L'Etat coupable de licenciement abusif après la plainte de l'ancien DG du MCA

JUSTICE
Lundi 18 Septembre 2017

Coupable de licenciement abusif, dans l'affaire qui l'oppose à Ibrahima Dia, l'ancien DG du programme Millenium Challenge Account Sénégal, et contraint à lui payer des dommages et intérêts


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Victoire pour Ibrahima Dia, en contentieux judiciaire avec son ancien employeur, Millenium Challenge Account Sénégal (MCA-Sénégal), qui l’avait licencié en août 2013 de son poste de directeur général. Cette agence créée par le gouvernement du Sénégal, était placée sous la tutelle de la primature pour assurer la mise en œuvre du programme de 300 milliards de FCFA financé par les États-Unis, à travers le Millenium Challenge Coopération (MCC).

La chambre sociale de la Cour d'appel de Dakar, en son jugement rendu le 7 août 2017, a déclaré l'État du Sénégal coupable de licenciement abusif et le condamne à payer des dommages et intérêts.

C’est l’aboutissement d’un long épisode judiciaire qui a opposé Ibrahima Dia à l’État du Sénégal. Monsieur Dia, cadre sénégalais reconnu pour ses compétences, avait grandement participé à la conception et au pilotage, sous le magistère du président Abdoulaye Wade, du processus de formulation et de négociation de cet important programme de plus de 540 millions de dollars (300 milliards de francs CFA).

Avec l’arrivée au pouvoir de Macky Sall, en 2012, l'ancien Premier ministre, aujourd'hui opposant du chef de l'État, Abdoul Mbaye, nomma Pape Aliou Ndao, un banquier à la retraite sorti de la prestigieuse université d’Harvard, à la présidence du Conseil de surveillance.

À la surprise générale, le Conseil de surveillance, réuni en session le 14 août 2013, décida sur instruction du Premier ministre Abdou Mbaye de limoger Ibrahima Dia. Aucun grief n’est porté à l'encontre de M. Dia. Ni dans la lettre de licenciement, ni dans le compte rendu de la réunion du Conseil de surveillance qui a pris la décision. Contrairement aux  textes régissant le programme, le Millenium Challenge Coopération (MCC), bailleur de fonds, n'avait pas trouvé nécessaire de donner un avis de non objection à ce licenciement, considérant certainement qu’il s’agissait d’une décision politique sénégalaise. .

Considérant cette décision comme une injustice, Ibrahima Dia, qui avait été nommé à ce poste suite à un appel à candidature international et qui avait signé un contrat de travail à durée déterminée (CDD), porta l’affaire devant le tribunal du travail de Dakar. Entre-temps, Abdoul Mbaye n’est plus Premier ministre. Aminata Touré va, elle aussi, porter un nouveau président au Conseil de surveillance. Elle recrute en même temps un cabinet d’avocat pour s’occuper du dossier à la place de l’Agence judiciaire de l’État (AJE).

Avec l’arrivée de Mahammad Boun Abdallah Dionne à la tête du gouvernement, le chef de l'État, Macky Sall, demande à Ibrahima Dia, reçu au Palais de Roume, d’arrêter la procédure contentieuse et de trouver un accord à l’amiable avec l’État. L'affaire sera confiée à l’agent judiciaire de l’État.

Alors que M. Dia avait accepté de suspendre la procédure et qu’un préaccord avait été signé avec l’AJE et le conseiller juridique du Premier ministre, l’avocat engagé par la Primature décide de poursuivre la procédure. Les raisons qui ont amené la primature à aller en l’encontre des instructions du chef de l’Etat, en maintenant l’avocat dans la procédure, ne sont toujours pas claires.

La suite semble conforter la thèse selon laquelle l’avocat et la primature auraient eu des assurances sur l’issue du verdict pour oser aller à l’encontre des instructions du chef de l’Etat.

Le tribunal va débouter Ibrahima Dia de sa plainte, estimant que le licenciement était légitime. En effet, le juge de première instance avait considéré que l’employeur n’était pas obligé d’indiquer à l’employé les fautes qu’il lui reproche et qu’il n'avait à le faire que s’il  était astreint au tribunal.

Ainsi, selon le juge du tribunal de travail, l’employeur peut justifier à posteriori sa décision s’il n’a pas eu à le faire dans la lettre de licenciement. « Le fait que les motifs ne soient pas spécifiés dans la lettre de licenciement et que l'avis de non objection du MCC ne soit pas recueilli n’entraine aucun effet de droit », explique le tribunal.

Le juge validait alors un des motifs avancés à posteriori par l’employeur : « les chantiers du MCA notamment certains lots de la RN6 étaient en retard et que ce constat de lenteurs dans l’exécution des chantiers est un argument suffisant et légitime pour renvoyer le directeur général, puisqu’il est le responsable en dernière instance ».

Le tribunal va même aller plus loin que l’employeur en qualifiant de « faute grave », imputable à Ibrahima Dia, les lenteurs dans l’exécution des travaux et estime que ni les entreprises, ni les ingénieurs-conseils, ni le bailleur de fonds qui donne les avis de non objection, ni l’insécurité en Casamanance, ni les procédures du MCC qui répartissent les responsabilités ne peuvent être évoqués pour expliquer des lenteurs alléguées.

Le tribunal s'était cependant retenu de suivre l’employeur dans son second motif, concernant les accusations de conflits d’intérêt, estimant qu’il s’agissait d’arguments tardifs (tribunal du travail hors classe Dakar en sa séance du 16 avril 2015). 

Un jugement, en tout cas, contesté par Ibrahima Dia, qui va interjeter appel.

Dans son délibéré, la Cour d’appel de Dakar a d’abord fait observer que le contrat de travail du directeur général de MCA Sénégal ne comporte aucune clause mettant à sa charge l’obligation de garantir l’exécution dans un délai fixé à l’avance et que « l’exécution des travaux dans les délais fixés est du ressort et de la responsabilité des entreprises soumissionnaires sur lesquelles le directeur général de MCA n’a aucune emprise ». 

La Cour d'appel va conclure en affirmant que « les lenteurs dans l'exécution des projets n'ont été confirmées par aucun organe indépendant de vérification après un audit fait de manière contradictoire » et ajoute que « l’employeur n’a versé aucun élément à même de prouver que les lenteurs alléguées sont imputables directement au sieur Ibrahima Dia » et pour toutes accusations formulées « l’employeur n’a , en  l’espèce ni prouvé, ni offert de prouver ces allégations »

Par conséquent la cour pris la décision « d’infirmer le jugement entrepris (par le juge de première instance) et ; statuant à nouveau de déclarer le licenciement opéré par le MCA Sénégal à l’endroit de Ibrahima Dia sans cause réelle ni sérieuse et donc abusif ».

« Considérant qu’en rompant le contrat du sieur Ibrahima Dia de manière brutale et sans motif réel et sérieux, son employeur l’a installé dans une précarité certaine en l’exposant au chômage dans un contexte marqué par la rareré de l’emploi
Que l’employeur en procédant de la sorte ; lui a causé un grave préjudice moral et financier qu’il convient de réparer » (Cour d'appel de Dakar en sa séance du 07/08/2017).

La balle reste dans le camp des autorités publiques. Vont-elles maintenant continuer cette longue bataille juridique en saisissant la Cour de cassation ? Vont-elles en tirer toutes les consequences ?
Seneplus