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Le site Médiapart s’empare de l’affaire Guy Marius Sagna

JUSTICE
Vendredi 2 Août 2019

Le site Médiapart s’empare de l’affaire Guy Marius Sagna
Son incarcération suscite l'indignation de la société civile, qui appelle à une manifestation vendredi 1er août à Dakar. L'activiste sénégalais Guy Marius Sagna a été arrêté le 16 juillet à Dakar et placé trois jours après en détention provisoire pour «diffusion de fausse alerte au terrorisme». Le 26 juillet, Amnesty Sénégal, la Ligue sénégalaise des droits de l’homme (LSDH) et la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho) ont demandé sa libération et dénoncé une atteinte à la liberté d’opinion. 
Guy Marius Sagna est l’une des chevilles ouvrières de plusieurs collectifs citoyens, dont le Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp) qui s’est mobilisé ces dernières années contre des accords de partenariat économiques (APE) que l’Union européenne tente d’imposer aux pays africains ; contre l’implantation de supermarchés étrangers ; contre les violences policières, etc. Le Frapp a aussi initié une campagne intitulée «France Dégage», demandant à la France de sortir du système du franc CFA et dénonçant la mainmise d’intérêts français sur certains secteurs de l’économie du pays.

Depuis juin, Guy Marius Sagna est en outre devenu l’une des figures de proue d’une nouvelle plateforme, Aar li nu bokk  (« préserver notre bien commun », en wolof). Ce collectif est né après la diffusion d’un reportage de la sur « l’affaire Petrotim portant sur de présumés faits de corruption lors de l’attribution de contrats pétroliers, et dans laquelle est cité Aliou Sall, frère du président Macky Sall. Aar li nu bokk a organisé plusieurs manifestations pour réclamer justice et transparence dans la gestion des ressources – l’exploitation du pétrole et du gaz doit commencer en 2021. Fin juin, Aliou Sall a dû démissionner de la présidence de la Caisse des dépôts et consignations.

Guy Marius Sagna a été arrêté sur la base de deux brèves réactions publiées sur Facebook, dans lesquelles il déplorait le fait que les élites sénégalaises n’aient pas, selon lui, investi suffisamment dans les infrastructures hospitalières du pays et sont de ce fait obligées de se faire soigner en France, « l’ancienne puissance coloniale ». Après plusieurs allers-retours entre la gendarmerie et le parquet, son inculpation a été finalement motivée par un texte du Frapp diffusé le 15 juillet, lors d’une conférence de presse.

Dans ce document intitulé «La France prépare un attentat terroriste au Sénégal» le Frapp critique les propos du ministre français de l’intérieur Christophe Castaner qui a affirmé, en mai, à Dakar : «Le terrorisme est présent au Sénégal.» Pour le Frapp, «cette déclaration est un chantage terroriste exercé par la France sur le Sénégal pour renforcer son occupation militaire afin d’augmenter sa recolonisation économique». Il a ajouté : «La France commence par des exercices de simulations de lutte antiterroriste pour préparer psychologiquement les populations à vivre avec l’idée de la menace terroriste, puis avec le terrorisme lui-même.»
Joint par Mediapart, le ministère de la justice précise : Guy Marius Sagna a été arrêté «suite à une enquête relative à une déclaration du mouvement “Frapp/France Dégage” faisant état d’un attentat que la France préparerait sur le sol sénégalais. Une telle déclaration peut porter atteinte à la sécurité des citoyens français vivant au Sénégal, mais aussi installer la peur dans le pays. L’État, en tant que garant de la sécurité des personnes et des biens, a agi pour tirer cette affaire au clair».

Le délit de «diffusion de fausse alerte au terrorisme», introduit dans le code pénal en 2016, est passible d’un an à cinq ans de prison. Seulement, Guy Marius Sagna n’était pas présent lorsque le Frapp s’est exprimé, n’a pas relayé ses propos et n’est ni le coordonnateur ni le porte-parole du mouvement – dont aucun autre membre n’a été interpellé, font observer ses avocats. Ces derniers estiment par ailleurs que la déclaration incriminée relève du débat d’idées et pas du domaine de l’information, et n’est donc pas délictueuse.

Les défenseurs de Guy Marius Sagna soulignent aussi qu’il a été arrêté et détenu pendant trois jours sans se voir notifier d’infraction, ce qui est illégal. Un de ses avocats, Amadou Diallo, président d’Amnesty Sénégal, parle «d’acharnement » contre lui. Un autre, Assane Dioma Ndiaye, président de la LSDH, juge qu’il ne « s’agit pas d’une procédure innocente» car Guy Marius Sagna est «l’ennemi numéro un du régime», «celui qui incarne aujourd’hui la radicalité la plus profonde au Sénégal».

Du point de vue de Cheikh Koureyssi Ba, le premier avocat constitué pour la défense de Guy Marius Sagna, son inculpation est symptomatique du climat actuel : «C’est une dérive inacceptable qui atteste d’un recul des libertés et droits fondamentaux au Sénégal. Il ne se passe plus de jour sans qu’ils soient menacés : on écroue des lanceurs d’alerte parce que ce qu’ils disent ou écrivent gêne au plus haut niveau. C’est affligeant, triste et révoltant.» Il ajoute : «En toile de fond, il y a le scandale concernant les hydrocarbures, la gestion des minerais et des marchés publics, c’est-à-dire tout ce que dénoncent les lanceurs d’alerte, activistes et blogueurs. Ils défendent les intérêts des Sénégalais, mais c’est un combat qui est mal accepté par les autorités.»

Cheikh Koureyssi Ba a un autre client dont l’arrestation pourrait entrer dans le même registre : Adama Gaye, opposant et ancien journaliste, a été placé en détention provisoire le 31 juillet pour « offense au chef de l’État » et «atteinte à la sûreté intérieure», en lien avec des publications sur les réseaux sociaux. Il a entre autres écrit des textes sur la gestion des hydrocarbures, critiquant Macky Sall et son frère. 

Les avocats de Guy Marius Sagna attendent désormais le résultat d’une demande en nullité de la procédure et d’une mise en liberté provisoire. Outre le monde associatif, des personnalités ont exprimé leur soutien à l’activiste, dont la star du rap Didier Awadi, un ancien directeur de cabinet du président Sall, Moustapha Diakhaté, ainsi que l’opposant et candidat à la dernière élection présidentielle Ousmane Sonko. Une pétition, signée notamment par l’écrivain Boubacar Boris Diop arbitrairement-détenu, conclut que Guy Marius Sagna «dérange» à cause des combats qu’il mène «contre les dérives du régime et aussi contre le néocolonialisme français au Sénégal et en Afrique». Le Front de résistance nationale (FRN), un groupement de l’opposition, a quant à lui demandé l’annulation des poursuites engagées contre lui et contre Adama Gaye. 


 

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