Par Mody Niang
L’affaire dite de la mairie de Dakar occupe pleinement l’actualité depuis plusieurs jours. En attendant de savoir comment elle va se terminer, elle interpelle tous les compatriotes tant soit peu conscients de leurs responsabilités citoyennes. Elle soulève, en particulier, cette lancinante question de l’argent public confié à une minorité de privilégiés qui en usent et en abusent. Nous faisons pourtant partie des pays les plus pauvres et les plus endettés.
Malgré des efforts faits çà et là, les besoins pressent de partout, de nos zones rurales comme de nos villes et de leurs banlieues qui manquent pratiquement de tout. Malgré les apparences bavardes et trompeuses qui accompagnent les déplacements folkloriques du président-politicien, nos différents systèmes (sanitaire, éducatif, social, etc.) sont mal en point. Ne pouvant pas les passer tous en revue dans ce texte, nous nous arrêterons un peu sur notre système sanitaire. Et, pour ce faire, nous ferons appel à un éminent expert des questions de santé, dont la panne de l’unique appareil de radiothérapie de tout le pays a fait sortir de ses gonds. Il s’agit du Pr Cheikh Tidiane Touré, loin des questions politiciennes.
Dans une longue interview accordée à deux quotidiens de la place, il passe largement en revue les tares de notre système hospitalier. Le titre de son interview, «Système hospitalier sénégalais : entre obsolescence, inadaptation et désorganisation», est déjà fort révélateur des maux dont souffre tout notre système sanitaire, que des artifices comme la «Couverture maladie universelle» ont bien du mal à cacher. Dès l’introduction de l’interview, on se fait une idée des graves insuffisances de notre système hospitalier et, plus généralement, de notre système sanitaire tout court.
Désabusé, le Pr Touré déclare : « D’avoir vécu les affres des hôpitaux sénégalais pendant de longues décennies et d’avoir souffert de la détresse d’une amie et collègue médecin malade du cancer qui erre depuis de longs mois en quête de remèdes introuvables au Sénégal et se mourant à petit feu, j’ai décidé de parler ! » La cause est déjà entendue.
Un expert des questions éducatives pourrait faire le même constat amer sur le fonctionnement de nos universités. Un autre, des questions sociales, tirerait sûrement la sonnette d’alarme sur le sort de nos populations de plus en plus gagnées par la pauvreté. Et quid de nos villes, (et principalement Dakar), sales, bruyantes, désordonnées ? De ces villes qui attendent d’être seulement assainies depuis 57 ans ? S’y ajoute une administration détraquée par l’amateurisme et la politique politicienne de 17 années de gouvernance libérale.
Alors, comment, dans ces conditions-là, choisies parmi de nombreuses autres, laisser des centaines de milliards du pauvre contribuable à la merci de quelques privilégiés déjà repus, qui en disposent comme bon leur semble, et sans jamais rendre compte ?
C’est exactement ce qui se passe chez nous depuis l’indépendance de notre pays et, en particulier, depuis le 2 avril 2000, avec ces «mangeoires» que sont les caisses d’avance, les caisses noires, les fonds politiques, les fonds secrets et tant d’autres aberrations. Sans compter ces primes, indemnités et autres fonds communs à des niveaux parfois effarants et facilement octroyés, souvent sans bases légales connues.
Or donc, le Rapport de l’Inspection générale d’Etat (IGE) que le président-politicien s’est empressé de transmettre au Parquet et dont une certaine presse s’est fait largement l’écho, mettrait en évidence de graves malversations dans la gestion de la caisse d’avance de la mairie de Dakar.
Ce qui a valu au maire Khalifa Sall de déférer, avec ses collaborateurs, devant les enquêteurs de la Division des Investigations criminelles (DIC). Et cette même presse de préciser que «le Maire de Dakar n’a aucun désaccord avec l’Etat mais avec la transparence car c’est l’IGE qui l’a mis en cause». Le président Sall, selon elle, «n’a fait donc que suivre la recommandation de l’IGE en transmettant son rapport à la justice».
Elle a raison cette presse : le maire de Dakar doit rendre compte de sa gestion. Et, s’il est avéré que cette gestion est entachée de malversations, il doit en répondre devant la justice.
A aussi raison, le Premier secrétaire du Parti socialiste (PS), président du Haut conseil des Collectivités territoriales (HCCT) qui, dans une déclaration, est revenu largement sur «la politique de reddition des comptes mise en œuvre par le régime». Une politique qui, selon lui, «est au cœur de la bonne gouvernance». Il en sait peut-être plus que nous, lui qui est au cœur de ce régime. Il poursuit d’ailleurs : «La reddition des comptes ou la ‘’redevabilité’’ est un principe incontournable pour une gestion saine». Quand on gère le bien public, on doit rendre compte.» Là aussi, il a parfaitement raison. Tout le monde doit rendre compte. Est-ce vraiment le cas au Sénégal ? Combien sont-ils à rendre compte, depuis le 2 avril 2012, et peut-être, une dizaine d’années auparavant ?
Le tout nouveau militant de la bonne gouvernance et de la reddition des comptes peut-il nous citer, après le maire de Dakar, un ou deux autres seulement, qui ont fait l’objet d’enquêtes déclenchées par le Procureur de la République, suite à la transmission d’un rapport de l’IGE ou d’une autre structure de contrôle, depuis le 2 avril 2012 ? Notre néo-converti à la bonne gouvernance peut-il nous donner l’assurance que, après le maire de Dakar, d’autres gestionnaires de deniers publics qui ont été mis en cause par les nombreux rapports qui dorment sur le bureau du président-politicien et sur celui du procureur de la République suivront ?
L’IGE a mis, semble-t-il, dix-huit (18) longs mois pour fouiller dans la gestion du Maire de Dakar. Le président-politicien lui donnera-t-il pour ordre de mission d’aller fouiller dans la gestion des nombreux ministères, agences et autres structures à la tête desquels trônent ses amis de l’APR ? Peut-il nous dire pourquoi les fonds politiques ou caisses noires – on ne sait plus – de l’Assemblée nationale, du Conseil économique, social et environnemental, du Haut Conseil qu’il préside, de la Cour suprême, du ministère de l’Intérieur, etc., sont hors de tout contrôle ?
La reddition des comptes ne concerne-t-elle pas les gestionnaires privilégiés de fonds aussi substantiels, qui sont quand même abondamment alimentés par l’argent du pauvre contribuable ? Et ce pittoresque ministre délégué qui se permet de renvoyer comme des malpropres des magistrats de la Cour des comptes et qui distribue à tour de bras des centaines de millions de francs CFA ! Est-il concerné par la reddition des comptes ? Quand l’IGE ira-t-elle fouiller dans sa gestion qui ne doit sûrement pas être exemplaire ?
Le temps est quand même venu de mettre de l’ordre dans tous ces milliards du pauvre contribuable comme jetés par la fenêtre. Nous en avons bien besoin ailleurs. Et l’idéal serait de commencer par le sommet, qui devrait donner le bon exemple. En d’autres termes, il faut commencer par ces fameux fonds spéciaux du président de la République. Ces fonds, comme de nombreux autres, sont des pratiques de l’époque coloniale, transposées par les pays africains après leur accession à l’indépendance dans leur mode de gouvernance financière et budgétaire.
Le lecteur intéressé par ces questions peut se reporter au livre de l’inspecteur général d’Etat à la retraite, le doyen Mahady Diallo. Il a pour titre : «La comptabilité publique des Etats africains francophones : pratiques postcoloniales et grandes misères actuelles.» Nos gouvernants, en particulier, ont beaucoup intérêt à le consulter.
L’auteur a largement passé en revue les crédits dont l’emploi «est soustrait aux règles habituelles de contrôle budgétaire » (et) qui sont appelés vulgairement ‘’Fonds secrets’’».
Il a ensuite rappelé les règles d’utilisation de ces «Fonds» en France métropolitaine comme dans les pays africains, après leur accession à l’indépendance. En parcourant cet important livre, riche d’enseignements, on découvre au fur et à mesure comment l’emploi de ces fonds a été dénaturé jusqu’à devenir, dans sa pratique quotidienne, «de simples fonds personnels (ou argent de poche) employés n’importe comment, n’importe quand et n’importe où».
L’auteur a décrit, entre autres points importants, «la pratique des ‘’Fonds secrets’’ et des ‘’Fonds politiques’’ dans les premiers régimes politiques africains après l’indépendance» (page 566, les autres étant décrits dans les trois pages précédentes). L’auteur précise ensuite, qu’à la base des bonnes performances en administration et gestion des «Fonds spéciaux» mises en évidence dans cette description, il y avait, au niveau de certains sommets gouvernementaux africains, des méthodes organisationnelles stratégiquement efficaces.
Au Sénégal, du temps de Senghor comme de Diouf jusque vers les dernières années de sa présidence, les «Fonds spéciaux» étaient gérés conformément à ces méthodes organisationnelles. En particulier, le président de la République déléguait son pouvoir d’ordonnateur des dépenses sur les «Fonds spéciaux» à son Directeur de cabinet. Il déléguait en même temps ses attributions de caissier au Secrétaire général de la Présidence de la République qui, en principe, était toujours un haut fonctionnaire, neutre politiquement par conséquent.
La conséquence d’une telle stratégie, c’est que «le président de la République ne touchait pratiquement jamais à l’argent liquide des ‘’Fonds spéciaux’’ et donc ne manipulait personnellement seul, non plus, aucun compte bancaire où une partie des fonds aurait pu être logée». Une autre conséquence découlant de la première, «le Directeur de cabinet ne manipulait pas (lui non plus) de fonds et se contentait de transmette par écrit les ordres de sortie de fonds décidés par le Président, au Secrétaire général de la présidence de la République».
Le Secrétaire général n’était que «caissier-comptable» et, en tant que tel, «exécutait les ordres de sortie de fonds reçus du directeur de cabinet, instruit pour ce faire par le président de la république». Ce n’était pas tout. Le Secrétaire général «tenait, par la suite, les comptes de dépenses et de recettes, et rassemblait les pièces justificatives de ces opérations». Enfin, «il rendait compte régulièrement au président de la République de l’emploi des fonds qu’il détenait et qu’il ne pouvait sortir sans ordre écrit».
Dans un autre point, l’auteur passe en revue «La pratique actuelle des ‘’Fonds secrets’’ en Afrique francophone» où il relate les avatars relevés çà et là. Ces avatars ont caractérisé la gestion des «Fonds spéciaux» pendant 17 ans au Sénégal, du 2 avril 2000 à nos jours. D’un milliard 500 millions de francs CFA au moment où Diouf quittait le pouvoir, ils ont rapidement crevé tous les plafonds avec Wade. Quand ce dernier quittait le pouvoir, la dotation annuelle était officiellement de huit milliards. Mais, en trois mois (de janvier à mars 2012), il avait tout raflé et même dépassé, semble-t-il, le montant officiel de quelque 700 millions.
Son successeur, avec l’aide du ministre de l’Economie et des Finances sortant, a reconduit le même montant grâce à un décret d’avance. Il donnait déjà un avant-goût de sa sobriété.
Combien de milliards Wade a-t-il grillés pendant douze ans ? En cinq ans, son successeur en a grillé officiellement quarante (40). Quarante milliards dépensés au grand jour de la manière que tout le monde sait ! Quarante milliards laissés à sa discrétion, qu’il peut dépenser comme il veut et sans rendre compte, qu’il peut même brûler ou jeter par la fenêtre !
L’esprit des «Fonds spéciaux» comme de nombreux autres est manifestement faussé au Sénégal. On ne dépense pas l’argent public comme on veut et sans justification. En tout cas quand, par suite de la panne du seul appareil de radiothérapie du pays, nos malades sont envoyés au Maroc, en Mauritanie et au Mali, notre classe politique au pouvoir devrait avoir honte de continuer de dilapider l’argent du contribuable en centaines de milliards de francs CFA à partir de fonds, de caisses d’avance, de caisses noires qui échappent à tout contrôle.
Nous ne devrions pas regarder passivement cette minorité déjà repue continuer de s’enrichir grâce au système odieux qu’elle a mis en place et dont elle s’accommode si bien ! Si nous étions des Brésiliens, des Roumains ou des Sud-Coréens, cette classe politique vorace serait balayée sans ménagement, en même temps que son système criminel, un des plus grands instruments d’appauvrissement de notre pays. Malheureusement, nous Sénégalaises et Sénégalais, sommes ce que nous sommes, et le massacre de nos maigres ressources va sûrement continuer de plus belle, pendant encore de longues années.
L’affaire dite de la mairie de Dakar occupe pleinement l’actualité depuis plusieurs jours. En attendant de savoir comment elle va se terminer, elle interpelle tous les compatriotes tant soit peu conscients de leurs responsabilités citoyennes. Elle soulève, en particulier, cette lancinante question de l’argent public confié à une minorité de privilégiés qui en usent et en abusent. Nous faisons pourtant partie des pays les plus pauvres et les plus endettés.
Malgré des efforts faits çà et là, les besoins pressent de partout, de nos zones rurales comme de nos villes et de leurs banlieues qui manquent pratiquement de tout. Malgré les apparences bavardes et trompeuses qui accompagnent les déplacements folkloriques du président-politicien, nos différents systèmes (sanitaire, éducatif, social, etc.) sont mal en point. Ne pouvant pas les passer tous en revue dans ce texte, nous nous arrêterons un peu sur notre système sanitaire. Et, pour ce faire, nous ferons appel à un éminent expert des questions de santé, dont la panne de l’unique appareil de radiothérapie de tout le pays a fait sortir de ses gonds. Il s’agit du Pr Cheikh Tidiane Touré, loin des questions politiciennes.
Dans une longue interview accordée à deux quotidiens de la place, il passe largement en revue les tares de notre système hospitalier. Le titre de son interview, «Système hospitalier sénégalais : entre obsolescence, inadaptation et désorganisation», est déjà fort révélateur des maux dont souffre tout notre système sanitaire, que des artifices comme la «Couverture maladie universelle» ont bien du mal à cacher. Dès l’introduction de l’interview, on se fait une idée des graves insuffisances de notre système hospitalier et, plus généralement, de notre système sanitaire tout court.
Désabusé, le Pr Touré déclare : « D’avoir vécu les affres des hôpitaux sénégalais pendant de longues décennies et d’avoir souffert de la détresse d’une amie et collègue médecin malade du cancer qui erre depuis de longs mois en quête de remèdes introuvables au Sénégal et se mourant à petit feu, j’ai décidé de parler ! » La cause est déjà entendue.
Un expert des questions éducatives pourrait faire le même constat amer sur le fonctionnement de nos universités. Un autre, des questions sociales, tirerait sûrement la sonnette d’alarme sur le sort de nos populations de plus en plus gagnées par la pauvreté. Et quid de nos villes, (et principalement Dakar), sales, bruyantes, désordonnées ? De ces villes qui attendent d’être seulement assainies depuis 57 ans ? S’y ajoute une administration détraquée par l’amateurisme et la politique politicienne de 17 années de gouvernance libérale.
Alors, comment, dans ces conditions-là, choisies parmi de nombreuses autres, laisser des centaines de milliards du pauvre contribuable à la merci de quelques privilégiés déjà repus, qui en disposent comme bon leur semble, et sans jamais rendre compte ?
C’est exactement ce qui se passe chez nous depuis l’indépendance de notre pays et, en particulier, depuis le 2 avril 2000, avec ces «mangeoires» que sont les caisses d’avance, les caisses noires, les fonds politiques, les fonds secrets et tant d’autres aberrations. Sans compter ces primes, indemnités et autres fonds communs à des niveaux parfois effarants et facilement octroyés, souvent sans bases légales connues.
Or donc, le Rapport de l’Inspection générale d’Etat (IGE) que le président-politicien s’est empressé de transmettre au Parquet et dont une certaine presse s’est fait largement l’écho, mettrait en évidence de graves malversations dans la gestion de la caisse d’avance de la mairie de Dakar.
Ce qui a valu au maire Khalifa Sall de déférer, avec ses collaborateurs, devant les enquêteurs de la Division des Investigations criminelles (DIC). Et cette même presse de préciser que «le Maire de Dakar n’a aucun désaccord avec l’Etat mais avec la transparence car c’est l’IGE qui l’a mis en cause». Le président Sall, selon elle, «n’a fait donc que suivre la recommandation de l’IGE en transmettant son rapport à la justice».
Elle a raison cette presse : le maire de Dakar doit rendre compte de sa gestion. Et, s’il est avéré que cette gestion est entachée de malversations, il doit en répondre devant la justice.
A aussi raison, le Premier secrétaire du Parti socialiste (PS), président du Haut conseil des Collectivités territoriales (HCCT) qui, dans une déclaration, est revenu largement sur «la politique de reddition des comptes mise en œuvre par le régime». Une politique qui, selon lui, «est au cœur de la bonne gouvernance». Il en sait peut-être plus que nous, lui qui est au cœur de ce régime. Il poursuit d’ailleurs : «La reddition des comptes ou la ‘’redevabilité’’ est un principe incontournable pour une gestion saine». Quand on gère le bien public, on doit rendre compte.» Là aussi, il a parfaitement raison. Tout le monde doit rendre compte. Est-ce vraiment le cas au Sénégal ? Combien sont-ils à rendre compte, depuis le 2 avril 2012, et peut-être, une dizaine d’années auparavant ?
Le tout nouveau militant de la bonne gouvernance et de la reddition des comptes peut-il nous citer, après le maire de Dakar, un ou deux autres seulement, qui ont fait l’objet d’enquêtes déclenchées par le Procureur de la République, suite à la transmission d’un rapport de l’IGE ou d’une autre structure de contrôle, depuis le 2 avril 2012 ? Notre néo-converti à la bonne gouvernance peut-il nous donner l’assurance que, après le maire de Dakar, d’autres gestionnaires de deniers publics qui ont été mis en cause par les nombreux rapports qui dorment sur le bureau du président-politicien et sur celui du procureur de la République suivront ?
L’IGE a mis, semble-t-il, dix-huit (18) longs mois pour fouiller dans la gestion du Maire de Dakar. Le président-politicien lui donnera-t-il pour ordre de mission d’aller fouiller dans la gestion des nombreux ministères, agences et autres structures à la tête desquels trônent ses amis de l’APR ? Peut-il nous dire pourquoi les fonds politiques ou caisses noires – on ne sait plus – de l’Assemblée nationale, du Conseil économique, social et environnemental, du Haut Conseil qu’il préside, de la Cour suprême, du ministère de l’Intérieur, etc., sont hors de tout contrôle ?
La reddition des comptes ne concerne-t-elle pas les gestionnaires privilégiés de fonds aussi substantiels, qui sont quand même abondamment alimentés par l’argent du pauvre contribuable ? Et ce pittoresque ministre délégué qui se permet de renvoyer comme des malpropres des magistrats de la Cour des comptes et qui distribue à tour de bras des centaines de millions de francs CFA ! Est-il concerné par la reddition des comptes ? Quand l’IGE ira-t-elle fouiller dans sa gestion qui ne doit sûrement pas être exemplaire ?
Le temps est quand même venu de mettre de l’ordre dans tous ces milliards du pauvre contribuable comme jetés par la fenêtre. Nous en avons bien besoin ailleurs. Et l’idéal serait de commencer par le sommet, qui devrait donner le bon exemple. En d’autres termes, il faut commencer par ces fameux fonds spéciaux du président de la République. Ces fonds, comme de nombreux autres, sont des pratiques de l’époque coloniale, transposées par les pays africains après leur accession à l’indépendance dans leur mode de gouvernance financière et budgétaire.
Le lecteur intéressé par ces questions peut se reporter au livre de l’inspecteur général d’Etat à la retraite, le doyen Mahady Diallo. Il a pour titre : «La comptabilité publique des Etats africains francophones : pratiques postcoloniales et grandes misères actuelles.» Nos gouvernants, en particulier, ont beaucoup intérêt à le consulter.
L’auteur a largement passé en revue les crédits dont l’emploi «est soustrait aux règles habituelles de contrôle budgétaire » (et) qui sont appelés vulgairement ‘’Fonds secrets’’».
Il a ensuite rappelé les règles d’utilisation de ces «Fonds» en France métropolitaine comme dans les pays africains, après leur accession à l’indépendance. En parcourant cet important livre, riche d’enseignements, on découvre au fur et à mesure comment l’emploi de ces fonds a été dénaturé jusqu’à devenir, dans sa pratique quotidienne, «de simples fonds personnels (ou argent de poche) employés n’importe comment, n’importe quand et n’importe où».
L’auteur a décrit, entre autres points importants, «la pratique des ‘’Fonds secrets’’ et des ‘’Fonds politiques’’ dans les premiers régimes politiques africains après l’indépendance» (page 566, les autres étant décrits dans les trois pages précédentes). L’auteur précise ensuite, qu’à la base des bonnes performances en administration et gestion des «Fonds spéciaux» mises en évidence dans cette description, il y avait, au niveau de certains sommets gouvernementaux africains, des méthodes organisationnelles stratégiquement efficaces.
Au Sénégal, du temps de Senghor comme de Diouf jusque vers les dernières années de sa présidence, les «Fonds spéciaux» étaient gérés conformément à ces méthodes organisationnelles. En particulier, le président de la République déléguait son pouvoir d’ordonnateur des dépenses sur les «Fonds spéciaux» à son Directeur de cabinet. Il déléguait en même temps ses attributions de caissier au Secrétaire général de la Présidence de la République qui, en principe, était toujours un haut fonctionnaire, neutre politiquement par conséquent.
La conséquence d’une telle stratégie, c’est que «le président de la République ne touchait pratiquement jamais à l’argent liquide des ‘’Fonds spéciaux’’ et donc ne manipulait personnellement seul, non plus, aucun compte bancaire où une partie des fonds aurait pu être logée». Une autre conséquence découlant de la première, «le Directeur de cabinet ne manipulait pas (lui non plus) de fonds et se contentait de transmette par écrit les ordres de sortie de fonds décidés par le Président, au Secrétaire général de la présidence de la République».
Le Secrétaire général n’était que «caissier-comptable» et, en tant que tel, «exécutait les ordres de sortie de fonds reçus du directeur de cabinet, instruit pour ce faire par le président de la république». Ce n’était pas tout. Le Secrétaire général «tenait, par la suite, les comptes de dépenses et de recettes, et rassemblait les pièces justificatives de ces opérations». Enfin, «il rendait compte régulièrement au président de la République de l’emploi des fonds qu’il détenait et qu’il ne pouvait sortir sans ordre écrit».
Dans un autre point, l’auteur passe en revue «La pratique actuelle des ‘’Fonds secrets’’ en Afrique francophone» où il relate les avatars relevés çà et là. Ces avatars ont caractérisé la gestion des «Fonds spéciaux» pendant 17 ans au Sénégal, du 2 avril 2000 à nos jours. D’un milliard 500 millions de francs CFA au moment où Diouf quittait le pouvoir, ils ont rapidement crevé tous les plafonds avec Wade. Quand ce dernier quittait le pouvoir, la dotation annuelle était officiellement de huit milliards. Mais, en trois mois (de janvier à mars 2012), il avait tout raflé et même dépassé, semble-t-il, le montant officiel de quelque 700 millions.
Son successeur, avec l’aide du ministre de l’Economie et des Finances sortant, a reconduit le même montant grâce à un décret d’avance. Il donnait déjà un avant-goût de sa sobriété.
Combien de milliards Wade a-t-il grillés pendant douze ans ? En cinq ans, son successeur en a grillé officiellement quarante (40). Quarante milliards dépensés au grand jour de la manière que tout le monde sait ! Quarante milliards laissés à sa discrétion, qu’il peut dépenser comme il veut et sans rendre compte, qu’il peut même brûler ou jeter par la fenêtre !
L’esprit des «Fonds spéciaux» comme de nombreux autres est manifestement faussé au Sénégal. On ne dépense pas l’argent public comme on veut et sans justification. En tout cas quand, par suite de la panne du seul appareil de radiothérapie du pays, nos malades sont envoyés au Maroc, en Mauritanie et au Mali, notre classe politique au pouvoir devrait avoir honte de continuer de dilapider l’argent du contribuable en centaines de milliards de francs CFA à partir de fonds, de caisses d’avance, de caisses noires qui échappent à tout contrôle.
Nous ne devrions pas regarder passivement cette minorité déjà repue continuer de s’enrichir grâce au système odieux qu’elle a mis en place et dont elle s’accommode si bien ! Si nous étions des Brésiliens, des Roumains ou des Sud-Coréens, cette classe politique vorace serait balayée sans ménagement, en même temps que son système criminel, un des plus grands instruments d’appauvrissement de notre pays. Malheureusement, nous Sénégalaises et Sénégalais, sommes ce que nous sommes, et le massacre de nos maigres ressources va sûrement continuer de plus belle, pendant encore de longues années.