«On fait un coup d'Etat pour prendre le pouvoir. Moi j'avais tous les pouvoirs»
Mamadou Dia, ancien Président du Conseil des ministres
«Les pécheurs en eaux troubles, qu'ils soient tapis à l'ombre des cabinets ministériels, qu'ils soient tapis à l'ombre des personnes respectées et respectueuses, nous les dénicherons». Présent, à la Mairie de Louga au moment où le Président du Conseil, prononçait son discours à la veille des événements, ces mots raisonnent toujours dans nos oreilles. C'est dire qu'à chaque fois que survienne le 17 décembre, la plupart des gens de notre génération ne peuvent manquer de se souvenir de ces moments fatidiques qui l'ont jalonné et ont marqué de façon indélébile, l'histoire politique de notre pays. Ils lui ont imprimé également, une tournure regrettable.
A l'occasion du 45e anniversaire de ce 17 décembre, nous voudrions comme à l'accoutumée, revenir sur quelques aspects de cette épisode historique, riche en enseignements, mais ignoré de la jeune génération. Et c'est le témoignage l'ex-Président du Conseil Mamadou Dia qui nous servira de baromètre dans ce domaine. Témoignage qui n'a fait l'objet d'aucune remise en cause par les protagonistes de l'époque qui, malheureusement n'ont pas survécu comme lui, l'anniversaire de ce 17 décembre 2007.
Le Président Mamadou a toujours soutenu que l'histoire lui donnera raison. Déjà le procès qui eut lieu en 1963, confirmait ses convictions. Rappelons à cet effet, que la Haute Cour de justice, une juridiction d'exception, combattue depuis cette époque par les démocrates, était constitué de la façon suivante : Président, Ousmane Goudiame. Membres : les députés : Abbas Guèye, Ansou Mandian, Théophile Jams, Mady Cissokho, Alioune Niang, Amadou Gorgui Samb, comme juges titulaires. Les juges suppléants étaient : Etienne Carvallo, Ndongo Malick Fall, Oumar M'Backé, Macodou N'diaye, Sanousi Noba et Ibra Abdoulaye Thiaw. Naturellement, tous étaient des adversaires du Président Mamadou Dia. Le Procureur général était Ousmane Camara.
A signaler que l'acte d'accusation s'articulait autour de : «atteinte à la sûreté de l'Etat ; arrestations arbitraires ; réquisition de la force publique pour s'opposer à l'exécution des lois et des dispositions légales». Mais l'accusation propagandiste se résumait à ce slogan : «Mamadou Dia voulait faire un Coup d'Etat à Senghor».
A l'entame du procès la cour a auditionné divers témoignages à décharge dont ceux de : MM. François Perroux, Monnerville, du père Lebret, par écrit, etc. Par rapport à ces témoignages le Président Dia souligne que : «Au cours du procès, d'autres témoins directs sont intervenus : des camarades de parti comme Adama Cissé. C'est moi-même, précise-t-il, qui a demandé qu'on abrège cette succession de témoignages à décharge. Ce qui a été particulièrement important, ajoute-t-il, c'est le témoignage des acteurs directs. Le Général Alfred Diallo lui-même (colonel à l'époque) n'a rien établi qui puisse être retenu comme à charge contre nous.
Le Général Fall est intervenu avec beaucoup de dignité. Il venait, justement, d'être l'objet d'une sanction de la part du chef de l'Etat. Il était souffrant. Il est quand même venu, une jambe dans le plâtre. Quand on lui a demandé pourquoi il n'avait pas répondu quand le chef de l'Etat l'avait appelé, il a rétorqué : «Moi, je suis un soldat -Mon chef, d'après la constitution en vigueur, c'était le Président du Conseil, de surcroît Ministre de la défense. Je ne pouvais pas passer par-dessus mon chef hiérarchique pour aller répondre à la convocation du Président de la République. Il a dit cela avec beaucoup de dignité, beaucoup d'honnêteté».
Mais ce sont les témoignages « éclatants » du Capitaine Pereira, qui commandait l'unité des parachutistes et du jeune officier Dé Momar Gary, qui vont ruiner les accusations articulées contre Mamadou Dia et ses amis. Le Président raconte : « Il (Pereira) nous a arrêtés, ayant reçu directement des instructions du Chef de l'Etat, par-dessus la tête du Président du Conseil, Ministre de la défense que j'étais. Mais ce qu'à établi le témoignage de Pereira de façon nette, c'est la chronologie véritable des faits. Il faut lui en rendre hommage. Probablement une des raisons pour lesquelles on lui en voudra, c'est de n'avoir pas accepté de falsifier l'histoire, de déformer les faits. A quel moment avait-il été réquisitionné par le chef de l'Etat ? C'était très important, pour savoir qui a pris l'initiative du Coup d'Etat, qui a violé la Constitution ?
D'après le témoignage même de Pereira devant la Haute Cour, la réquisition par le chef de l'Etat de l'Unité des parachutistes, avait été établie et signé la veille des événements. Elle lui avait été remise par porteur, avec les mots suivants : « Au coup de téléphone, sur instructions qui vous seront données, vous ouvrirez le pli ». Et c'est le matin, d'après Pereira – il l'a précisé devant la Haute Cour – c'est le matin à 9 heures, donc avant que je ne sois intervenu pour faire arrêter les députés et fermer l'Assemblée, que Pereira a reçu le coup de fil lui disant : « Ouvrez et exécutez ». Cela établissait que l'auteur du Coup d'Etat n'était pas Mamadou Dia, mais bel et bien Senghor. On lui a fait répéter. Il a confirmé : « C'est à neuf heures qu'on m'a dit : ouvrez ! Pas à 11 heures, mais à neuf heures ». (Mémoires d'un militant du tiers monde, Ed. Publisud).
« Maître Badinter, souligne le Président Dia, pour sa part, obtiendra que lecture soit donnée d'un document non moins capital, contenu dans le dossier : La réquisition de substitution que le Président du conseil a prise pour assurer la sécurité du chef de l'Etat. Acte plus valable légalement que celui que le chef de l'Etat, en violation de la Constitution, prendra lui-même en requérant le groupement « Parachutiste».
« Ce témoignage de Pereira était assurément capital. Il en sera de même de celui de Dé Momar Gary, un jeune officier, un de nos meilleurs officiers, mort, par la suite accidentellement, dit-on. Son témoignage, précise le Président Dia, a été d'une objectivité telle qu'il semble que ce soit la raison pour laquelle, malgré sa haute qualification, il a été pratiquement mis à l'écart, jusqu'à sa mort».
Mais dans le cadre du complot contre le Président Dia, un des plans diaboliques, qui rappelle ceux des services secrets, a été cette machination policière, pour faire croire au Khalife Falilou M'Backé, cette histoire incroyable qui le viserait personnellement. A ce sujet, le Président parle d'une «lettre fabriquée de toute pièces, dont la paternité était attribuée au chef du Gouvernement que j'étais ; lettre que ce dernier aurait adressée tenez-vous bien – directement au chef de la Gendarmerie de M'Backé, en personne, pour lui donner l'ordre de procéder à l'arrestation du Calife général des Mourides. Machiavel n'aurait pas fait mieux !». Ajoute, le Président. Avec cette précision : «Les langues se sont déliées pour raconter l'abject scénario (…) l'utilisation des imprimés de la Présidence du Conseil, le vol du cachet du chef du Gouvernement et l'imitation de sa signature».
Sur le procès, notons cette situation comique qui rendait compte d'une mauvaise conscience d'un juge suppléant, relaté par le président Dia, après avoir mentionné l'intransigeance, la rigueur de son compagnon Ibrahima Sarr, qui ne voulait aucunement un traitement de faveur. «Un tel, parmi les juges suppléants dont je tairai le nom par ce qu'il n'est plus, dit-il, était assis au fond juste en face de moi, un juge titulaire faisant écran entre nous deux. A un moment donné, ce dernier a fait un mouvement de côté, si bien que mon bonhomme s'est trouvé à découvert vis-à-vis de moi et nos regards se sont croisés.
«Ce fut alors une scène amusante dont lui et moi fumes, avec Dieu seuls témoins. Lui fuyant mon regard se cachant derrière notre juge titulaire, moi, le poursuivant du regard ; lui, se déplaçant pour changer de position, et moi, le poursuivant toujours… Ce n'était pas pour rien. Souligne le Président, qui ajoute que : « En effet le malheureux m'avait fait des déclarations telles à la veille des événements ! Et nous étions si liés. Je lui ai rendu bien des services. Evidemment, il ne pouvait pas supporter mon regard. Voilà une situation qui montre que seule la vérité est révolutionnaire ».
Nous voyons que les faits ont aidé le Président Dia à dénicher, comme il le disait à Louga, tous les pécheurs en eaux troubles. C'est pourquoi nous pensons que les historiens, devraient être plus attentifs à ce témoignage capital du Capitaine Pereira, à qui il faut, à la suite du Président Dia, rendre hommage pour son courage. Car son témoignage a clos, depuis longtemps le débat sur cette affaire du Coup d'Etat. Et nous pensons qu'en condamnant des innocents qui ont injustement purgé pendant 12 ans une peine de prison, tous les membres de cette Haute Cour de justice, ont endossé une grande et grave responsabilité historique devant les sénégalais.
Nous disions tantôt, de notre point de vue, que les événements ont imprimé à notre histoire une tournure regrettable. En effet, pour nous quoi que puissent dire les historiens pro colonialistes, la lutte entre le Président Dia et Senghor avait pour enjeu, du côté de Dia, tout au moins, la rupture radicale avec le «Pacte colonial», combat endossé, de nos jours, par notre ami Mamadou Coulibaly, actuel Président de l'Assemblée Nationale de Côte d'Ivoire. Par ce que toujours en vigueur. Tout le contraire que défendait Senghor, récompensé par la suite, du titre «d'Immortel» de l'Académie française, avec le sabre, devant Césaire.
En ce 17 décembre 2007 qui marque également un autre triste anniversaire, celui de la mort d'un autre patriote vénézuélien, Simon Bolivar, défenseur des déshérités, les anciens esclaves, noirs, indiens notamment, nous souhaitons au président Dia, une bonne santé afin qu'il continue de fêter longtemps avec nous son propre anniversaire à coté de cet autre patriote, l'architecte brésilien, professionnellement actif, Oscar Neymayer, qui vient de fêter ses 100 ans.
Ababacar Fall-Barros