La trop grande concentration des pouvoirs autour d’un seul homme n’est-elle pas une entrave à la démocratie et à l’émergence sur le continent ?
L’hyper-présidentialisation des régimes politiques en Afrique contredit le constitutionnalisme, cet arrière-fond idéologique et culturel qui est le socle de la Constitution. Le constitutionnalisme repose sur deux piliers essentiels et complémentaires : la séparation des pouvoirs pour en neutraliser les nuisances politiques et le respect des droits et libertés. Le principe de la séparation des pouvoirs concerne et traverse beaucoup de domaines du droit, au point qu’on a pu parler de principe de juridicité : séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire en droit constitutionnel ; séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable en finances publiques ; séparation de l’administration active de la juridiction administrative en droit administratif ; séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement en droit pénal, etc. Le pouvoir est donc limité dans son intensité, mais aussi dans sa durée et dans son assise territoriale et humaine. Dans la durée, c’est la question des mandats qui sont circonscrits dans le temps et renouvelés ; dans l’assise territoriale et humaine du pouvoir, c’est la question de la compétence ratione loci (en raison du lieu) des autorités déconcentrées et décentralisées. Les autorités déconcentrées sont celles qui représentent le pouvoir central au niveau local : les gouverneurs, les préfets et les sous-préfets. Les autorités décentralisées sont celles qui dirigent les collectivités territoriales, les communes et les départements au Sénégal, lesquels bénéficient de la personnalité juridique et de l’autonomie financière et sont gérés par des exécutifs locaux élus au suffrage universel.
Ainsi le gouverneur de Dakar ne peut pas prendre des mesures pour la région de Thiès et celui de Thiès pour la région de Saint-Louis. Le maire de la Médina ne peut pas prendre de mesures pour la mairie de Louga. Tous ces mécanismes juridiques et judiciaires institués ont pour objectif de limiter, de fragmenter le pouvoir, de l’affaiblir dans le bon sens, afin qu’il ne soit pas source d’abus et d’arbitraire. Tout le contraire avec la concentration excessive des pouvoirs entre les mains du président de la République qui constitue un danger pour la démocratie et pour le respect des droits et libertés, menacés par les desiderata, les intérêts voire les caprices d’un homme avec toutes ses imperfections. Plutôt que d’avoir des institutions fortes, on a alors des hommes forts qui fragilisent les institutions. La concentration présidentialiste des pouvoirs hypothèque également le développement puisque le président de la République devient le régulateur du fonctionnement clientéliste du système politique au moyen de la grâce et de la disgrâce ; la corruption doublée de l’impunité sont entretenues par le contrôle de l’appareil d’État. Cette situation a été théorisée par Jean-François Médard à travers le concept de néo-patrimonialisme, c’est-à-dire la faible utilité publique de la gestion des ressources de l’État dont on use et abuse à des fins d’enrichissement personnel et de redistribution particulariste, au profit des parents, des amis, des militants et des clients, pour consolider quelque position de pouvoir. Le néo-patrimonialisme est donc un frein au développement, car l’argent public qui devrait être utilisé judicieusement pour faire fonctionner correctement les services publics : sécurité, santé, éducation etc ; définir et mettre en œuvre des politiques économiques pertinentes de création de richesses et d’emplois, est pillé, dilapidé et gaspillé dans les circuits politiques de la corruption. Dans ces conditions, le chef est obligé de se recroqueviller sur le pouvoir pour assurer la continuité de ce système et écarter toute incertitude, en cherchant à maîtriser les procédures électorales, en brimant et en réprimant l’opposition. L’hyper présidentialisation a des affinités électives avec le néo-patrimonialisme et permet de saisir les pratiques autoritaires répressives et d’ostracisme quant à la mise à l’écart d’adversaires politiques pour conserver le pouvoir, comme cela se manifeste dans beaucoup de pays par le syndrome du troisième mandat. On comprend dès lors toutes les difficultés à faire respecter la règle de la limitation des mandats à deux qui est un gage d’institutionnalisation de l’alternance.
Ne génère-t-elle pas un dysfonctionnement de l’exercice du pouvoir législatif où dans certains cas, l’Assemblée nationale devient une caisse de résonance de l’Exécutif ?
Effectivement, dès l’instant que le président de la République détient une majorité écrasante à l’Assemblée nationale avec des députés qui lui obéissent au doigt et à l’œil, dont certains même affirment clairement qu’ils sont des députés du Président, l’Assemblée nationale devient une chambre d’enregistrement et d’applaudissement. Or l’Assemblée nationale doit être également un lieu de contre-pouvoir. L’opposition doit y trouver toute sa place, elle doit avoir de réelles prérogatives de contrôle de l’action gouvernementale. Autrement, il y a une pauvreté de la vie démocratique parce que tout se ramène finalement à la volonté d’un seul homme. C’est non seulement périlleux pour le respect des droits et libertés et pour l’État de droit, mais c’est contre-productif pour une gouvernance intègre, éclairée et efficace.
Le pouvoir judiciaire s’en sort-il indemne dans une telle situation si on prend en compte par exemple les bisbilles entre magistrats au Sénégal, les démissions des juges, le bras de fer Ums État ou Teliko-Me Malick Sall ?
Le pouvoir judiciaire n’est pas épargné, car l’inconvénient majeur de l’hyper-présidentialisation, c’est que celle-ci repose sur la domestication et l’extinction de tous les contre-pouvoirs. La justice qui est un élément essentiel dans la construction de l’État de droit, mais aussi le gardien des droits et libertés des citoyens, ne doit pas être écrasée par le pouvoir exécutif. Les contradictions qui traversent la justice sénégalaise sont l’expression d’un besoin profond d’évolution et de changement vers une plus grande indépendance du pouvoir judiciaire. C’est un mouvement salutaire qu’il faut accompagner, plutôt que de chercher à réduire au silence les acteurs qui portent ce flambeau.
L’hyper-présidentialisation des régimes politiques en Afrique contredit le constitutionnalisme, cet arrière-fond idéologique et culturel qui est le socle de la Constitution. Le constitutionnalisme repose sur deux piliers essentiels et complémentaires : la séparation des pouvoirs pour en neutraliser les nuisances politiques et le respect des droits et libertés. Le principe de la séparation des pouvoirs concerne et traverse beaucoup de domaines du droit, au point qu’on a pu parler de principe de juridicité : séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire en droit constitutionnel ; séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable en finances publiques ; séparation de l’administration active de la juridiction administrative en droit administratif ; séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement en droit pénal, etc. Le pouvoir est donc limité dans son intensité, mais aussi dans sa durée et dans son assise territoriale et humaine. Dans la durée, c’est la question des mandats qui sont circonscrits dans le temps et renouvelés ; dans l’assise territoriale et humaine du pouvoir, c’est la question de la compétence ratione loci (en raison du lieu) des autorités déconcentrées et décentralisées. Les autorités déconcentrées sont celles qui représentent le pouvoir central au niveau local : les gouverneurs, les préfets et les sous-préfets. Les autorités décentralisées sont celles qui dirigent les collectivités territoriales, les communes et les départements au Sénégal, lesquels bénéficient de la personnalité juridique et de l’autonomie financière et sont gérés par des exécutifs locaux élus au suffrage universel.
Ainsi le gouverneur de Dakar ne peut pas prendre des mesures pour la région de Thiès et celui de Thiès pour la région de Saint-Louis. Le maire de la Médina ne peut pas prendre de mesures pour la mairie de Louga. Tous ces mécanismes juridiques et judiciaires institués ont pour objectif de limiter, de fragmenter le pouvoir, de l’affaiblir dans le bon sens, afin qu’il ne soit pas source d’abus et d’arbitraire. Tout le contraire avec la concentration excessive des pouvoirs entre les mains du président de la République qui constitue un danger pour la démocratie et pour le respect des droits et libertés, menacés par les desiderata, les intérêts voire les caprices d’un homme avec toutes ses imperfections. Plutôt que d’avoir des institutions fortes, on a alors des hommes forts qui fragilisent les institutions. La concentration présidentialiste des pouvoirs hypothèque également le développement puisque le président de la République devient le régulateur du fonctionnement clientéliste du système politique au moyen de la grâce et de la disgrâce ; la corruption doublée de l’impunité sont entretenues par le contrôle de l’appareil d’État. Cette situation a été théorisée par Jean-François Médard à travers le concept de néo-patrimonialisme, c’est-à-dire la faible utilité publique de la gestion des ressources de l’État dont on use et abuse à des fins d’enrichissement personnel et de redistribution particulariste, au profit des parents, des amis, des militants et des clients, pour consolider quelque position de pouvoir. Le néo-patrimonialisme est donc un frein au développement, car l’argent public qui devrait être utilisé judicieusement pour faire fonctionner correctement les services publics : sécurité, santé, éducation etc ; définir et mettre en œuvre des politiques économiques pertinentes de création de richesses et d’emplois, est pillé, dilapidé et gaspillé dans les circuits politiques de la corruption. Dans ces conditions, le chef est obligé de se recroqueviller sur le pouvoir pour assurer la continuité de ce système et écarter toute incertitude, en cherchant à maîtriser les procédures électorales, en brimant et en réprimant l’opposition. L’hyper présidentialisation a des affinités électives avec le néo-patrimonialisme et permet de saisir les pratiques autoritaires répressives et d’ostracisme quant à la mise à l’écart d’adversaires politiques pour conserver le pouvoir, comme cela se manifeste dans beaucoup de pays par le syndrome du troisième mandat. On comprend dès lors toutes les difficultés à faire respecter la règle de la limitation des mandats à deux qui est un gage d’institutionnalisation de l’alternance.
Ne génère-t-elle pas un dysfonctionnement de l’exercice du pouvoir législatif où dans certains cas, l’Assemblée nationale devient une caisse de résonance de l’Exécutif ?
Effectivement, dès l’instant que le président de la République détient une majorité écrasante à l’Assemblée nationale avec des députés qui lui obéissent au doigt et à l’œil, dont certains même affirment clairement qu’ils sont des députés du Président, l’Assemblée nationale devient une chambre d’enregistrement et d’applaudissement. Or l’Assemblée nationale doit être également un lieu de contre-pouvoir. L’opposition doit y trouver toute sa place, elle doit avoir de réelles prérogatives de contrôle de l’action gouvernementale. Autrement, il y a une pauvreté de la vie démocratique parce que tout se ramène finalement à la volonté d’un seul homme. C’est non seulement périlleux pour le respect des droits et libertés et pour l’État de droit, mais c’est contre-productif pour une gouvernance intègre, éclairée et efficace.
Le pouvoir judiciaire s’en sort-il indemne dans une telle situation si on prend en compte par exemple les bisbilles entre magistrats au Sénégal, les démissions des juges, le bras de fer Ums État ou Teliko-Me Malick Sall ?
Le pouvoir judiciaire n’est pas épargné, car l’inconvénient majeur de l’hyper-présidentialisation, c’est que celle-ci repose sur la domestication et l’extinction de tous les contre-pouvoirs. La justice qui est un élément essentiel dans la construction de l’État de droit, mais aussi le gardien des droits et libertés des citoyens, ne doit pas être écrasée par le pouvoir exécutif. Les contradictions qui traversent la justice sénégalaise sont l’expression d’un besoin profond d’évolution et de changement vers une plus grande indépendance du pouvoir judiciaire. C’est un mouvement salutaire qu’il faut accompagner, plutôt que de chercher à réduire au silence les acteurs qui portent ce flambeau.