serigne Saliou GUEYE avec le Rapport de la CJC
Le maire de Dakar et ses co-accusés au nombre de quatre ont saisi la Cour de justice de la Cedeao le 26 décembre 2017 d’une requête introductive d’instance contre l’Etat du Sénégal pour avoir violé leurs droits dans la fameux procès dit de la «caisse d’avance». C’est l’acte de procédure par lequel la personne qu’on dénomme le «demandeur» ou le «requérant», c’est-à-dire, celui qui prend l’initiative du procès, saisit le juge d’une prétention qu’il entend faire valoir contre une ou plusieurs personnes dites le ou les «défendeurs». Ici les «demandeurs ou requérants», c’est Khalifa Sall et compagnie et le défendeur c’est l’Etat du Sénégal. Cette requête était accompagnée par deux autres (l’une en procédure accélérée et l’autre en référé). La procédure en référé qui rejoint dans le fond la procédure accélérée est une procédure permettant de demander à une juridiction qu’elle ordonne dans la célérité des mesures provisoires tendant à préserver les droits du demandeur.
Après notification de ces pièces fournies par le demandeur pour plaider sa cause, l’Etat du Sénégal, le défendeur, a répondu en fournissant trois mémoires en réponse le 29 janvier 2018. Le mémoire en réponse ou mémoire en défense est un document écrit adressé à une juridiction pour répondre aux conclusions présentées dans une requête et faire valoir des moyens juridiques destinés à l’obtention d’un droit ou d’un avantage en relation avec la situation qui y a été exposée. C’est par la suite que l’affaire a été enrôlé pour être débattue à l’audience hors-siège de Bamako le 23 avril 2018 par devers les différentes parties concernées avant d’être mise en délibéré. Il faut rappeler que l’article 26 du protocole du 6 juin 1991 autorise cette juridiction sous régionale à siéger sur le territoire d’un état membre lorsque les circonstances ou faits de la cause l’exigent. Pendant cette audience de Bamako qui a duré quatre jours 19 cas supposés de violation des droits de l’homme des pays membres de la Cedeao dont celui afférent à l’affaire Khalifa Sall ont été examinés.
C’est ainsi que le 29 juin 2018 que les juges de l’instance communautaire que sont le Président Jérôme Traoré, le rapporteur Hamèye Founé Mahalmadane, Yaya Boiro membre et le greffier Aboubakar Djibo Diakité ont rendu leur décision qui condamne l’Etat Sénégal sur plusieurs points tout en déboutant les requérants sur certains. Les requérants après avoir énuméré tous leurs droits qui ont été violés depuis le déclenchement de l’action publique par le procureur de la République Serigne Bassirou Gueye passant par l’ouverture d’une information par le doyen des juges Samba Sall jusqu’à leur condamnation ferme par le juge Malick Lamotte ont sollicité à la Cour de « déclarer leur requête recevable, de se déclarer compétente, de constater leurs droits (en dix points) violés ». L’Etat défendeur, après avoir démonté les éléments qui fondent la requête de la partie adverse a sollicité de la Cour de dire et juger que « la Cour n’a pas pour rôle d’examiner les législations des Etats membres de la Communauté in abstracto ni compétence pour apprécier les décisions judiciaires rendues par les Etats membres; de dire et juger que la Cour n’a pas de compétence pour apprécier les décisions judiciaires rendues l’Etat du Sénégal; de dire et juger que l’Etat du Sénégal n’a violé aucun des droits de l’homme allégués ». En conséquence, le défendeur demande à la Cour de rejeter la requête introductive d’instance comme mal fondée.
Ainsi par rapport à la demande de l’Etat relative à l’incompétence de la Cour d’apprécier les décisions judiciaires les juridictions du Sénégal en invoquant la jurisprudence de la Cour notamment l’arrêt ECW/CCJ/APP/ 03/07 du 22 mars 2007 relatif à l’affaire Moussa Léo Keïta contre l’Etat du Mali. L’arrêt est ainsi libellé « La Cour n’a pas pour compétence de réviser les décisions rendues par les juridictions des Etats membres; elle n’est pas une juridiction d’appel ni de cassation des décisions des juridictions nationales... ».
Série de revers de la justice sénégalaise à Abuja
Mais la Cour a notifié à la partie défenderesse ses vices de formes dans la saisine. Elle précise que selon l’article 87 du règlement de la Cour de justice de la Communauté (CJC) que toute demande relative à une exception doit être formulée à titre d’exception préliminaire et présentée par acte séparé. Ce que l’Etat défendeur n’a pas respecté puisque son argumentaire sur l’incompétence de la Cour à connaitre de la requête a été porté par le mémoire au fond en réponse à la requête d’instance introductive de la partie demanderesse. L’exception n’ayant respecté la forme prescrite, ce moyen de l’Etat sur l’incompétence de la Cour à connaitre de la requête de la partie requérante est irrecevable. Ce qui montre les limites des avocats de l’Etat dans cette affaire. Par magnanimité, les juges de la CJC dans le souci d’alimenter et d’éclairer le débat sur sa compétence s’est fait le devoir d’examiner ce moyen de défense de l’Etat sénégalais. Ainsi la Cour fait observer que le Protocole additionnel a/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005 portant amendement du Protocole Pa/P.1/7/91 relatif à la CJC lui confère explicitement la compétence pour connaitre des cas de violation des droits de l’homme dans tout Etat membre. L’article 9 du Protocole additionnel dispose en son alinéa 4 que « la Cour est compétente pour connaitre des cas de violation des droits de l’Homme dans tout Etat membre ». Pour mieux motiver sa compétence, la CJC précise à l’Etat du Sénégal qu’il en a été ainsi dans l’arrêt n° ECW/CCJ/JUG/01/12– El Hadj Mame Abdou gaye contre la République du Sénégal du 26 janvier 2012.
Incompétence de la CJC rejetée : 1e revers de l’Etat du Sénégal
L’Etat sénégalais ne parvient pas à faire la différence être compétent pour juger et juger impartialement. et étant donné que les requérants ont allégué être victimes de violations de droits de l’homme commises par l’Etat du Sénégal et invoqué des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l’homme notamment la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et le Pacte international relatif aux droits civils politiques que l’Etat du Sénégal a ratifiés, la CJC constate que les éléments qui l’ont guidée par la passé à fixer sa jurisprudence en matière de compétence sont réunis et par elle ne peut que retenir sa compétence dans l’affaire opposant Khalifa Sall et compagnie à l’Etat du Sénégal et procéder au jugement de ladite affaire. Ce qui constitue un premier revers pour l’Etat du Sénégal.
Droit l’assistance d’un avocat : 2e revers de l’Etat du Sénégal
Le demandeur s’est plaint de l’absence du conseiller juridique durant l’audition par la police puis durant le premier interrogatoire devant le juge d’instruction. Pour le droit à l’assistance d’un avocat dès leur interpellation, les requérants invoquent l’article 14, alinéa 3-d du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. A cela s’ajoute le règlement n°05/CM/Uemoa du 25 septembre 2014 relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace Uemoa en son article 5, l’article 9 de la constitution alinéa 4, l’article 55 bis du code de procédure, alinéa 10, 11, 12, 13, 15 qui traitent tous du « droit à l’assistance par un conseil dès l’interpellation au niveau de la police ou dès la première comparution devant le juge d’instruction». L’Etat défendeur, pour se défendre de ce grief, a soutenu que « la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar qu’aucun droit des requérants n’a été violé ». Ce que la CJC rejette car elle estime que la Chambre d’accusation de la Cour d’appel était appelé à se prononcer sur la nullité du procès d’enquête préliminaire pour inobservation d’une formalité substantielle et non sur la violation d’un droit humain. Une formalité substantielle « est une règle de procédure obligatoire dont la méconnaissance, totale ou partielle, exerce une influence déterminante sur le sens de la décision dont elle régit l’édiction, soit prive les intéressés d’une garantie ». En sus, la CJC fustige la lâcheté de l’Etat sénégalais qui laisse entendre que « pour la violation du droit à l’assistance d’un conseil puisse prospérer, il faut que celle-ci lui soit imputable » alors que l’enquête préliminaire a été assurée par les services de police de l’Etat sénégalais. Pourtant l’article 55 bis alinéa 10 du code de procédure pénale dispose que « l’officier de police judiciaire informe la personne interpellée de son droit de constituer conseil parmi les avocats inscrits au tableau ou admis en stage. Mention de cette formalité est faite obligatoirement sur le procès-verbal d’audition à peine de nullité ». Soit la police judiciaire ignore encore cette réforme, soit elle exécute des mots d’ordre au point d’ignorer royalement les dispositions de la loi. Au regard de ce qui précède, la CJC déclare que la responsabilité de l’Etat défendeur dans la violation du droit à un conseil est engagé. Deuxième revers de l’Etat sénégalais.
Violation du droit à la présomption d’innocence : 3e revers de l’Etat sénégalais
Concernant la violation de leur droit à la présomption d’innocence, les requérants se sont appuyés sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, la Déclaration universelle des droits de l’Homme, les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique. La partie demanderesse s’est plainte de l’attitude non neutre du procureur de la République, Serigne Bassirou Gueye, qui a tenu une conférence le 03 mars 2017 pour accuser le maire de Dakar d’avoir fait main basse sur un montant de 1 milliard 800 millions sur la base de faux documents. La CJC fait savoir au procureur que ses propos détonnent avec les prescriptions des instruments juridiques que l’Etat du Sénégal a ratifiés. Là aussi la responsabilité de l’Etat du Sénégal est engagée. Troisième revers de l’Etat sénégalais.
Violation du droit à un procès équitable : 4e revers de l’Etat sénégalais
S’appuyant sur la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, les requérants se sont plaints devant la CJC de la violation du droit à un procès équitable. Là, c’est le doyen des juges Samba Sall qui en a pris pour son grade. Il a clôturé l’information judiciaire le 07 décembre 2017 alors que des appels devant la Chambre d’accusation. Le même jour où il a notifié ses ordonnances aux requérants, ces derniers ont relevé d’appel desdites ordonnances. Ce qui constitue un obstacle aux droits de la défense de Khalifa Sall. Le Doyen des juges n’a pas le droit de clôturer une information tant des recours contre ses ordonnances (ordonnance de refus de désignation d’expert et de refus d’audition de personnes, ordonnance rejetant la demande d’autorisation de consigner en vue d’une liberté provisoire) attendent leur examen par la juridiction d’instruction du second degré. La Cour conclue que le juge instructeur Samba Sall en agissant ainsi a ôté à la procédure son caractère équitable. Ainsi l’Etat du Sénégal, par l’entremise de ses agents judiciaires a failli à l’obligation de garantir un aux requérants un procès équitable. Par conséquent sa responsabilité est encore engagée. Ce qui constitue un quatrième revers !
Violation des droits politiques de Khalifa Sall : 5e revers de l’Etat sénégalais
Quant à ses droits politiques, Khalifa Sall en tant leader de Manko Taxawu Dakar s’est plaint d’être privé de campagne et d’exercer son droit de vote. La partie défenderesse a justifié cette privation sur la base du décret N°2001-62 du 04 mai 2001 relatif aux procédures d’exécution et aménagement des sanctions pénales qui ne prévoit pas pour un détenu la possibilité pour recevoir la télévision pour communiquer avec l’extérieur encore moins celle de sortir pour effectuer un vote. La CJC a rejeté cet argumentaire parce que Khalifa Sall au moment des faits était un détenu préventif jouissant donc de tous ces droits civiques susnommés. Il n’était pas en train de purger une sanction pénale. Par conséquent les prescriptions du décret N°2001-62 du 04 mai 2001 ne lui sont pas applicables. C’est une faille de la législation électorale. Un cinquième revers de l’Etat du Sénégal !
Détention arbitraire de Khalifa Sall : 6e revers de l’Etat sénégalais
a partir du 14 août 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré Khalifa Sall député. Donc une nouvelle situation juridique lui a été conférée par les urnes. La CJC estime que dès lors une procédure de levée de son immunité parlementaire ou une suspension de sa détention devait être entamée. Ainsi le défendeur l’a maintenu irrégulièrement en prison parce que la levée de son immunité parlementaire n’a été sollicitée que le 25 novembre 2017 soit deux semaine avant la clôture de l’information. Ainsi le député Khalifa Sall a été maintenu illégalement en prison pendant trois mois et demi. La responsabilité de l’Etat défendeur est encore engagée. Ce qui constitue un sixième revers pour l’Etat du Sénégal. Il faut constater que dans cette audience de la CJC qui traite de l’affaire Khalifa Sall, l’Etat du Sénégal a perdu sur six sur dix chefs de demande formulée par les requérants. Ces derniers n’étant déboutés que sur quatre chefs. Avant que le procureur général Lansana Diaby n’intervienne pour déclarer à la Cour d’appel qu’il faut tenir compte des décisions de la CJC au risque d’aller vers chaos communautaire, la partie défenderesse et la valetaille de Bennoo Bokk Yaakaar criaient sous les toits que le Sénégal n’a obligation de respecter les décisions de la Cour supranationale. Mais conformément à l’article 19, alinéa 2 du Règlement de la CJC « les décisions sont immédiatement exécutoires et ne sont pas susceptibles d’appel ».
La force exécutoire des décisions de la CJC
Dans le Traité révisé de la Cedeao, il est clairement prohibé aux Etats membres de « s’abstenir d’entreprendre toute action susceptible de compromettre la réalisation des objectifs de la Communauté » puisque « Chaque Etat Membre s’est engagé à honorer ses obligations aux termes du présent Traité et à respecter les décisions et les règlements de la Communauté ». et dans l’article 15 qui crée et fixe les compétences de la CJC, il est indiqué à l’alinéa 4 que « les arrêts de la Cour de Justice ont force obligatoire à l’égard des Etats Membres, des Institutions de la Communauté, et des personnes physiques et morales. Ses décisions sont contraignantes et chaque État membre doit indiquer l’autorité nationale compétente chargée de l’exécution des décisions de la Cour ». Au terme du jugement de la CJC, il est constatable que la justice sénégalaise est à terre. Cette situation rétrograde explique pourquoi, dans le classement publié en février 2018 du World Justice Project (WJP) sur l’« Indice sur l’Etat de Droit 2017-2018 », le Sénégal perd trois places et occupe la 49e place sur 113. Il n’y a pas un seul secteur de la chaine judiciaire qui n’ait été cloué au pilori par la CJC. Cette dernière a souligné tous les manquements qui doivent aboutir à la libération du maire de Dakar. Des irrégularités ont entaché la procédure. Et certaines formalités substantielles (comme l’assistance d’un avocat à la première interpellation par la police) ont été ignorées. Ce qui annule le procès-verbal d’enquête préliminaire de la police et du doyen des Juges. De là, il y a un effet induit sur la validité de la procédure en entier. Maintenant, il appartient au juge Demba Kandj et associés de tirer toutes les conséquences de droit de cette condamnation de l’Etat du Sénégal qui ne peuvent déboucher que dans la libération du député-maire de Dakar
Serigne Saliou GUEYE avec le Rapport de la CJC