Législatives : Pourquoi Dakar donne de fortes insomnies au président Macky Sall

EDITORIAL
Samedi 8 Juillet 2017

A chaque élection, Dakar constitue un enjeu capital dans la victoire ou l’échec des candidats en lice. Depuis les années 80, il est fréquent de voir la capitale du Sénégal tomber dans l’escarcelle de l’opposition. Abdoulaye Wade, durant son magistère, a réussi le pari d’y gagner les joutes électorales (présidentielles, législatives) avant de perdre en 2009 les élections municipales devant Khalifa Sall et la présidentielle en 2012 devant Macky Sall. Ce dernier a perdu les élections municipales de 2014 devant le tombeur de Wade et les élections au niveau du Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT). Mais avant cette élection au suffrage universel indirect, le Président a remporté le référendum de Dakar devant l’opposition réunie.

Amadou Bâ et Abdoulaye Daouda Diallo : les chevaux de Troie du Président

Mais si ce référendum a été remporté à Dakar, il faut y voir la forte implication du ministre des Finances Amadou Bâ qui s’est donné tous les moyens financiers pour gagner le premier grenier électoral du Sénégal. En sus, il faut noter que dans cette consultation populaire, l’opposition avait dénombré 713 bureaux de vote fictifs jamais démentis par la Céna et le ministère de l’Intérieur. Avant le vote le nombre de bureaux étaient 12 381 et à l’annonce des résultats ils sont passés à 13 094. A cela s’est ajouté le transfert d’électeurs dans les zones susceptibles d’être gagnées par l’opposition surtout par l’édile de Dakar. Dans le bureau de vote de Khalifa Sall lors du référendum, les électeurs transférés ont fait pencher la balance de la victoire du côté du pouvoir. Et Mimi Touré, défaite lors des locales, s’était faussement enorgueillie de cette victoire au goût d’une revanche.

Si la région de Dakar donne de fortes insomnies au président Macky Sall, c’est parce qu’il constitue un enjeu capital pour gagner déjà un groupe parlementaire au niveau départemental : 17 sièges dont 7 pour le seul département de Dakar. Le département de Pikine a 6 sièges alors que Guédiawaye et Rufisque ont chacun 2 sièges. Et gagner Dakar dans une élection présidentielle est encore plus important parce qu’aujourd’hui avec le nouveau fichier la région de Dakar compte presque 2 millions d’électeurs donc le 1/3 des inscrits sur l’ensemble du territoire national. En sus, il y a le prestige qu’offre une victoire dans la capitale.

Aujourd’hui, pour gagner cette capitale, le Président agite l’épée de Damoclès au-dessus de ses troupes. Naguère, au palais de la République, sur un ton martial, il a tancé ses militants en ces termes comminatoires : «Je vous avertis : nous ne pouvons-nous permettre de perdre Dakar face à un candidat qui n’a pas sa liberté de mouvement. C’est inadmissible… Vous allez gagner ou périr. Le cas échéant, il faudra donc chercher d’autres acteurs. Maintenant, ne dormez pas sur vos lauriers, en vous disant que nous avons une majorité de maire dans les 19 communes d’arrondissement et nous allons gagner. Ce qui était valable à l’élection de ces maires en 2014, ne l’est forcément pas aujourd’hui».

Boun Dionne, Amadou Ba et Abdoulaye Diouf Sarr sur une bombe à retardement

Ce qui veut dire qu’Amadou Ba et Abdoulaye Diouf Sarr sont assis sur une bombe à retardement prête à exploser le soir du 30 juillet en cas de défaite électorale. Mimi Touré, puissante Première ministre, a été défenestrée le lendemain de sa défaite aux locales face à l’édile de Dakar.

Et ce serait plus qu’humiliant de voir un candidat, tête de liste embastillé, privé de toute capacité de déplacement, de parole et de contact avec ses militants, sympathisants et alliés battre ses adversaires dans Dakar sans battre campagne. Une éventuelle défaite de l’Alliance pour la République (APR) aux législatives à Dakar serait pleine de significations. Cela constituerait d’abord un désaveu à la justice qui a inculpé Khalifa Sall. Mais ce serait surtout une sorte de réplique cinglante des Dakarois au président Macky qui a actionné sa justice pour éloigner de la scène politique un potentiel adversaire à la présidentielle de 2019.

Et une telle situation laisserait croire qu’aujourd’hui que l’adversaire le plus crédible pour battre Macky Sall en 2019 pourrait être son tombeur de Dakar en 2017. Et une défaite aux législatives ferait le lit d’une autre défaite à la présidentielle de 2019. Aux législatives de 1998, l’opposition (49,8 % des suffrages exprimés) avait fait presque jeu égal avec le parti d’Abdou Diouf (50,2 %).

Mais son parti avait gagné plus de députés (93 sur 140) à cause de la règle du «raw gaddu» qui est tout sauf démocratique. Et c’est à cet instant que l’opposition a compris que l’alternance était possible deux plus tard puisque les signes avant-coureurs étaient manifestes lors des législatives. Et en 2000, la dynamique de l’alternance enclenchée par les résultats de 1998 de l’opposition est parachevée par la défaite d’Abdou Diouf.

Aujourd’hui le président Sall n’exclut rien pour remporter la bataille de Dakar. Des mallettes d’argent jusqu’au sabre en passant par les inaugurations aux allures de campagne. Si le chef de l’Etat a mis Amadou Ba, tête de liste à Dakar là où des politiciens chevronnés rompus au discours électoraliste sont laissés en rade, c’est parce qu’il compte rééditer le coup du référendum où les mallettes de billets de l’argentier de l’Etat ont eu raison de l’indéboulonnable Moussa Sy aux Parcelles assainies et de Khalifa Sall à Grand-Yoff. Une pluie de billets inondera certainement la capitale dans le but de la reconquérir. Si aujourd’hui le Président rechigne à remplacer son ministre de l’Intérieur, c’est parce qu’il compte sur lui pour refaire le coup du référendum entaché de transfert d’électeurs et de bureaux fictifs.

Si Dakar constitue une hantise pour le président Sall, Touba est devenu une préoccupation. Il faut souligner que depuis 2012, Touba ne vote pas APR. Et c’est pire lors du référendum où des petits-fils de Serigne Touba se sont ligués contre l’initiateur des réformes constitutionnelles pour voter «Non». Ainsi la stratégie utilisée pour gagner Dakar ne diffère presque en rien de celle utilisée pour la Reconquista de la capitale du mouridisme. Sauf que, même avec des mallettes d’argent, le Président ne peut pas enjoindre aux marabouts de gagner vaille que vaille la bataille de Touba, deuxième démographie électorale du Sénégal après Dakar.

Perdre Dakar, capitale du Sénégal, et Touba, capitale du mouridisme, confrérie à laquelle appartient supposément le président Macky Sall, serait prémonitoire d’une défaite à la prochaine présidentielle. Et l’Apériste en chef n’envisage pas être le premier Président d’un seul mandat.

Serigne Saliou Guèye