Macky Sall : de l'art de protéger les délinquants

TRIBUNE LIBRE
Samedi 19 Mai 2018

Nous assistons à l’instauration d’un modèle de gouvernance d’opportunisme tourné vers la sauvegarde et la consolidation des intérêts extérieurs ainsi que la protection de ses hommes qui ont hissé la délinquance financière à des niveaux insoupçonnés.


 
Dans son discours du 3 avril 2012, le président de la République s’était engagé à mettre en place «un gouvernement de rupture» enraciné dans «une gestion sobre et vertueuse». Il s’était aussi engagé à mettre «en charge l’obligation de dresser les comptes de la Nation et d’éclairer l’opinion sur l’état des lieux». Rien de tous ces engagements-là n’a été respecté par le Chef de l’Etat. Nous assistons à l’instauration d’un modèle de gouvernance d’opportunisme tourné vers la sauvegarde et la consolidation des intérêts extérieurs ainsi que la protection de ses hommes qui ont hissé la délinquance financière à des niveaux insoupçonnés. 

Depuis plus de trois ans, le système de gouvernance publique s’obscurcit. Sa manifestation la plus flagrante est la domestication des organes de contrôle et la politisation outrancière de l’administration à tous les niveaux. Il s’agit d’une attitude neutralisant toutes les ambitions sérieuses de refondation de l’Etat et de la transformation de la société poussant le Sénégal vers des profonds abîmes. La perversion et le naufrage de la gouvernance publique ont pour conséquence des retards inquiétants constatés dans la publication des rapports des organes de contrôle de l’Etat : ceux de l’Inspection Générale d’Etat (IGE) et de l’Office National contre la Fraude et la Corruption (de l’OFNAC) ou du moins ce qu’il en reste. 

La volonté de protéger ses ministres et ses directeurs pousse le Chef de l’Etat à passer sous silence le rapport de l’IGE 2015-2016 sur l’état de la gouvernance et la reddition des comptes. Cette posture du président de la République anéantit le travail des Inspecteurs généraux d’Etat qui n’ont ménagé aucun effort pour retracer la gestion tourmente du régime-Sall. Ce retard est imputable au Président de la République. A l’OFNAC, la non publication du rapport est la conséquence  d’un manque de matière dû au piétinement des enquêtes sur l’octroi des contrats pétroliers de PETROTIM Ltd, sur les contrats relatifs aux passeports biométriques alloués à SNEDAI de l’homme d’affaires Adama Bictogo et la mise sous le coude de la seconde phase de l’enquête sur la gestion du COUD géré par Cheikh Oumar Hanne. 

Conscientes des probables poursuites dans la galaxie-Sall, en matière d’enrichissement illicite et en matière de blanchiment de capitaux, les autorités étatiques font preuve de laxisme  retardant considérablement la transposition de la nouvelle Directive de 2015 de l’UEMOA sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. La logique de protection des hommes du pouvoir découlant d’un manque de volonté politique fera que le Sénégal risque d’être évalué par ses pairs de la CEDEAO sans la transposition de cette Directive. Alors que notre pays avait six (6) mois pour la transposer à partir du 2 Juillet 2015. 
Les germes du «larbinisme » et du «carriérisme»  que craignait Souleymane Teliko, nouveau président de l’Union des Magistrat Sénégalais (UMS) semblent s’emparer du système judiciaire. 

Faut-il rappeler que Monsieur Serigne Bassirou Gueye, Procureur de la République, avait pris l’engagement de nous entretenir «prochainement» (propos tenus le vendredi 3 mars 2017) sur les rapports de l’OFNAC. Il avait considéré que ces rapports étaient «comme un mauvais gruyère, il y a plus de trou que de fromage». Que l’on cherche à protéger des gens ou pas, les Sénégalais veulent connaitre la vérité judiciaire sur ce qui reste du gruyère et par conséquent de la grosseur de la taille des trous.  

Le même sort est aussi réservé au rapport 2015 de l’IGE alors que le 25 juin 2105, devant les députés, le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne avait martelé que «l’impunité est terminée» et que «des courriers donnant des instructions de poursuites au garde des Sceaux sont signés». En lieu et place de poursuites, nous ne pouvons qu’être septiques. Cela ressemble bien à une politique de protection des personnes concernées par ce rapport. 

La politique de protection de la délinquance financière par les autorités étatiques a profité jusqu’à présent à des personnalités tels que Monsieur Moustapha Diop, ancien Ministre délégué auprès du Ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, chargé de la Microfinance et de l’Economie solidaire. Pour rappel il avait refusé sans conséquence que le Fonds de l’Entreprenariat féminin soit contrôlé par la Cour des Comptes. 

Pour mémoire, ce Fonds était géré par Monsieur Diop qui vient d’être promu ministre plein dans le gouvernement formé le 7 septembre 2017. 
Ce gouvernement dit de combat a promu Monsieur Aly Ngouille Ndiaye qui, avec Monsieur Aliou Sall, a été un acteur direct dans l’affaire Petrotim. Il se voit confier le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique (MISP). Quant à Monsieur Aliou Sall, il est promu Directeur général de la Caisse de Dépôts et de Consignation (CDC). 

Monsieur Cheikh Kanté, ancien Directeur général du Port, n’a pas été capable jusque-là de justifier les critères de fixation des 2 milliards  de FCFA en guise de ticket d’entrée pour l’octroi illégal de la concession du Terminal vraquier du Port Autonome de Dakar (PAD) à NECOTRANS. Il est promu Ministre chargé du PSE. 

Monsieur Abdoulaye Daouda Diallo, ministre de l’Intérieur, a passé illégalement un marché de gré à gré pour un contrat de 50 milliards de francs Cfa pour la conception et la production des cartes d’identité biométriques alors que Monsieur Ibrahima Diallo, Directeur de la Division de l’automatisation du fichier (DAF), avait martelé le 06 Octobre 2016 sur les ondes de la RFM qu’ils auraient pu «parfaitement faire un appel d’offres pour octroyer ce marché». En plus, au même titre qu’IRIS CORPORATION, bénéficiaire du contrat des cartes d’identité biométriques, plus de 18 autres candidats avaient manifesté leur candidature. Monsieur Abdoulaye Daouda Diallo se voit confier le ministère en charge des Infrastructures. La liste des infracteurs et des faits infractionnels est loin d’être exhaustive. 

La mal gouvernance systémique a fini de s’emparer de l’Assemblée nationale et du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) qui refusent toujours de se conformer à la réglementation des marchés publics. 

Et pourtant, le journaliste Madiambal Diagne, dans sa chronique du 31 juillet 2017 avait attiré l’attention du chef de l’Etat en ces termes : «La Présidentielle de 2019 pourrait être délicate pour le Président Macky Sall si des mesures hardies de réaffirmation de la crédibilité de sa gouvernance ne sont pas entreprises. Il convient de donner des signaux clairs dans le choix des personnes qui incarnent la gouvernance publique, mais aussi sur les méthodes, les pratiques et les images renvoyées aux populations». 

A la place de mesures de matérialisation de la bonne gouvernance, le Chef de l’Etat nous compose un gouvernement symbolisant et incarnant la mal gouvernance dans son système et en ses acteurs. Face à cette situation, un peuple de combat s’impose pour la préservation des ressources publiques. 

Birahim Seck, membre du Conseil d'administration du Forum Civil