Samedi 21 janvier 2017, aéroport de Banjul, 20 h 50. La tension monte d’un cran, l’atmosphère est électrique. La Garde présidentielle investit le tarmac. Armes lourdes et soldats d’élite prennent position. Une limousine arrive à grande vitesse. A bord Yahya Jammeh et Alpha Condé. Pour l’ex-maître de la Gambie, l’heure du départ a sonné. Les journalistes - télévisions, radios et photographes - sont bloqués derrière des barrières à une centaine de mètres du jet loué par l’Etat guinéen dans lequel vont monter les deux présidents. Les hymnes sont exécutés, le cérémonial sommaire. Alpha Condé presse le pas, Yahya Jammeh le suit vers l’avion.
Les fidèles de l’ex-président, parqués comme la presse, loin de l’aéronef se mettent à avancer. Les militaires paniquent, mais la foule, comme si elle était aimantée, se rapproche de l’avion. Le président guinéen ne s’attarde pas, il monte immédiatement dans le jet. Jammeh, entouré par sa cour et ses gardes du corps, prend son temps comme s’il cherchait à gagner quelques minutes, car cette fin, ce départ synonyme de défaite et d’humiliation, a pour lui, forcément un goût amer.
« Un sourire narquois »
Dans la cohue, un caméraman de la BBC, qui tente une dernière question, se prend des coups. Les photographes sont repoussés par les forces de l’ordre. Jammeh finit par monter dans l’avion, en haut de la petite passerelle, il se retourne, salue une dernière fois ses proches en levant son Coran. La majorité des photos diffusées dans les médias montrent cette scène. Misha Somerville est, lui aussi, repoussé par les gardes de Jammeh : « C’était le chaos total, c’était difficile de tenir compte de ce qui se passait autour et en même temps de prendre des photos. Et là, je me suis rendu compte que Jammeh était assis au hublot, j’ai continué à prendre des photos. Et c’est lorsqu’il a souri du coin de lèvres, avec ce petit sourire narquois, que j’ai déclenché et je me suis rendu compte tout de suite que c’était la photo ».
Une image qui aurait pu ne jamais exister. La veille, le photographe, pigiste donc attentif à ses dépenses, était monté dans un avion pour rentrer chez lui. Alors que son bagage était en soute, lui installé sur son siège, il a changé d’avis « car, dit-il, je devais aller au bout de cette histoire, attendre le départ de Jammeh ».
« LA photo »
Ce cliché, esthétiquement, graphiquement, même s’il est pris au téléobjectif, est parfait. Dans leur jargon, les photographes parlent d’une « plaque ». La lumière intérieure de l’avion contraste avec le gris nocturne de la carlingue. Le visage de Jammeh est centré sur le hublot de droite, son regard, son sourire, pousse celui qui regarde à se demander ce qui se passe dans la tête du président déchu. Cette photographie illustre parfaitement la fin de ce règne, ce départ si difficile à obtenir. Comme un oiseau dans une cage, un poisson dans un bocal, Jammeh, enfermé dans cette coque de métal ne peut plus faire marche arrière. Il est encore là, mais en fait déjà parti. « C’est la photo qui illustre cette soirée, celle que tout photographe aurait aimé prendre », explique Sylvain Cherkaoui, photoreporter indépendant, présent ce soir-là sur le tarmac de Banjul et habitué à trainer ses appareils en zone de conflit.
« Le cadrage est bon, elle raconte une histoire. Jammeh a un sourire qui est à la fois faux et nostalgique. C’est d’après moi, la photo qui aurait dû faire la Une des journaux », estime le photoreporter. La puissance des réseaux sociaux Ça ne sera pas le cas. Car s’il a compris qu’il avait une image très forte, Misha Somerville ne travaille pas pour un grand média ou une agence photo. Immédiatement, alors que le jet transperce la nuit, se pose pour lui la question, le problème, de la diffusion de ce cliché. « J’ai eu un moment d’indécision. Je me suis rendu compte que ça pouvait être publié par les journaux du monde entier, mais je n’avais pas les contacts pour pouvoir distribuer la photo de cette façon. Donc, après un temps d’hésitation, j’ai décidé de tweeter l’image, dix minutes, en gros, après le départ de Jammeh. »
Rentré à son hôtel, Misha Somerville se reconnecte sur les réseaux sociaux. Sa photographie, qui n’est pas signée, « après coup, je me suis rendu compte que c’était une erreur » est déjà diffusée partout dans le monde, reprise notamment par l’importante diaspora gambienne, qui a fui durant l’ère Jammeh, présente aux quatre coins de la terre. Pour tous ceux qui ont lutté contre le président déchu, ce cliché confirme, au cœur de cette nuit du 21 janvier, que Jammeh a bel et bien quitté la Gambie. Une image symbole de la fin d’une ère difficile pour la majorité des Gambiens, qui reste encore aujourd’hui, anonyme, pour le plus grand nombre. L’histoire retiendra que c’est un photographe écossais, âgé de 36 ans qui a pris cette image capitale. Son nom : Misha Somerville.
Les fidèles de l’ex-président, parqués comme la presse, loin de l’aéronef se mettent à avancer. Les militaires paniquent, mais la foule, comme si elle était aimantée, se rapproche de l’avion. Le président guinéen ne s’attarde pas, il monte immédiatement dans le jet. Jammeh, entouré par sa cour et ses gardes du corps, prend son temps comme s’il cherchait à gagner quelques minutes, car cette fin, ce départ synonyme de défaite et d’humiliation, a pour lui, forcément un goût amer.
« Un sourire narquois »
Dans la cohue, un caméraman de la BBC, qui tente une dernière question, se prend des coups. Les photographes sont repoussés par les forces de l’ordre. Jammeh finit par monter dans l’avion, en haut de la petite passerelle, il se retourne, salue une dernière fois ses proches en levant son Coran. La majorité des photos diffusées dans les médias montrent cette scène. Misha Somerville est, lui aussi, repoussé par les gardes de Jammeh : « C’était le chaos total, c’était difficile de tenir compte de ce qui se passait autour et en même temps de prendre des photos. Et là, je me suis rendu compte que Jammeh était assis au hublot, j’ai continué à prendre des photos. Et c’est lorsqu’il a souri du coin de lèvres, avec ce petit sourire narquois, que j’ai déclenché et je me suis rendu compte tout de suite que c’était la photo ».
Une image qui aurait pu ne jamais exister. La veille, le photographe, pigiste donc attentif à ses dépenses, était monté dans un avion pour rentrer chez lui. Alors que son bagage était en soute, lui installé sur son siège, il a changé d’avis « car, dit-il, je devais aller au bout de cette histoire, attendre le départ de Jammeh ».
« LA photo »
Ce cliché, esthétiquement, graphiquement, même s’il est pris au téléobjectif, est parfait. Dans leur jargon, les photographes parlent d’une « plaque ». La lumière intérieure de l’avion contraste avec le gris nocturne de la carlingue. Le visage de Jammeh est centré sur le hublot de droite, son regard, son sourire, pousse celui qui regarde à se demander ce qui se passe dans la tête du président déchu. Cette photographie illustre parfaitement la fin de ce règne, ce départ si difficile à obtenir. Comme un oiseau dans une cage, un poisson dans un bocal, Jammeh, enfermé dans cette coque de métal ne peut plus faire marche arrière. Il est encore là, mais en fait déjà parti. « C’est la photo qui illustre cette soirée, celle que tout photographe aurait aimé prendre », explique Sylvain Cherkaoui, photoreporter indépendant, présent ce soir-là sur le tarmac de Banjul et habitué à trainer ses appareils en zone de conflit.
« Le cadrage est bon, elle raconte une histoire. Jammeh a un sourire qui est à la fois faux et nostalgique. C’est d’après moi, la photo qui aurait dû faire la Une des journaux », estime le photoreporter. La puissance des réseaux sociaux Ça ne sera pas le cas. Car s’il a compris qu’il avait une image très forte, Misha Somerville ne travaille pas pour un grand média ou une agence photo. Immédiatement, alors que le jet transperce la nuit, se pose pour lui la question, le problème, de la diffusion de ce cliché. « J’ai eu un moment d’indécision. Je me suis rendu compte que ça pouvait être publié par les journaux du monde entier, mais je n’avais pas les contacts pour pouvoir distribuer la photo de cette façon. Donc, après un temps d’hésitation, j’ai décidé de tweeter l’image, dix minutes, en gros, après le départ de Jammeh. »
Rentré à son hôtel, Misha Somerville se reconnecte sur les réseaux sociaux. Sa photographie, qui n’est pas signée, « après coup, je me suis rendu compte que c’était une erreur » est déjà diffusée partout dans le monde, reprise notamment par l’importante diaspora gambienne, qui a fui durant l’ère Jammeh, présente aux quatre coins de la terre. Pour tous ceux qui ont lutté contre le président déchu, ce cliché confirme, au cœur de cette nuit du 21 janvier, que Jammeh a bel et bien quitté la Gambie. Une image symbole de la fin d’une ère difficile pour la majorité des Gambiens, qui reste encore aujourd’hui, anonyme, pour le plus grand nombre. L’histoire retiendra que c’est un photographe écossais, âgé de 36 ans qui a pris cette image capitale. Son nom : Misha Somerville.