Les membres du ministère des mines ont apporté une réponse déguisée et incomplète à la suite de la conférence de presse du leader du Pastef, Ousmane Sonko. Ils nous disent que la valorisation des gisements a débuté en 1975, mais que les contrats avaient des limites, car ils ne prenaient pas en compte les investissements en infrastructures ferroviaires et portuaires. Faisons un peu l’historique pour eux, car être ministre, député ou fonctionnaire ne garantit pas de connaître ce qui se passe dans notre pays.
Créée en 1975 sous forme de coentreprise avec des sociétés étrangères, la Société des mines de fer du Sénégal Oriental (Miferso), avec Remy Delafosse comme directeur, détenait 28 % des parts, la société française, Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), la société allemande Krupp et la société japonaise Kanematsu gosho détenaient chacune 24 % des actions. Il fallait trouver les capitaux nécessaires pour exploiter le gisement situé dans l’extrême sud-est du Sénégal.
L’étude de faisabilité a déterminé qu’une fois le minerai trié, il fallait le transporter par chemin de fer. Les trois investisseurs étrangers étaient alors d’accord pour la construction du chemin de fer qui est nécessaire pour l’exportation du minerai. Des études avaient été faites et les résultats ont été présentés au gouvernement sénégalais du temps. Sans suite.
Il y avait aussi l’Iran qui avait affirmé son intention de participer au financement du port et s’était engagé en donnant 250 000 dollars pour l’étude de faisabilité. L’avocat américain, Morse, qui agissait en tant que conseiller du gouvernement avait confirmé l’accord pour l’étude portuaire. Le port était supposé être le terminal du nouveau chemin de fer de 700 kilomètres provenant du gisement de minerai de Falémé. Ce gisement était le seul espoir de lueur au bout du tunnel pour l’économie sénégalaise. Pourquoi un tel projet n’a-t-il pas vu le jour ?
Ce ne sera qu’en 2007 qu’un protocole d’accord sera signé et ce dernier comprenait une licence de 25 ans, un investissement de 2,2 milliards de dollars pour la construction d’un chemin de fer et d’un port. Rien des promesses n’est tenu, car ArcelorMittal s’est dit incapable de financer les projets d’infrastructures toute seule. Selon d’autres sources, il parait que le gisement est moins rentable que leurs ingénieurs ne le pensaient et que les investissements seraient trop lourds par rapport au retour sur investissement.
Fatigué d’attendre, le gouvernement sénégalais a fait appel à la Cour de justice d’Arbitrage de la Chambre de commerce internationale à Paris. L’avocat français, Rassek Bourgi représentait le gouvernement du Sénégal et il réclamait 700 millions de dollars en dommages et intérêts. De 700 millions de dollars que même le cabinet américain spécialisé, Gustavson Associates, avait jugé normal, le Sénégal n’a encaissé que 150 millions de dollars. A quoi ont servi les fonds ?
Au Sénégal, on croit que pour promouvoir l’investissement étranger, il faut forcement des exonérations fiscales énormes. Non seulement les négociations sont menées à titre privé, sans offrir aucune opportunité d’investissement aux autres entreprises qui peuvent être plus compétitives, mais en plus de cela, le FMI, qui a aidé le Sénégal dans la mise en place du code d’investissement n’a pas été consulté dans la conclusion des accords. Nous savons que le FMI désapprouve les exonérations fiscales, car elles réduisent nos recettes et créent un précédent pour les futurs potentiels investisseurs.
Nous détenons cette ressource naturelle depuis plusieurs années et je ne comprends pas pourquoi prévoir des exonérations fiscales à vie portant sur la TVA, les revenus et les bénéfices. Le code donne au gouvernement un droit de participation de 10 % et un droit de participation pour un investisseur local d’un pourcentage défini et négociable du projet. Comment se fait-il qu’aucun investisseur local ne puisse lever les fonds nécessaires ?
Le gouvernement du Sénégal ne connaît pas ses priorités, et cela, à tous les niveaux. Pendant que nous faisions des dépenses somptuaires, on aurait pu depuis des années construire les infrastructures nécessaires pour l’extraction du minerai. Vu que nous étions incapables de construire ces infrastructures, ArcelorMittal a décidé de se lancer en coentreprise avec la National Mineral Development Corporation d’Inde (NMDC), pour que celle-ci s’occupe des infrastructures ferroviaires et portuaires pendant qu’elle commence l’exploitation minière pour générer assez de cash-flow pour pouvoir finaliser les projets d’infrastructures, mais vous, les autorités compétentes, aviez refusé.
Vous dites aussi avoir reçu d’intéressantes offres lors de la visite du président Erdogan en mars 2018. Vous savez qu’ils ont une entreprise en Algérie et que les activités étaient arrêtées à cause d’un échec de négociations entre l’entreprise et les employés. Ces derniers réclamaient de meilleures conditions de travail et des salaires décents. Quand ils ont repris la grève, après que les accords ne furent pas respectés, l’entreprise a décidé de licencier certains de ses travailleurs.
C’est cette compagnie que vous voulez amener au Sénégal ? Vous dites aussi que « cette grande société turque a manifesté un intérêt qui colle avec la nouvelle stratégie du projet mettant en avant les intérêts des populations à travers la transformation sidérurgique sur place qui va créer de milliers d’emplois. » Puis-je humblement vous rappeler qu’ArcelorMittal avait aussi promis plus de 10 000 emplois en plus de la rénovation de plusieurs routes et pistes entre autres ? Qu’en est-il ?
Si ArcelorMittal, qui a eu un revenu total de 76,03 milliards de dollars en 2018, ne peut pas financer les infrastructures nécessaires pour l’extraction du minerai toute seule, pensez-vous que Tosyali qui fait 10 fois moins puisse financer cela toute seule ? Il ne faut pas oublier que la Turquie est touchée par une inflation, et la baisse des taux de change et des taxes à l’importation imposée par le gouvernement américain.
Je comprends que les membres du ministère visé montent au créneau pour défendre le président, mais il faut toujours mettre les intérêts de notre nation avant les intérêts personnels. Je peux vous assurer d’une chose, il y a plusieurs accords qui sont conclus au Sénégal sans même que les proches du président ne soient au courant. Si certains qui travaillent à la présidence, certains ministres et certains députés de la majorité ne savent pas ce qui se passe dans le pays, pensez-vous que les fonctionnaires peuvent savoir ce qui se passe dans le pays ?
Mohamed Dia