Et le Général abdiqua

EDITORIAL
Mardi 12 Mai 2020

La prise de parole du président de la République était très attendue parce qu’on croyait qu’après le record de cas contaminations enregistré hier (177 dont 169 cas contacts et 8 cas de transmission communautaire) depuis l’apparition de la pandémie, il allait densifier les mesures de prévention contre cette dernière mais que nenni ! Le chef de l’Etat a assoupli sa position notamment en ce qui concerne le rapatriement des corps des émigrés dont le ministre des affaires étrangères et des sénégalais de l’extérieur et son collègue de la santé avaient clairement indiqué qu’il était impossible.
 
C’est là un pied de nez flanqué à la Cour suprême qui a débouté récemment les avocats des émigrés qui plaidaient la cause de nos compatriotes décédés du Covid-19 dans le monde. C’est malheureux de voir notre juridiction suprême être humiliée de la sorte par le pouvoir exécutif. Une autorisation de rapatriement qui montre rétrospectivement que la décision de la Cour suprême n’était que politique et non fondée sur une base scientifique. C’est aussi une humiliation des experts du comité scientifique qui avaient requis le non-rapatriement des dépouilles en question lors de leur rencontre du 6 avril. Que l’on ne dise pas que les experts consultés par Macky sont ceux du Cnge qui naguère ont refusé tout rapatriement de Sénégalais morts de Covid-19.
 
Pourtant, l’OMS a depuis le mois de février indiqué qu’il n’y a aucun danger à rapatrier les morts de la Covid-19 si les conditions antiseptiques attenantes sont respectées. Une telle décision salutaire et humaine constitue l’un temps forts du discours présidentiel. Quant aux autres décisions relatives à l’atténuation du couvre-feu, à la réouverture des marchés et « loumas », sauf le dimanche pour les premiers, et des lieux de culte, à la reprise des enseignements et apprentissages à partir du 2 juin, beaucoup d’incertitudes planent sur leur mise en œuvre. Si le Président articule la réouverture des marchés et des lieux de culte au respect des gestes barrières, c’est peine perdue. Qui veillera à l’entrée et au respect des gestes barrières dans nos mosquées ? Qui osera dire à un fidèle de ne pas mettre pied dans une mosquée parce qu’elle affiche le plein ou parce qu’il ne porte pas de masque voire refuse de se laver les mains ?
 
D’ailleurs, il ne serait pas virulent de dire que le Président a abdiqué devant la menace des familles maraboutiques et certains prêcheurs de prier de gré ou de force vendredi prochain. Le khalife général de Leona Niassène, qui avait déclaré urbi et orbi qu’il priera quoique cela puisse lui en coûter dans la mosquée de la localité, était sur le pied de guerre. A Medina Gounass, le khalife et ses fidèles n’ont jamais cessé de prier groupés dans leur mosquée. A Touba, la grande mosquée a été rouverte pendant le ramadan même si c’est avec le respect des normes prophylactiques requises. Ainsi, si le Président a précipitamment autorisé la réouverture des lieux de culte, c’est pour ne pas subir une humiliation par les enturbannés qui se profilait à l’horizon.

Aujourd’hui à Touba et à Gounass où l’autorité peine à se faire respecter, la pandémie se propage à une vitesse exponentielle. A ce jour Touba enregistre 219 cas, Medina Gounass 64. Au lieu de prendre des mesures qui protègent les populations de ces localités, l’Etat se débine devant la puissance des marabouts qui pensent que l’ouverture des lieux de culte serait « un vade retro satana ». En fait si certains pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne voire la Mauritanie voisine ont décidé d’alléger les mesures de confinement c’est après que le pic épidémiologique a été atteint et que la maladie a entamé sa décrue.
 
Paradoxalement, au Sénégal, on allège les mesures restrictives le jour où la maladie a pris l’ascenseur ! En tout cas, il faut s’attendre à ce que la situation explose avec les cas de contamination qui vont se multiplier les prochains jours. Le marché Occass de Touba, qui a été à l’origine de la deuxième vague de dissémination du virus, a montré que les lieux de commerce et d’échange sont de grands foyers de propagation. Aujourd’hui personne ne peut assurer que les « louma » se tiendront intra-muros. Il faut s’attendre à ce que le même phénomène de propagation du virus se produise dans nos écoles. Nos établissements scolaires, dépourvus d’eau pour la plupart et où les conditions d’hygiène font défaut, risquent d’être le tombeau de plusieurs apprenants et enseignants.
 
Pis, dans les moyens de transport public comme les cars rapides, la distanciation sociale n’a jamais été respectée parce que les usagers s’asseyent côte à côte. Dans cette crise sanitaire, le Président Macky Sall n’a jamais affiché la sérénité. Et c’est ce qui explique les mesures à l’emporte-pièce, à la va-vite tâtonnantes et irréfléchies qu’il ne cesse de prendre. Comment expliquer la volonté du professeur Daouda Ndiaye d’utiliser l’artémisia importé par le Président Macky Sall comme solution thérapeutique pour vaincre le Covid-19 sans le consentement des experts du Cnge ? Comment expliquer qu’on refuse de rapatrier les dépouilles de nos compatriotes morts de la pandémie et l’accepter 72 heures après ? Comment expliquer la prise d’un arrêté interdisant l’ouverture des commerces pendant 7/7 jours, — au profit des grandes surfaces françaises ! — suivie d’un désaveu venu du plus haut niveau de l’Etat moins d’une semaine après ?
 
Une crise sanitaire ne se gère pas avec du laxisme et de l’anxiété. Et le fait de l’avoir assimilée dès le départ à une guerre montre la dimension exagérée et anxiogène que le Général autoproclamé a voulu imprimer à la pandémie. Une pandémie dont il ignore, hélas, qu’elle se gagne avec intelligence et courageuse. Et non par des décisions à l’emporte-pièce !
 
Serigne Saliou Guèye