Le septuagénaire est la figure de ce combat de principe mené par ce village qui existe depuis 252 ans. « Jaraf » de Ndengler pendant 15 ans, Ablaye Dione a passé le témoin en 2018. « Je ne me sentais plus capable de poursuivre », a-t-il confié à Dakaractu.
Mais c’est sous son magistère que le village a vu sortir de terre ses premières salles de classe par l’entremise d’un expatrié français. « Il a d’abord construit quatre salles de classes avant de construire une case pour la maternelle », se félicite le vieux Dione qui ajoute que le même philanthrope venu de l’Hexagone leur a offert une case de santé. « J’ai d’ailleurs demandé au gouvernement d’en faire un centre de santé au bénéfice des populations locales », ajoute l’ancien chef de village. Qui, malgré son retrait des affaires administratives de ce patelin d’une centaine de concessions, continue de s’impliquer pour que leurs terres ne passent pas par perte et profit. D’où puise-t-il cette force ? en dehors du fait qu’il soit personnellement « lésé », il dit tenir ce trait de caractère de son père.
Gorgui Ablaye Dione : « je tiens cela de mon père qui était un grand commerçant, mais aussi un cultivateur ». « Dans les années 58, j’étais à Dakar et je travaillais comme ouvrier dans une usine située sur la Route de Rufisque mais au bout de six ans, mon père Diambar Dione m’a demandé de rentrer pour cultiver les terres. Depuis, je me suis tué dans les travaux champêtres et j’avoue qu’il nous arrivait d’avoir des récoltes d’arachide très satisfaisantes car ici, les terres sont arables », se remémore-t-il.
Après la mort de son paternel, il prend le relais et dit avoir toujours œuvré pour l’épanouissement des siens « dans la dignité ». « La plus grande richesse pour moi, c’est d’avoir le respect des miens », philosophe ce vieux sérère qui a donné la preuve, dans le bras de fer avec le président fondateur de Sedima que pauvreté et dignité ne sont pas incompatibles. « Lors de la passation de service avec mon successeur, j’ai eu droit à des témoignages qui me marqueront à jamais. Et cela, je ne l’échangerai jamais contre une richesse mondaine », nous confie le patriarche.
Figure emblématique de la lutte des villageois de Ndengler pour la sauvegarde de leurs terres, Ablaye Dione a éconduit 2 millions que Babacar Ngom lui a offerts en guise de « gouro ». « En 2014, lorsqu’il est venu pour négocier la cession de nos terres en échange d’emplois pour nos fils, nous lui avons clairement dit que nous ne sommes pas dans la possibilité de lui céder quoi que ce soit car nous n’avons que ces champs pour vivre. Il a envoyé sa fille aller chercher une enveloppe dans sa voiture. J’ai refusé de prendre cet argent car nous ne sommes pas des mendiants. Je lui ai clairement dit que s’il veut faire des offrandes, il n’a qu’à se rendre sous le pont de Colobane... En plus, cet argent n’était pas destiné à acheter de la cola comme il le prétendait. C’est parce qu’il voulait nos terres qu’il a agi ainsi », indique le patriarche de Ndengler.
Cinq ans, après, il apprend que des gendarmes occupent les terres que Babacar Ngom était venu négocier et interdisent aux villageoises d’y accéder. Un « forcing » que Ablaye Dione, malgré son âge avancé n’est prêt à accepter. « Ces terres nous reviennent de droit », persiste-t-il. Une position ferme que l’ancien « Jaraf » a réaffirmée après le passage du ministre de l’Intérieur qui prétendait avoir trouvé une solution provisoire, à savoir l’homme d’affaires prêtait une partie de son titre foncier aux villageois pour cet hivernage. « Ce n’est pas à Babacar Ngom de nous prêter des terres qui nous appartiennent. S’il y a quelqu’un qui doit être mis hors de ces terres, c’est bien lui. Maintenant si Macky Sall prend notre bien pour le donner à Babacar Ngom, il n’a qu’à assumer…», tempête Ablaye Dione, toujours au front.
Avec Dakaractu