Le diable se cache souvent dans les détails, a-t-on l’habitude de dire. Le 15 mai 2018, dans une sortie qui fera date dans les annales du Droit constitutionnel, l’homme politique Ismaëla Madior Fall déclarait à la face du monde et devant les médias : «Une loi constitutionnelle et la Constitution sont du même niveau». Une intervention qui a pour but de justifier l’indécision du Conseil constitutionnel concernant la loi sur le parrainage intégral, et de défendre, l’indéfendable. La gravité de cette affirmation est proportionnelle à la trajectoire oblique d’un homme qui a quitté, depuis belle lurette, l’univers du Droit pour rejoindre la «mare aux canards», le monde de la démagogie et de la politique politicienne.
Mais, revenons un instant sur les propos de M. Ismaëla Madior Fall qui établit une équivalence entre la Constitution (loi suprême) et une loi constitutionnelle. Tout le monde sait ou presque (y compris Ismaëla Madior Fall) que la Constitution n’est pas un texte ordinaire. C’est un ensemble de normes placées au sommet de la hiérarchie de l’ordre juridique. La Constitution, c’est la Loi des lois, la Loi fondamentale, l’acte solennel et fondateur par lequel une société décline les règles qui régissent son fonctionnement.
La suprématie de la Constitution est matérialisée par trois principes :
– Un Préambule qui édicte les valeurs essentielles de la société, et énonce les droits et libertés fondamentales des citoyens,
– Des règles adossées sur des principes d’organisation politique, économique et sociale, et des procédures de fonctionnement des institutions,
– Des dispositions qui précisent les attributs de l’Etat et sa forme (républicaine, etc…).
Faisons maintenant un parallèle avec la loi constitutionnelle sur le parrainage intégral, puisque c’est de cela dont il s’agit. Le vote de la loi controversée n°10/2018, suite à la révision de la Constitution, fait du parrainage des électeurs, une condition substantielle de la validation des candidatures aux prochaines joutes présidentielles. Une telle loi, au demeurant inconstitutionnelle (la dérobade du Conseil constitutionnel n’y change rien), ne saurait être placée au même niveau que la Charte suprême.
Pour s’en convaincre, il suffit juste de prendre un exemple banal : Lorsqu’un individu lambda fait construire sa maison, et décide plus tard, l’ajout d’une nouvelle chambre, il procède à une simple extension. Cette extension ne modifie ni la charpente, ni le fondement de la maison. Considérer qu’une maison dont les fondations ont permis la création d’une chambre est équivalente à ladite chambre, c’est placer au même niveau la Suisse et le Népal, dont la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Poursuivons l’analyse, par un second exemple portant sur les lois référendaires. La loi référendaire issue de l’expression directe de la souveraineté nationale, le 20 mars 2016, n’a aucune équivalence possible avec la loi sur le parrainage intégral, votée par des députés godillots, aux ordres du pouvoir exécutif. Pour une raison simple : une norme adoptée par le peuple, par le biais d’un référendum, est l’émanation directe et souveraine de sa volonté.
De nombreux experts et d’éminents professeurs, pour ne pas tous les citer, ont développé la thèse de la suprématie formelle et matérielle de la Constitution. Pour le juriste Georges Burdeau, expert en Sciences politiques : «L’autorité renforcée de la Constitution est liée à son contenu. La rédaction de la Constitution extériorise la puissance particulière qui s’attache à ses dispositions». La prééminence de la Constitution (source première de la hiérarchie des normes) est attestée par le fait que c’est la Charte suprême qui détermine elle-même, les conditions de sa propre révision. La doctrine de la «basic structure» repose sur le fait que le pouvoir constituant dérivé peut amender les articles de la Constitution, mais ne peut en modifier la structure fondamentale.
En France, les spécialistes établissent une hiérarchie entre les textes composant le bloc de constitutionnalité. Pour certains, c’est la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui occupe le premier rang dans la hiérarchie. Pour d’autres, c’est le Préambule de la Constitution de 1946, qui prévaut sur les autres parties du bloc de constitutionnalité. Au-delà des nuances sur le rang à accorder à telle ou telle disposition, ce qui importe, c’est de noter la reconnaissance du principe de la hiérarchisation. Ce faisant, la thèse selon laquelle «certains principes constitutionnels sont antérieurs, supérieurs, naturels et imprescriptibles» est confortée.
L’argument selon lequel le Conseil constitutionnel est «incompétent» parce que la loi constitutionnelle sur le parrainage intégral est du même ordre que la Constitution témoigne d’une vaste supercherie. La Constitution, empreinte du sceau de la solennité, ne se situe pas au même niveau que la loi constitutionnelle sur le parrainage intégral, une loi scélérate, dite loi de circonstance (électorale). Toutes les lois constitutionnelles ne se valent pas.
En situant au même niveau la Constitution et la loi sur le parrainage intégral, l’auteur des «révisions consolidantes et déconsolidantes de la démocratie sénégalaise» fait le grand écart. Comme un retour de boomerang, c’est son ouvrage, qui taillade en pièce son argumentaire bâti sur une équivalence des lois constitutionnelles. En opérant une distinction nette entre les «révisions consolidantes» et les «révisions déconsolidantes», Ismaëla Madior Fall établit de facto, une hiérarchie entre les lois constitutionnelles (niveau supérieur) qui s’inscrivent dans une démarche de progrès et de consolidation de la démocratie, et les normes constitutionnelles (statut inférieur) qui fragilisent la démocratie et portent atteinte à l’équilibre des pouvoirs. Dans un article de 46 pages, intitulé «La révision de la Constitution», et publié par la revue scientifique Afrilex (Université Montesquieu de Bordeaux), Ismaëla Madior Fall fustigeait l’incompétence du Conseil constitutionnel (cf page 8) en ces termes : «… Les révisions déconsolidantes, bien que contestées par l’opinion publique, ne rencontrent pas de barrière significative, même pas celle du juge constitutionnel qui décline sa compétence pour en apprécier la régularité».
Mais, le mieux est à venir, lorsque Madior Fall dénonçait ouvertement l’attitude du Conseil constitutionnel «validant la violation du rite procédural du double vote, dès lors que l’Assemblée nationale réalisait par un seul vote l’adoption et l’approbation d’une loi, en violation des textes» (cf page 13). Ce que disait Ismaëla Madior Fall est très clair : le Conseil constitutionnel est compétent pour statuer lorsque la procédure de vote par l’Assemblée nationale est entachée d’irrégularité manifeste. Or, précisément, la saisine de l’opposition tendant à l’annulation de la loi sur le parrainage intégral porte «sur la conformité au Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, de la résolution portant vote sans débat de ladite loi constitutionnelle et de l’adoption de l’amendement». Par une spectaculaire volte-face, l’homme renie ses écrits, soutient mordicus «l’incompétence» du Conseil constitutionnel, et se mue en avocat des 7 Sages. Hier, il écrivait que l’organe émet des avis. Aujourd’hui, il prétend que le Conseil ne rend que des décisions.
Pour invalider l’argumentaire d’Ismaëla Madior Fall, il ne faut pas aller loin : il faut lire Ismaëla Madior Fall, théoricien et adepte du double discours. Avec Madior, c’est l’univers de tous les possibles : les principes qu’il défend aujourd’hui sont ceux qu’il pourfendait hier. Chaque disposition constitutionnelle peut faire l’objet d’une interprétation différente, selon le contexte. Tel un «mutant», l’homme affiche mille visages, suivant les lieux, les époques et les circonstances.
Membre officiel de l’Apr (il est détenteur de la carte du parti et milite dans son fief à Rufisque), et spécialiste «des découpes sur mesure de la Constitution», Ismaëla Madior Fall est un ex-Professeur qui a décidé de participer au festin. C’est son choix et son droit le plus absolu. Cela dit, l’honnêteté lui commande d’assumer sa trajectoire oblique et d’abandonner sa chaire (les étudiants ont besoin de références stables et crédibles). Nouveau porte-parole du Conseil constitutionnel, M. Fall formule des Avis juridiques qui valent ce qu’ils valent et n’engagent que sa propre personne, et le pouvoir exécutif, seul «bénéficiaire de ses œuvres déconsolidantes». Comme dans les contes d’Amadou Koumba de l’écrivain Birago Diop, d’aucuns diront, et à juste titre : il était une fois, le Constitutionnaliste Ismaëla Madior Fall.
Seybani Sougou
Mais, revenons un instant sur les propos de M. Ismaëla Madior Fall qui établit une équivalence entre la Constitution (loi suprême) et une loi constitutionnelle. Tout le monde sait ou presque (y compris Ismaëla Madior Fall) que la Constitution n’est pas un texte ordinaire. C’est un ensemble de normes placées au sommet de la hiérarchie de l’ordre juridique. La Constitution, c’est la Loi des lois, la Loi fondamentale, l’acte solennel et fondateur par lequel une société décline les règles qui régissent son fonctionnement.
La suprématie de la Constitution est matérialisée par trois principes :
– Un Préambule qui édicte les valeurs essentielles de la société, et énonce les droits et libertés fondamentales des citoyens,
– Des règles adossées sur des principes d’organisation politique, économique et sociale, et des procédures de fonctionnement des institutions,
– Des dispositions qui précisent les attributs de l’Etat et sa forme (républicaine, etc…).
Faisons maintenant un parallèle avec la loi constitutionnelle sur le parrainage intégral, puisque c’est de cela dont il s’agit. Le vote de la loi controversée n°10/2018, suite à la révision de la Constitution, fait du parrainage des électeurs, une condition substantielle de la validation des candidatures aux prochaines joutes présidentielles. Une telle loi, au demeurant inconstitutionnelle (la dérobade du Conseil constitutionnel n’y change rien), ne saurait être placée au même niveau que la Charte suprême.
Pour s’en convaincre, il suffit juste de prendre un exemple banal : Lorsqu’un individu lambda fait construire sa maison, et décide plus tard, l’ajout d’une nouvelle chambre, il procède à une simple extension. Cette extension ne modifie ni la charpente, ni le fondement de la maison. Considérer qu’une maison dont les fondations ont permis la création d’une chambre est équivalente à ladite chambre, c’est placer au même niveau la Suisse et le Népal, dont la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Poursuivons l’analyse, par un second exemple portant sur les lois référendaires. La loi référendaire issue de l’expression directe de la souveraineté nationale, le 20 mars 2016, n’a aucune équivalence possible avec la loi sur le parrainage intégral, votée par des députés godillots, aux ordres du pouvoir exécutif. Pour une raison simple : une norme adoptée par le peuple, par le biais d’un référendum, est l’émanation directe et souveraine de sa volonté.
De nombreux experts et d’éminents professeurs, pour ne pas tous les citer, ont développé la thèse de la suprématie formelle et matérielle de la Constitution. Pour le juriste Georges Burdeau, expert en Sciences politiques : «L’autorité renforcée de la Constitution est liée à son contenu. La rédaction de la Constitution extériorise la puissance particulière qui s’attache à ses dispositions». La prééminence de la Constitution (source première de la hiérarchie des normes) est attestée par le fait que c’est la Charte suprême qui détermine elle-même, les conditions de sa propre révision. La doctrine de la «basic structure» repose sur le fait que le pouvoir constituant dérivé peut amender les articles de la Constitution, mais ne peut en modifier la structure fondamentale.
En France, les spécialistes établissent une hiérarchie entre les textes composant le bloc de constitutionnalité. Pour certains, c’est la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui occupe le premier rang dans la hiérarchie. Pour d’autres, c’est le Préambule de la Constitution de 1946, qui prévaut sur les autres parties du bloc de constitutionnalité. Au-delà des nuances sur le rang à accorder à telle ou telle disposition, ce qui importe, c’est de noter la reconnaissance du principe de la hiérarchisation. Ce faisant, la thèse selon laquelle «certains principes constitutionnels sont antérieurs, supérieurs, naturels et imprescriptibles» est confortée.
L’argument selon lequel le Conseil constitutionnel est «incompétent» parce que la loi constitutionnelle sur le parrainage intégral est du même ordre que la Constitution témoigne d’une vaste supercherie. La Constitution, empreinte du sceau de la solennité, ne se situe pas au même niveau que la loi constitutionnelle sur le parrainage intégral, une loi scélérate, dite loi de circonstance (électorale). Toutes les lois constitutionnelles ne se valent pas.
En situant au même niveau la Constitution et la loi sur le parrainage intégral, l’auteur des «révisions consolidantes et déconsolidantes de la démocratie sénégalaise» fait le grand écart. Comme un retour de boomerang, c’est son ouvrage, qui taillade en pièce son argumentaire bâti sur une équivalence des lois constitutionnelles. En opérant une distinction nette entre les «révisions consolidantes» et les «révisions déconsolidantes», Ismaëla Madior Fall établit de facto, une hiérarchie entre les lois constitutionnelles (niveau supérieur) qui s’inscrivent dans une démarche de progrès et de consolidation de la démocratie, et les normes constitutionnelles (statut inférieur) qui fragilisent la démocratie et portent atteinte à l’équilibre des pouvoirs. Dans un article de 46 pages, intitulé «La révision de la Constitution», et publié par la revue scientifique Afrilex (Université Montesquieu de Bordeaux), Ismaëla Madior Fall fustigeait l’incompétence du Conseil constitutionnel (cf page 8) en ces termes : «… Les révisions déconsolidantes, bien que contestées par l’opinion publique, ne rencontrent pas de barrière significative, même pas celle du juge constitutionnel qui décline sa compétence pour en apprécier la régularité».
Mais, le mieux est à venir, lorsque Madior Fall dénonçait ouvertement l’attitude du Conseil constitutionnel «validant la violation du rite procédural du double vote, dès lors que l’Assemblée nationale réalisait par un seul vote l’adoption et l’approbation d’une loi, en violation des textes» (cf page 13). Ce que disait Ismaëla Madior Fall est très clair : le Conseil constitutionnel est compétent pour statuer lorsque la procédure de vote par l’Assemblée nationale est entachée d’irrégularité manifeste. Or, précisément, la saisine de l’opposition tendant à l’annulation de la loi sur le parrainage intégral porte «sur la conformité au Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, de la résolution portant vote sans débat de ladite loi constitutionnelle et de l’adoption de l’amendement». Par une spectaculaire volte-face, l’homme renie ses écrits, soutient mordicus «l’incompétence» du Conseil constitutionnel, et se mue en avocat des 7 Sages. Hier, il écrivait que l’organe émet des avis. Aujourd’hui, il prétend que le Conseil ne rend que des décisions.
Pour invalider l’argumentaire d’Ismaëla Madior Fall, il ne faut pas aller loin : il faut lire Ismaëla Madior Fall, théoricien et adepte du double discours. Avec Madior, c’est l’univers de tous les possibles : les principes qu’il défend aujourd’hui sont ceux qu’il pourfendait hier. Chaque disposition constitutionnelle peut faire l’objet d’une interprétation différente, selon le contexte. Tel un «mutant», l’homme affiche mille visages, suivant les lieux, les époques et les circonstances.
Membre officiel de l’Apr (il est détenteur de la carte du parti et milite dans son fief à Rufisque), et spécialiste «des découpes sur mesure de la Constitution», Ismaëla Madior Fall est un ex-Professeur qui a décidé de participer au festin. C’est son choix et son droit le plus absolu. Cela dit, l’honnêteté lui commande d’assumer sa trajectoire oblique et d’abandonner sa chaire (les étudiants ont besoin de références stables et crédibles). Nouveau porte-parole du Conseil constitutionnel, M. Fall formule des Avis juridiques qui valent ce qu’ils valent et n’engagent que sa propre personne, et le pouvoir exécutif, seul «bénéficiaire de ses œuvres déconsolidantes». Comme dans les contes d’Amadou Koumba de l’écrivain Birago Diop, d’aucuns diront, et à juste titre : il était une fois, le Constitutionnaliste Ismaëla Madior Fall.
Seybani Sougou