Dr Cheikh Diallo, douze mois avant l’entrée en vigueur du parrainage citoyen, vous aviez été le premier en à parler dans nos colonnes. Aujourd’hui, le Sénégal est dans une ambiance de collecte de signatures. Votre commentaire ?
En effet, c’est dans votre journal que j’ai testé et conceptualisé, en mars 2017, le parrainage intégral. A l’époque, je tablais sur 0,5 % du corps électoral. Un an plus tard, le législateur l’a adopté dans une fourchette de 0,8 à 1%. Les faits m’ont donné raison. Aujourd’hui, plus de 80 candidatures à la candidature. Grâce à l’instrument juridico-politique qu’est le parrainage citoyen, nous ne dépasserons pas 8 à 10 candidats en 2019.
On peut dire que vous avez été entendu et suivi…
Exact ! Là où bat le cœur de la République, le message a été reçu 5 sur 5. Toutefois, je n’en tire aucune gloire particulière. Le mérite revient à celles et ceux qui ont porté la loi à bout de bras, à leurs risques et périls, je veux parler des dignes représentants du peuple et de l’initiateur du projet de loi : en premier lieu, le Président Macky Sall et son ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall, avec qui j’ai amorcé depuis décembre 2015, une recherche scientifique approfondie sur la question. A un double titre d’ailleurs : nous entretenons une longue amitié intellectuelle de 18 ans et il a été mon directeur de thèse de doctorat en sciences politiques. Dans la même étude, j’allais plus loin, en soutenant la suppression de la caution présidentielle - c’est le cas dans les démocraties exemplaires comme en France - et je proposais le financement public des candidats à la présidentielle. Sur ces deux points, je n’ai pas encore été suivi. Mais je crois au génie démocratique sénégalais.
Vous pensez que Macky Sall va financer ses concurrents ?
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Je ne poserai pas le débat en ces termes. Il s’agit plutôt de Droit électoral comparé. Le parrainage est une sorte de « primaires à la sénégalaise », un vrai test de pré-représentativité. C’est un concours de beauté électorale. Par conséquent celles et ceux qui seront dans la short-list devront recevoir légitimement un financement public pour battre campagne. En fait, le financement public des candidats comporte un double avantage. D’une part, il s’agit de fixer le seuil à ne pas dépasser. D’autre part, l’intention louable est de contrôler rigoureusement les mouvements suspects de financements occultes en provenance de l’extérieur. Savez-vous que l’argent étranger est formellement interdit dans nos textes et lois en vigueur ? A juste titre ! Le législateur craint que le côté obscur de la puissance de l’argent des lobbys étrangers ne vienne confisquer notre souveraineté populaire. Le financement public est strictement encadré en France, aux Etats-Unis et au Canada. Bien mieux, en Côte d’Ivoire tout près, les challengers d’Alassane Ouattara ont bénéficié d’une subvention exceptionnelle de 100 millions de FCFA chacun, lors de la dernière présidentielle. Au Burkina Faso et ailleurs. Alors pourquoi «les heureux élus» qui ont collecté 52.000 signatures ne bénéficieraient pas d’une subvention exceptionnelle de 200 millions de FCFA par exemple ? Et puis, ce serait réparer une injustice financière électorale entre «la prime au sortant» accordée au chef de l’Etat et «la prime aux méritants» qui reviendrait aux autres.
Vous avez suivi la cérémonie de présentation du livre de "Solutions" d’Ousmane Sonko. Il ne laisse personne indifférent aujourd’hui. Votre lecteur en tant qu’analyste politique.
En deux ans, Sonko a commis deux ouvrages qui traitent des enjeux vitaux et des intérêts de la Nation. C’est une belle constance éditoriale et une performance politique, au moment où le niveau du débat était au plus bas. Au demeurant, il faut noter que ses livres n’ont aucune prétention scientifique. Leur portée est plutôt politique. Reconnaissons que son show médiatique a été un temps fort de communication politique réussie.
Cela dit, Ousmane Sonko est un matériau prodigieusement intéressant. C’est un diable surgit de sa boîte, il y a tout juste deux ans. Un pur-sang politique de 44 ans. Il est né à Thiès, a grandi en Casamance, a fait ses études à Saint-Louis, puis il est monté à Dakar pour entrer major à l’Ecole nationale d’administration. Il est à la fois un enfant de la méritocratie sociale et un produit typiquement sénégalais. Pour la petite anecdote aucun président n’est né à Dakar.
Il affirme également qu’il a les mains propres. N’est-ce pas l’une de ses principales forces ?
Oui, disons que son intégrité est admirable mais sa connaissance du pouvoir et des affaires de l’Etat n’est pas considérable. Même s’il commence à imprimer, Sonko n’a aucune expérience étatique. C’est là sa force et sa faiblesse. Il a des atouts majeurs et de sérieux handicaps. Il est le candidat anti-système, anti-CFA, anti-France [je ne dis pas anti-Français]. Il est également trans-partisan, trans-idéologique et trans-confrérique. Voyez, il a fait de son intersection religieuse, un boulevard pour rallier facilement les deux grandes confréries que sont les Mourides et Tidianes. Transformant ainsi une enclave confrérique en outil d’intelligence politique et peut-être électoral. Mieux, le pur-sang politique Sonko est le chouchou des jeunes, des gens simples et droits, de la presse nationale - bientôt internationale – et surtout celui des réseaux sociaux. Ce n’est pas rien !
2019 consacrera la toute-puissance des fake-news. Ne pas allumer à temps des contre-feux sur la toile équivaudrait à un suicide en plein bonheur électoral pour Macky Sall, Idrissa Seck, Ousmane Sonko, Malick Gackou, etc. Ousmane Sonko est né médiatiquement le 16 septembre 2018 à la place de l’Obélisque. Ce dimanche-là, il a envoyé un signal fort au pouvoir et a ringardisé l’opposition classique qui fonctionne sur la base du même logiciel depuis 2000 : conférences de presse, manifestations, bravades et communiqués.
Cette opposition-là est certes incontournable dans le champ de la protestation mais, elle est introuvable dans le camp de la proposition.
Tenez, vous l’entendez presque jamais sur les grandes problématiques de l’heure : la réforme du système de santé, de l’éducation, de l’agriculture, sur l’emploi des jeunes, la sécurité, l’actionnariat populaire de nos autoroutes, le monopole d’Auchan dans la grande distribution, le service militaire obligatoire, etc.
Puisque l’imagination n’a pas pris le pouvoir dans l’opposition, le pouvoir de Sonko dans l’opposition consiste à faire preuve d’imagination. Il critique sévèrement tout en faisant des propositions sous forme de solutions. C’est pourquoi il sort indubitablement du lot.
Et quelles sont ses faiblesses ?
Ousmane Sonko est un colosse au pied d’argile. Il est sans base politique et sans fief électoral. Pour le moment, ce n’est pas une foudre de guerre électorale. Pourra-t-il le devenir en 100 jours ? Je rappelle qu’en 2017, il était encore une petite frappe électorale, fort de 35.000 voix seulement et d’un poste de député. Avec ce pedigree, il prétend coiffer au poteau, un redoutable animal politique qui a déjà visité 8.000 villages et parcouru plus de 80.000 km, entre 2010 et 2012. Plus qu’une solution, Sonko devra trouver la solution-miracle, en si peu de temps. Mais sait-on jamais !
En dépit de tout, il n'est-il pas en train de devenir le chef de l’opposition ?
Si les vents lui sont favorables, Ousmane Sonko sera incontestablement la grande révélation de la présidentielle. Il habite déjà le projet présidentiel, il doit commencer à le porter. Et, il semble posséder deux ou trois qualités essentielles des leaders charismatiques qui peuvent faire de lui, le nouveau chef de l'opposition à savoir : une vision généreuse (le Sénégal avant tout), la défense d'une grande cause (les intérêts vitaux du pays), et une belle marge de progression qui lui permettre de prendre une ou deux défaites d’avenir et pourquoi pas de présider, un jour, aux destinées du Sénégal.
Mais concrètement qui pourrait inquiéter Macky Sall en 2019 ?
Il serait aléatoire et illusoire de faire un pronostic de la finale du scrutin alors que 80 postulants sont en compétition pour les éliminatoires. Attendons donc la phase des qualifications en décembre. Qui aura le nombre de signatures requis ? Seule certitude mathématique, le trio de tête ressemblerait à Idrissa Seck et Ousmane Sonko, les plus sérieux adversaires de Macky Sall.
Mais pour vous répondre autrement, le seul personnage public qui pouvait encore troubler le sommeil de Macky Sall est Abdoulaye Wade. Or, il se trouve que l’élève a dépassé le maître. La belle preuve, il a glissé une clause dans la Constitution qui fixe l’âge plafond de la candidature à 75 ans. Un coup de billard ! Wade a accédé au pouvoir à 74 ans et l'a exercé jusqu’à 86 ans. Alors dites-moi, en vertu de quoi, peut-on exercer la magistrature suprême en étant octogénaire et ne plus pouvoir être candidat à 75 ans ? Dans l'esprit et la lettre de la nouvelle disposition, l’on est inapte à 75 ans, alors qu'avec moins de douze mois de différence d’âge, l’on peut être candidat. Autrement dit, un prétendant de 74 ans peut diriger le Sénégal cinq ans durant (donc jusqu'à l'âge de 79 ans) mais lorsqu’il en a 75 ans, il ne peut pas. Dans la même logique, le président de l'Assemblée nationale Moustapha Niasse, âgé de 78 ans peut devenir Chef de l'Etat du fait de la vacance de pouvoir. Une belle contradiction ambulante. Heureusement que les lois sont relatives non seulement dans le temps mais aussi dans l'espace. Qui disait qu’aucune génération n'a le droit d'assujettir à ses lois, les générations futures ?
Si Wade, Karim et Khalifa sont exit, quels adversaires sérieux face à Macky Sall ?
Dans cet exercice périlleux, vous allez me faire nouer de fortes inimitiés. [Rires] Mais tant pis, celui qui n’a pas d’ennemis n’a pas de valeurs. De sérieux adversaires ? Je n’en vois pas pour le moment. Toutefois, je note que la majorité présidentielle n’a plus la belle santé électorale de 2012. Elle enregistré le départ de nombreux régiments fidèles à Idrissa Seck, Malick Gackou et Khalifa Sall etc. Dans le même temps, le pouvoir et ses alliés enregistrent de nouvelles arrivées en provenance de «la roche-mère libérale», en dépit de leur poids électoral absolument discutable. Ils pourront toujours affirmer que «les uns changent conviction pour l’amour de leur parti et eux, ils changent de parti pour l’amour de leur conviction», j’ai cité Winston Churchill, le premier transhumant de la politique moderne.
Les tenants du pouvoir déclarent urbi et orbi qu’il n’y aura pas de second tour. Partagez-vous cet avis ?
Le candidat sortant Macky Sall est «condamné» à gagner au premier tour, sinon il pourrait facilement perdre au second. Dans mes recherches doctorales, j’ai fait le monitoring d’une cinquantaine d’élections présidentielles en Afrique sur les 20 dernières années, je suis arrivé à une conclusion partielle : le premier mandat présidentiel se gagne, en règle générale, au second tour. Et, lorsque le Président sortant est candidat à sa propre succession, soit il l’emporte au premier tour, soit il perd au second. Regardons autour de vous. Avec des exceptions qui font la règle. C’est ce que j’appelle «la loi de la gravité électorale en Afrique».
Et s’il venait à être réélu…
Réélu Macky Sall sera atteint du "syndrome du canard boiteux", un terme propre au Droit constitutionnel américain. Dans ce cas de figure, deux ans avant le terme définitif du deuxième et dernier mandat, il assistera impuissant à sa perte d'influence politique. Dans les faits, son quinquennat sera de… trois ans. Les deux dernières années de son mandat se termineront dans une belle pagaille et une campagne présidentielle débridée et préméditée. Le président Sall aura l’illusion du pouvoir ; la réalité du pouvoir sera déjà… ailleurs. Il sera désincarné.
Mais dans cette hypothèse, Macky restera encore le maître du jeu puisqu’il organisera les élections.
Dans cette hypothèse de travail, il y a deux grilles de lecture. Le côté pile : Macky Sall sera le premier président au Sénégal à connaître, cinq ans à l’avance, le jour de son départ. Théoriquement le 1er avril 2024. Côté face, il sera également le premier à organiser un scrutin présidentiel dans lequel il ne sera pas candidat. Les présidents Diouf et Wade ont été défaits et sont partis malgré eux. Le rôle crucial que jouera le président Sall aura nécessairement des implications directes sur les jours tranquilles ou non-tranquilles du jeune retraité politique de 60 ans qu’il sera.
Connaissant et pratiquant une bonne partie du personnel politique sénégalais depuis 20 ans, je ne vois pas Macky Sall changer généreusement les règles du jeu, en 2024, afin de permettre à Karim Wade ou Khalifa Sall d’occuper le fauteuil présidentiel. Sauf si l’opposition devenait majoritaire à l’Assemblée nationale et votait une loi d’amnistie générale. Mais là encore, nous sommes dans une hypothèse de travail. Cap sur 2019 !
Avec l’Obs
En effet, c’est dans votre journal que j’ai testé et conceptualisé, en mars 2017, le parrainage intégral. A l’époque, je tablais sur 0,5 % du corps électoral. Un an plus tard, le législateur l’a adopté dans une fourchette de 0,8 à 1%. Les faits m’ont donné raison. Aujourd’hui, plus de 80 candidatures à la candidature. Grâce à l’instrument juridico-politique qu’est le parrainage citoyen, nous ne dépasserons pas 8 à 10 candidats en 2019.
On peut dire que vous avez été entendu et suivi…
Exact ! Là où bat le cœur de la République, le message a été reçu 5 sur 5. Toutefois, je n’en tire aucune gloire particulière. Le mérite revient à celles et ceux qui ont porté la loi à bout de bras, à leurs risques et périls, je veux parler des dignes représentants du peuple et de l’initiateur du projet de loi : en premier lieu, le Président Macky Sall et son ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall, avec qui j’ai amorcé depuis décembre 2015, une recherche scientifique approfondie sur la question. A un double titre d’ailleurs : nous entretenons une longue amitié intellectuelle de 18 ans et il a été mon directeur de thèse de doctorat en sciences politiques. Dans la même étude, j’allais plus loin, en soutenant la suppression de la caution présidentielle - c’est le cas dans les démocraties exemplaires comme en France - et je proposais le financement public des candidats à la présidentielle. Sur ces deux points, je n’ai pas encore été suivi. Mais je crois au génie démocratique sénégalais.
Vous pensez que Macky Sall va financer ses concurrents ?
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Je ne poserai pas le débat en ces termes. Il s’agit plutôt de Droit électoral comparé. Le parrainage est une sorte de « primaires à la sénégalaise », un vrai test de pré-représentativité. C’est un concours de beauté électorale. Par conséquent celles et ceux qui seront dans la short-list devront recevoir légitimement un financement public pour battre campagne. En fait, le financement public des candidats comporte un double avantage. D’une part, il s’agit de fixer le seuil à ne pas dépasser. D’autre part, l’intention louable est de contrôler rigoureusement les mouvements suspects de financements occultes en provenance de l’extérieur. Savez-vous que l’argent étranger est formellement interdit dans nos textes et lois en vigueur ? A juste titre ! Le législateur craint que le côté obscur de la puissance de l’argent des lobbys étrangers ne vienne confisquer notre souveraineté populaire. Le financement public est strictement encadré en France, aux Etats-Unis et au Canada. Bien mieux, en Côte d’Ivoire tout près, les challengers d’Alassane Ouattara ont bénéficié d’une subvention exceptionnelle de 100 millions de FCFA chacun, lors de la dernière présidentielle. Au Burkina Faso et ailleurs. Alors pourquoi «les heureux élus» qui ont collecté 52.000 signatures ne bénéficieraient pas d’une subvention exceptionnelle de 200 millions de FCFA par exemple ? Et puis, ce serait réparer une injustice financière électorale entre «la prime au sortant» accordée au chef de l’Etat et «la prime aux méritants» qui reviendrait aux autres.
Vous avez suivi la cérémonie de présentation du livre de "Solutions" d’Ousmane Sonko. Il ne laisse personne indifférent aujourd’hui. Votre lecteur en tant qu’analyste politique.
En deux ans, Sonko a commis deux ouvrages qui traitent des enjeux vitaux et des intérêts de la Nation. C’est une belle constance éditoriale et une performance politique, au moment où le niveau du débat était au plus bas. Au demeurant, il faut noter que ses livres n’ont aucune prétention scientifique. Leur portée est plutôt politique. Reconnaissons que son show médiatique a été un temps fort de communication politique réussie.
Cela dit, Ousmane Sonko est un matériau prodigieusement intéressant. C’est un diable surgit de sa boîte, il y a tout juste deux ans. Un pur-sang politique de 44 ans. Il est né à Thiès, a grandi en Casamance, a fait ses études à Saint-Louis, puis il est monté à Dakar pour entrer major à l’Ecole nationale d’administration. Il est à la fois un enfant de la méritocratie sociale et un produit typiquement sénégalais. Pour la petite anecdote aucun président n’est né à Dakar.
Il affirme également qu’il a les mains propres. N’est-ce pas l’une de ses principales forces ?
Oui, disons que son intégrité est admirable mais sa connaissance du pouvoir et des affaires de l’Etat n’est pas considérable. Même s’il commence à imprimer, Sonko n’a aucune expérience étatique. C’est là sa force et sa faiblesse. Il a des atouts majeurs et de sérieux handicaps. Il est le candidat anti-système, anti-CFA, anti-France [je ne dis pas anti-Français]. Il est également trans-partisan, trans-idéologique et trans-confrérique. Voyez, il a fait de son intersection religieuse, un boulevard pour rallier facilement les deux grandes confréries que sont les Mourides et Tidianes. Transformant ainsi une enclave confrérique en outil d’intelligence politique et peut-être électoral. Mieux, le pur-sang politique Sonko est le chouchou des jeunes, des gens simples et droits, de la presse nationale - bientôt internationale – et surtout celui des réseaux sociaux. Ce n’est pas rien !
2019 consacrera la toute-puissance des fake-news. Ne pas allumer à temps des contre-feux sur la toile équivaudrait à un suicide en plein bonheur électoral pour Macky Sall, Idrissa Seck, Ousmane Sonko, Malick Gackou, etc. Ousmane Sonko est né médiatiquement le 16 septembre 2018 à la place de l’Obélisque. Ce dimanche-là, il a envoyé un signal fort au pouvoir et a ringardisé l’opposition classique qui fonctionne sur la base du même logiciel depuis 2000 : conférences de presse, manifestations, bravades et communiqués.
Cette opposition-là est certes incontournable dans le champ de la protestation mais, elle est introuvable dans le camp de la proposition.
Tenez, vous l’entendez presque jamais sur les grandes problématiques de l’heure : la réforme du système de santé, de l’éducation, de l’agriculture, sur l’emploi des jeunes, la sécurité, l’actionnariat populaire de nos autoroutes, le monopole d’Auchan dans la grande distribution, le service militaire obligatoire, etc.
Puisque l’imagination n’a pas pris le pouvoir dans l’opposition, le pouvoir de Sonko dans l’opposition consiste à faire preuve d’imagination. Il critique sévèrement tout en faisant des propositions sous forme de solutions. C’est pourquoi il sort indubitablement du lot.
Et quelles sont ses faiblesses ?
Ousmane Sonko est un colosse au pied d’argile. Il est sans base politique et sans fief électoral. Pour le moment, ce n’est pas une foudre de guerre électorale. Pourra-t-il le devenir en 100 jours ? Je rappelle qu’en 2017, il était encore une petite frappe électorale, fort de 35.000 voix seulement et d’un poste de député. Avec ce pedigree, il prétend coiffer au poteau, un redoutable animal politique qui a déjà visité 8.000 villages et parcouru plus de 80.000 km, entre 2010 et 2012. Plus qu’une solution, Sonko devra trouver la solution-miracle, en si peu de temps. Mais sait-on jamais !
En dépit de tout, il n'est-il pas en train de devenir le chef de l’opposition ?
Si les vents lui sont favorables, Ousmane Sonko sera incontestablement la grande révélation de la présidentielle. Il habite déjà le projet présidentiel, il doit commencer à le porter. Et, il semble posséder deux ou trois qualités essentielles des leaders charismatiques qui peuvent faire de lui, le nouveau chef de l'opposition à savoir : une vision généreuse (le Sénégal avant tout), la défense d'une grande cause (les intérêts vitaux du pays), et une belle marge de progression qui lui permettre de prendre une ou deux défaites d’avenir et pourquoi pas de présider, un jour, aux destinées du Sénégal.
Mais concrètement qui pourrait inquiéter Macky Sall en 2019 ?
Il serait aléatoire et illusoire de faire un pronostic de la finale du scrutin alors que 80 postulants sont en compétition pour les éliminatoires. Attendons donc la phase des qualifications en décembre. Qui aura le nombre de signatures requis ? Seule certitude mathématique, le trio de tête ressemblerait à Idrissa Seck et Ousmane Sonko, les plus sérieux adversaires de Macky Sall.
Mais pour vous répondre autrement, le seul personnage public qui pouvait encore troubler le sommeil de Macky Sall est Abdoulaye Wade. Or, il se trouve que l’élève a dépassé le maître. La belle preuve, il a glissé une clause dans la Constitution qui fixe l’âge plafond de la candidature à 75 ans. Un coup de billard ! Wade a accédé au pouvoir à 74 ans et l'a exercé jusqu’à 86 ans. Alors dites-moi, en vertu de quoi, peut-on exercer la magistrature suprême en étant octogénaire et ne plus pouvoir être candidat à 75 ans ? Dans l'esprit et la lettre de la nouvelle disposition, l’on est inapte à 75 ans, alors qu'avec moins de douze mois de différence d’âge, l’on peut être candidat. Autrement dit, un prétendant de 74 ans peut diriger le Sénégal cinq ans durant (donc jusqu'à l'âge de 79 ans) mais lorsqu’il en a 75 ans, il ne peut pas. Dans la même logique, le président de l'Assemblée nationale Moustapha Niasse, âgé de 78 ans peut devenir Chef de l'Etat du fait de la vacance de pouvoir. Une belle contradiction ambulante. Heureusement que les lois sont relatives non seulement dans le temps mais aussi dans l'espace. Qui disait qu’aucune génération n'a le droit d'assujettir à ses lois, les générations futures ?
Si Wade, Karim et Khalifa sont exit, quels adversaires sérieux face à Macky Sall ?
Dans cet exercice périlleux, vous allez me faire nouer de fortes inimitiés. [Rires] Mais tant pis, celui qui n’a pas d’ennemis n’a pas de valeurs. De sérieux adversaires ? Je n’en vois pas pour le moment. Toutefois, je note que la majorité présidentielle n’a plus la belle santé électorale de 2012. Elle enregistré le départ de nombreux régiments fidèles à Idrissa Seck, Malick Gackou et Khalifa Sall etc. Dans le même temps, le pouvoir et ses alliés enregistrent de nouvelles arrivées en provenance de «la roche-mère libérale», en dépit de leur poids électoral absolument discutable. Ils pourront toujours affirmer que «les uns changent conviction pour l’amour de leur parti et eux, ils changent de parti pour l’amour de leur conviction», j’ai cité Winston Churchill, le premier transhumant de la politique moderne.
Les tenants du pouvoir déclarent urbi et orbi qu’il n’y aura pas de second tour. Partagez-vous cet avis ?
Le candidat sortant Macky Sall est «condamné» à gagner au premier tour, sinon il pourrait facilement perdre au second. Dans mes recherches doctorales, j’ai fait le monitoring d’une cinquantaine d’élections présidentielles en Afrique sur les 20 dernières années, je suis arrivé à une conclusion partielle : le premier mandat présidentiel se gagne, en règle générale, au second tour. Et, lorsque le Président sortant est candidat à sa propre succession, soit il l’emporte au premier tour, soit il perd au second. Regardons autour de vous. Avec des exceptions qui font la règle. C’est ce que j’appelle «la loi de la gravité électorale en Afrique».
Et s’il venait à être réélu…
Réélu Macky Sall sera atteint du "syndrome du canard boiteux", un terme propre au Droit constitutionnel américain. Dans ce cas de figure, deux ans avant le terme définitif du deuxième et dernier mandat, il assistera impuissant à sa perte d'influence politique. Dans les faits, son quinquennat sera de… trois ans. Les deux dernières années de son mandat se termineront dans une belle pagaille et une campagne présidentielle débridée et préméditée. Le président Sall aura l’illusion du pouvoir ; la réalité du pouvoir sera déjà… ailleurs. Il sera désincarné.
Mais dans cette hypothèse, Macky restera encore le maître du jeu puisqu’il organisera les élections.
Dans cette hypothèse de travail, il y a deux grilles de lecture. Le côté pile : Macky Sall sera le premier président au Sénégal à connaître, cinq ans à l’avance, le jour de son départ. Théoriquement le 1er avril 2024. Côté face, il sera également le premier à organiser un scrutin présidentiel dans lequel il ne sera pas candidat. Les présidents Diouf et Wade ont été défaits et sont partis malgré eux. Le rôle crucial que jouera le président Sall aura nécessairement des implications directes sur les jours tranquilles ou non-tranquilles du jeune retraité politique de 60 ans qu’il sera.
Connaissant et pratiquant une bonne partie du personnel politique sénégalais depuis 20 ans, je ne vois pas Macky Sall changer généreusement les règles du jeu, en 2024, afin de permettre à Karim Wade ou Khalifa Sall d’occuper le fauteuil présidentiel. Sauf si l’opposition devenait majoritaire à l’Assemblée nationale et votait une loi d’amnistie générale. Mais là encore, nous sommes dans une hypothèse de travail. Cap sur 2019 !
Avec l’Obs