Entre le premier ministre Amadou Ba et le président du Pastef Ousmane Sonko, visiblement les amarres sont définitivement rompues. Prenant le soin jusqu'ici de mettre les convenances et la forme qui siéent dans leur adversité politique, les deux ex-collègues de la direction des impôts ne portent plus de gants par rapport à leurs divergences politiques en vue de l'élection présidentielle de 2024.
''Nous avons un parti qui a retrouvé son unité. Et désormais on ne va plus laisser faire. On va répondre à la provocation de l'opposition'', a fait savoir le Premier ministre Amadou Ba lors du récent meeting de la coalition BBY à Pikine, sur un ton va-t-en-guerre qui tranche avec sa tempérance habituelle. Et le chef du gouvernement d'ajouter : ''Et aux membres de l'opposition qui menacent tout le temps des magistrats, des gendarmes ou encore des hauts fonctionnaires des Impôts et Domaines, qu'ils sachent que l'Etat est debout et restera toujours debout. Et personne ne peut déstabiliser le Sénégal, l'unité du Sénégal.''
La réponse de son ''frère'', figure de proue de l'opposition, ne s’est pas fait attendre. Venu rendre visite au maire des Parcelles Assainies, fief du Premier ministre, le leader du Pastef Ousmane Sonko n'y est pas allé de main morte dans sa réplique. ''Si force devait rester à la loi, Amadou Ba aurait été le premier à être traîné devant les tribunaux pour qu'il justifie sa fortune'', tance le maire de Ziguinchor non sans indiquer que le Premier ministre est un poltron qui se prend pour un courageux. Des passes d'armes qui viennent ainsi ouvrir un nouveau chapitre dans leur relation. Formés tous les deux à l'ENAM, Amadou Ba (1988) et Ousmane Sonko (2001) ont toujours pris le soin de ne pas verser dans une animosité politique irréversible. Même si par exemple lorsqu'il était parlementaire, Ousmane Sonko a eu à critiquer la gestion de son ex-collègue qui était à l'époque ministre des Finances, ces critiques ont été toujours mesurées et n'ont jamais atteint un point de non-retour. Le Rubicon n'a jamais été franchi comme c'est le cas ces derniers jours.
Interrogé il y a quelques années sur ses amitiés avec l'ancien directeur des Domaines Tahibou Ndiaye et le nouveau Premier ministre, Ousmane Sonko avait toujours dit à qui voulait l'entendre qu'il avait des relations humaines avec les deux, même si sa vision politique est opposée à celle du Premier ministre. ''Nous sommes deux collègues qui partagent la direction des Impôts, qui se voient, déjeunent ensemble de temps en temps ; donc il ne peut y avoir d'animosité'', notait-il. Et récemment, un autre cadre du Pastef et pas des moindres, Bassirou Diomaye Faye, avait déclaré dans un entretien accordé à Seneweb que le Premier ministre Amadou Ba leur avait même proposé de venir à l'APR se battre et prendre les rênes de cette formation politique après. Ce qu'ils ont refusé, d'après Bassirou Diomaye Faye lui aussi inspecteur des Impôts.
L'ambition présidentielle, le «cimetière» de leur amitié
C'est dire qu'entre le Pastef formé en partie par des Inspecteurs des Impôts (Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye, Birame Soulèye Diop) et le Premier ministre Amadou Ba, la ligne de démarcation n'était pas lisible. Certains analystes politiques très proches des arcanes du pouvoir soulignent même que si l'ascension d’Amadou Ba a tardé au sein de la mouvance présidentielle, c'est à cause de son jeu jugé trouble avec les énarques du Pastef, soupçonné d'être derrière cette formation politique. ''Il est derrière Sonko'', disaient plusieurs faucons du palais. Ce qui avait précipité sa chute avant qu'il ne revienne aux affaires il y a quelques mois.
Mais à quelques mois de l'élection présidentielle de 2024, l'ambition affichée et affirmée d'Ousmane Sonko de briguer la magistrature su- prême et celle voilée mais devenue un secret de Polichinelle du Premier ministre Amadou Ba ont concassé leur amitié. En effet, Amadou Ba est en train de faire tout pour réaffirmer sa loyauté envers le président de la République. Espérant montrer assez de gages pour être légitimement le candidat de Macky Sall. Et ça passe nécessairement par casser les rapports ''respectueux'' qu'il a avec le Pastef. Son salut passe forcément par ce désamour.
À l'Assemblée nationale, lors du vote de la motion de censure comme au meeting de Pikine le week-end dernier, il a tiré à boulets rouges sur son ex-collègue et sa coalition. Et Ousmane Sonko n'a pas attendu longtemps pour apporter une cinglante réplique. Un mortal kombat qui annonce des lendemains politiques agités entre deux ''frères'' qui rêvent du fauteuil présidentiel. Et à la fin, un seul survivra.