Par Cyril Simon
Ses conclusions avaient eu un incroyable retentissement politique et sanitaire. L'OMS avait décidé de suspendre temporairement ses essais cliniques sur la chloroquine et l'hydroxychloroquine, tandis que le gouvernement français avait, lui, carrément demandé de ne plus prescrire ces médicaments en milieu hospitalier.
Mandeep R. Mehra, directeur médical du centre cardiaque et vasculaire de l'hôpital Brigham and Women's à Boston, se confond aujourd'hui en excuses. Ce jeudi, le coordinateur de l'étude controversée publiée le 22 mai dans The Lancet a demandé à la revue de retirer cet article. Tout comme ses deux autres collaborateurs, il lâche donc officiellement le Docteur Sapan Desai, cet entrepreneur au passé trouble qui a transmis l'énorme base de données à l'origine de l'étude. « C'est un exemple choquant de mauvaise conduite scientifique au milieu d'une urgence sanitaire mondiale », a reconnu de son côté le rédacteur en chef de The Lancet, Richard Horton, auprès du Guardian.
Mais comment en est-on arrivé à cette débâcle, dont sort également dupée la revue New England Journal of Medecine, éditrice d'une autre étude avec cette équipe le 1er mai ? Le Docteur Mandeep R. Mehra livre sa version des faits dans une déclaration officielle que nous avons pu consulter.
« Désolé » pour ces « perturbations »
Il insiste : il demande avant tout pardon pour son imprudence. « Je n'ai pas fait assez pour m'assurer que la source de données était appropriée. Pour cela, et pour toutes les perturbations - directes et indirectes -, je suis vraiment désolé », reconnaît-il.
Puis le chercheur admet à demi-mot avoir fait une confiance aveugle aux éléments étonnamment riches qui lui ont été remis. Les 96 000 dossiers médicaux de patients contaminés, provenant de 671 hôpitaux sur les cinq continents, avaient pourtant rapidement fait tiquer un certain nombre d'experts. Surtout que l'entreprise ne compte qu'onze employés.
« Grâce à l'un de mes co-auteurs (dont il ne donne pas le nom NDLR), j'ai été présenté au Dr Sapan Desai et à sa société Surgisphere, une société privée qui prétendait disposer de données provenant d'hôpitaux du monde entier et pouvant être exploitées pour répondre à d'importantes questions de santé publique relevées au sujet de la pandémie Covid-19 », raconte le Dr Mehra. Toutefois, il affirme n'avoir jamais eu accès aux informations brutes. Seules les analyses dites agrégées lui auraient été fournies. C'est sur cette « base » que « nous avons publié deux études examinées par les pairs (peer-reviewed NDLR) », assure-t-il.
Des « clauses de confidentialité » auraient bloqué l'enquête indépendante
Les premiers doutes, Mandeep R. Mehra ne les aurait eus que bien plus tard, à mesure que le malaise grandissait dans le milieu médical et que le hashtag #LancetGate se propageait sur Twitter. « Mes co-auteurs et moi avons alors chargé le Medical Technology and Practice Patterns Institute (un célèbre institut de vérification éthique, NDLR) de procéder à un examen indépendant par les pairs. Le 3 juin, le MTPPI nous a informés que Surgisphere ne serait pas en mesure de transférer les données requises pour mener cet audit en raison d'accords avec ses clients et du fait que les documents contiennent des informations confidentielles ».
Face à cet énième refus, motivé comme toujours par des clauses de confidentialité, Mandeep R. Mehra s'est donc résolu à se désolidariser de Sapan Desai et la société Surgisphere. « Je n'ai plus confiance », assène-t-il.
Pour l'heure, ce témoignage n'a pas été corroboré par ses trois collaborateurs. Le docteur Amit Patel (University of Utah) - potentiel « entremetteur » au vu de ses précédentes collaborations avec Sapan Desai - et Frank Ruschitzka (Université de Zurich) n'ont pas répondu à nos sollicitations. « Sapan Desai n'est disponible pour aucun commentaire public à l'heure actuelle », a de son côté indiqué au Parisien l'agence Bliss Integrated, qui gère la communication de Surgisphere.
La crédibilité de Surgisphere s'émiette de toute part
Il reste donc encore beaucoup d'inconnues dans ce dossier qui ternit profondément la crédibilité du milieu scientifique et de son circuit de validation. D'autant que Surgisphere, inconnue il y a encore un mois, génère de nombreuses inquiétudes au-delà de cette affaire. Comme nous avons pu le prouver au terme de nos investigations, elle s'est par exemple rendue coupable d'une fausse validation scientifique au sujet un prétendu outil de diagnostic rapide au Covid-19.
La communication marketing de Sapan Desai s'avère également trompeuse sous plusieurs aspects. Exagérations sur la remise de récompenses, vidéos supprimées à la hâte, paragraphes coupés sur leur site Internet, participation à une ONG dont on ne trouve aucune trace… Le magazine spécialisé The Scientist a également révélé que le docteur Sapan Desai était actuellement poursuivi par trois anciens patients pour négligence médicale. Le quotidien The Guardian émet lui de sévères doutes sur la légitimité de deux employés, dont l'un serait aussi écrivain de science-fiction, l'autre mannequin pour des magazines de charme.
Là encore, impossible d'obtenir de réponses de la part de Surgisphere sur ces points. L'opacité semble être un mantra pour ce gourou du « big data ». Sauf qu'elle fait tache quand on se prétend à la pointe de la recherche scientifique au nom du bien commun.
Ses conclusions avaient eu un incroyable retentissement politique et sanitaire. L'OMS avait décidé de suspendre temporairement ses essais cliniques sur la chloroquine et l'hydroxychloroquine, tandis que le gouvernement français avait, lui, carrément demandé de ne plus prescrire ces médicaments en milieu hospitalier.
Mandeep R. Mehra, directeur médical du centre cardiaque et vasculaire de l'hôpital Brigham and Women's à Boston, se confond aujourd'hui en excuses. Ce jeudi, le coordinateur de l'étude controversée publiée le 22 mai dans The Lancet a demandé à la revue de retirer cet article. Tout comme ses deux autres collaborateurs, il lâche donc officiellement le Docteur Sapan Desai, cet entrepreneur au passé trouble qui a transmis l'énorme base de données à l'origine de l'étude. « C'est un exemple choquant de mauvaise conduite scientifique au milieu d'une urgence sanitaire mondiale », a reconnu de son côté le rédacteur en chef de The Lancet, Richard Horton, auprès du Guardian.
Mais comment en est-on arrivé à cette débâcle, dont sort également dupée la revue New England Journal of Medecine, éditrice d'une autre étude avec cette équipe le 1er mai ? Le Docteur Mandeep R. Mehra livre sa version des faits dans une déclaration officielle que nous avons pu consulter.
« Désolé » pour ces « perturbations »
Il insiste : il demande avant tout pardon pour son imprudence. « Je n'ai pas fait assez pour m'assurer que la source de données était appropriée. Pour cela, et pour toutes les perturbations - directes et indirectes -, je suis vraiment désolé », reconnaît-il.
Puis le chercheur admet à demi-mot avoir fait une confiance aveugle aux éléments étonnamment riches qui lui ont été remis. Les 96 000 dossiers médicaux de patients contaminés, provenant de 671 hôpitaux sur les cinq continents, avaient pourtant rapidement fait tiquer un certain nombre d'experts. Surtout que l'entreprise ne compte qu'onze employés.
« Grâce à l'un de mes co-auteurs (dont il ne donne pas le nom NDLR), j'ai été présenté au Dr Sapan Desai et à sa société Surgisphere, une société privée qui prétendait disposer de données provenant d'hôpitaux du monde entier et pouvant être exploitées pour répondre à d'importantes questions de santé publique relevées au sujet de la pandémie Covid-19 », raconte le Dr Mehra. Toutefois, il affirme n'avoir jamais eu accès aux informations brutes. Seules les analyses dites agrégées lui auraient été fournies. C'est sur cette « base » que « nous avons publié deux études examinées par les pairs (peer-reviewed NDLR) », assure-t-il.
Des « clauses de confidentialité » auraient bloqué l'enquête indépendante
Les premiers doutes, Mandeep R. Mehra ne les aurait eus que bien plus tard, à mesure que le malaise grandissait dans le milieu médical et que le hashtag #LancetGate se propageait sur Twitter. « Mes co-auteurs et moi avons alors chargé le Medical Technology and Practice Patterns Institute (un célèbre institut de vérification éthique, NDLR) de procéder à un examen indépendant par les pairs. Le 3 juin, le MTPPI nous a informés que Surgisphere ne serait pas en mesure de transférer les données requises pour mener cet audit en raison d'accords avec ses clients et du fait que les documents contiennent des informations confidentielles ».
Face à cet énième refus, motivé comme toujours par des clauses de confidentialité, Mandeep R. Mehra s'est donc résolu à se désolidariser de Sapan Desai et la société Surgisphere. « Je n'ai plus confiance », assène-t-il.
Pour l'heure, ce témoignage n'a pas été corroboré par ses trois collaborateurs. Le docteur Amit Patel (University of Utah) - potentiel « entremetteur » au vu de ses précédentes collaborations avec Sapan Desai - et Frank Ruschitzka (Université de Zurich) n'ont pas répondu à nos sollicitations. « Sapan Desai n'est disponible pour aucun commentaire public à l'heure actuelle », a de son côté indiqué au Parisien l'agence Bliss Integrated, qui gère la communication de Surgisphere.
La crédibilité de Surgisphere s'émiette de toute part
Il reste donc encore beaucoup d'inconnues dans ce dossier qui ternit profondément la crédibilité du milieu scientifique et de son circuit de validation. D'autant que Surgisphere, inconnue il y a encore un mois, génère de nombreuses inquiétudes au-delà de cette affaire. Comme nous avons pu le prouver au terme de nos investigations, elle s'est par exemple rendue coupable d'une fausse validation scientifique au sujet un prétendu outil de diagnostic rapide au Covid-19.
La communication marketing de Sapan Desai s'avère également trompeuse sous plusieurs aspects. Exagérations sur la remise de récompenses, vidéos supprimées à la hâte, paragraphes coupés sur leur site Internet, participation à une ONG dont on ne trouve aucune trace… Le magazine spécialisé The Scientist a également révélé que le docteur Sapan Desai était actuellement poursuivi par trois anciens patients pour négligence médicale. Le quotidien The Guardian émet lui de sévères doutes sur la légitimité de deux employés, dont l'un serait aussi écrivain de science-fiction, l'autre mannequin pour des magazines de charme.
Là encore, impossible d'obtenir de réponses de la part de Surgisphere sur ces points. L'opacité semble être un mantra pour ce gourou du « big data ». Sauf qu'elle fait tache quand on se prétend à la pointe de la recherche scientifique au nom du bien commun.