Par Cissé Kane Ndao
La tragédie a ceci de terrible qu’elle ne porte un nom et un visage que quand elle advient. Elle revêt alors les couleurs d’une vie, celle vécue fugacement par Fallou Sène, pour ce cas-ci. Nous découvrons ce que fut l’existence de Fallou Sène : père, fils unique, espoir de toute une famille. Etudiant, il a été. Il allait à l’Université la tête pleine de rêves et d’élans vers un futur qu’il a sans doute rêvé radieux. Il allait à l’Université avec la motivation du villageois arpentant les couloirs de ce temple du savoir, le cœur plein d’ambitions, porté par la rencontre, très prochaine, avec sa famille.
Un bonheur pour sa famille. Car sa plus grande satisfaction en ces occasions était celle de lire dans le regard de son père analphabète un éclair de fierté d’avoir un fils instruit, et qui avance avec succès dans les études.
Fallou Sène portait au plus profond de son cœur exalté une conviction et un courage candides qui lui firent répondre à l’appel de la lutte.
Quelle lutte ? Et d’ailleurs contre qui ?
Les jeunes étudiants impétueux saisis par la fougue propre à leur âge sont naturellement sous le coup d’une adrénaline qui exacerbe leur détermination et les entraine en avant, comme des étalons dans une meute en cavale. La dynamique de groupe est un puissant levain qui décuple l’excitation et conduit toujours à des face-à-face violents avec les forces de l’ordre.
Dans ces joutes convenues où les étudiants armés de pierres montent au front contre des policiers parés à toutes les éventualités, tout aussi jeunes, tout aussi fougueux et déterminés, forts de la détention légitime de la puissance publique et donc de la force, il arrive que le destin s’en mêle, pour le malheur de la victime expiatoire du moment.
Avant-hier, il s’appelait Balla Gaye, hier il s’appelait Bassirou Faye. Aujourd’hui, il s’appelle Fallou Sène. Pauvres étudiants qui payez vos revendications de votre vie, quand est-ce que cessera votre sacrifice ? Il semble écrit qu’il faut que quelqu’un parmi eux décède et arrose la terre de son sang pour faire lever les barrières et trouver les solutions à leurs problèmes.
Fallou Sène réclamait, comme ses camarades, sa bourse. Il était pressé par l’urgence, certainement. En effet, combien sont-ils les étudiants à envoyer à leurs parents au village dès la bourse perçue le prix du sac de riz et le savon nécessaires à leur survie ?
Je me souviens du jour où j’ai eu le plus honte dans ma vie d’étudiant :
-J’avais un voisin de chambre qui se réveillait tous les jours bien avant moi. Il ne rentrait que vers 13 heures, l’air épuisé.
Un jour, je suis revenu du restau le ventre bien plein, mon pain à la main pour l’en-cas chocolaté de 17 heures.
Mon voisin me demanda si je voulais bien lui donner mon pain. Ce que je fis.
Il sortit de son armoire un paquet de sucre et se prépara de l’eau sucrée avec le pain trempé dedans pour manger.
Surpris, je lui demandai pourquoi il prenait du pognecé au lieu d’aller au restau.
Il me dit : « Cissé, chaque matin, je vais à Yarakh aider les pêcheurs à tirer leurs filets à terre. Si ma journée est remplie, j’ai de quoi payer des tickets. Les jours où je ne travaille, pas comme aujourd’hui, je n’ai rien. Donc j’ai marché de Yarakh jusqu’ici.
Mon oncle ne me donne que 5 000 francs avec lesquels je paye la chambre ».
J’eus tellement honte de m’être si bien rassasié, j’eus tellement honte d’avoir un stock suffisant de tickets pendant que mon voisin trimait si dur, que sur l’instant ma honte me submergea. Je ne pus plus le regarder.
Je lui offris des tickets et sortis prendre l’air, pour évacuer ma gêne devant lui.
Cet exemple est l’une des situations difficiles dans lesquelles vivent les étudiants.
Derrière chaque visage d’étudiant au front se battant férocement avec les forces de l’ordre comme si son sort en dépendait, il y a une famille, il y a des besoins, il y a des urgences.
Ces étudiants s’oublient alors. Ils ne sont plus que des boules de colère prêts à tout pour recevoir leur dû. Parce qu’ils ne comptent sur personne. Et parfois leurs familles comptent sur eux.
Fallou Sène est parti.
Triste jour. Triste situation de nos universités où les rectorats et services administratifs saccagés sont un faible exutoire à leurs colères ravageuses qui étalent autant leur désespoir que leur soif de justice.
Il est temps que nous arrêtions la fuite en avant.
Le Sénégal compte sur tous ses fils.
Et l’autre disait que si l’Education a un coût jugé exorbitant, il faut alors essayer l’ignorance.
Que Dieu l’accueille au paradis firdawsi !
La tragédie a ceci de terrible qu’elle ne porte un nom et un visage que quand elle advient. Elle revêt alors les couleurs d’une vie, celle vécue fugacement par Fallou Sène, pour ce cas-ci. Nous découvrons ce que fut l’existence de Fallou Sène : père, fils unique, espoir de toute une famille. Etudiant, il a été. Il allait à l’Université la tête pleine de rêves et d’élans vers un futur qu’il a sans doute rêvé radieux. Il allait à l’Université avec la motivation du villageois arpentant les couloirs de ce temple du savoir, le cœur plein d’ambitions, porté par la rencontre, très prochaine, avec sa famille.
Un bonheur pour sa famille. Car sa plus grande satisfaction en ces occasions était celle de lire dans le regard de son père analphabète un éclair de fierté d’avoir un fils instruit, et qui avance avec succès dans les études.
Fallou Sène portait au plus profond de son cœur exalté une conviction et un courage candides qui lui firent répondre à l’appel de la lutte.
Quelle lutte ? Et d’ailleurs contre qui ?
Les jeunes étudiants impétueux saisis par la fougue propre à leur âge sont naturellement sous le coup d’une adrénaline qui exacerbe leur détermination et les entraine en avant, comme des étalons dans une meute en cavale. La dynamique de groupe est un puissant levain qui décuple l’excitation et conduit toujours à des face-à-face violents avec les forces de l’ordre.
Dans ces joutes convenues où les étudiants armés de pierres montent au front contre des policiers parés à toutes les éventualités, tout aussi jeunes, tout aussi fougueux et déterminés, forts de la détention légitime de la puissance publique et donc de la force, il arrive que le destin s’en mêle, pour le malheur de la victime expiatoire du moment.
Avant-hier, il s’appelait Balla Gaye, hier il s’appelait Bassirou Faye. Aujourd’hui, il s’appelle Fallou Sène. Pauvres étudiants qui payez vos revendications de votre vie, quand est-ce que cessera votre sacrifice ? Il semble écrit qu’il faut que quelqu’un parmi eux décède et arrose la terre de son sang pour faire lever les barrières et trouver les solutions à leurs problèmes.
Fallou Sène réclamait, comme ses camarades, sa bourse. Il était pressé par l’urgence, certainement. En effet, combien sont-ils les étudiants à envoyer à leurs parents au village dès la bourse perçue le prix du sac de riz et le savon nécessaires à leur survie ?
Je me souviens du jour où j’ai eu le plus honte dans ma vie d’étudiant :
-J’avais un voisin de chambre qui se réveillait tous les jours bien avant moi. Il ne rentrait que vers 13 heures, l’air épuisé.
Un jour, je suis revenu du restau le ventre bien plein, mon pain à la main pour l’en-cas chocolaté de 17 heures.
Mon voisin me demanda si je voulais bien lui donner mon pain. Ce que je fis.
Il sortit de son armoire un paquet de sucre et se prépara de l’eau sucrée avec le pain trempé dedans pour manger.
Surpris, je lui demandai pourquoi il prenait du pognecé au lieu d’aller au restau.
Il me dit : « Cissé, chaque matin, je vais à Yarakh aider les pêcheurs à tirer leurs filets à terre. Si ma journée est remplie, j’ai de quoi payer des tickets. Les jours où je ne travaille, pas comme aujourd’hui, je n’ai rien. Donc j’ai marché de Yarakh jusqu’ici.
Mon oncle ne me donne que 5 000 francs avec lesquels je paye la chambre ».
J’eus tellement honte de m’être si bien rassasié, j’eus tellement honte d’avoir un stock suffisant de tickets pendant que mon voisin trimait si dur, que sur l’instant ma honte me submergea. Je ne pus plus le regarder.
Je lui offris des tickets et sortis prendre l’air, pour évacuer ma gêne devant lui.
Cet exemple est l’une des situations difficiles dans lesquelles vivent les étudiants.
Derrière chaque visage d’étudiant au front se battant férocement avec les forces de l’ordre comme si son sort en dépendait, il y a une famille, il y a des besoins, il y a des urgences.
Ces étudiants s’oublient alors. Ils ne sont plus que des boules de colère prêts à tout pour recevoir leur dû. Parce qu’ils ne comptent sur personne. Et parfois leurs familles comptent sur eux.
Fallou Sène est parti.
Triste jour. Triste situation de nos universités où les rectorats et services administratifs saccagés sont un faible exutoire à leurs colères ravageuses qui étalent autant leur désespoir que leur soif de justice.
Il est temps que nous arrêtions la fuite en avant.
Le Sénégal compte sur tous ses fils.
Et l’autre disait que si l’Education a un coût jugé exorbitant, il faut alors essayer l’ignorance.
Que Dieu l’accueille au paradis firdawsi !