Donald Trump embouche encore la trompette du jugement dingue et désastreux (Par Babacar Justin Ndiaye)

TRIBUNE LIBRE
Lundi 15 Janvier 2018

Il y a des jours où l’érudition élégante et l’éloquence veloutée d’un discours digne de l’académicien Jean d’Ormesson, s’effacent opportunément et cèdent exceptionnellement la place, à la trivialité colorée et à la verdeur épatante des saillies dignes de l’humoriste Coluche, pour commenter sévèrement les propos inqualifiables et inénarrables du Président Donald Trump. Le chef de l’Exécutif américain qui embouche et embouche encore – non pas les trompettes de Jéricho aux sons historiquement salvateurs et aux sonorités bibliquement rédemptrices – mais la lugubre trompette de Washington, à la mélodie chargée de jugements dingues et désastreux. Le prospère homme d’affaires et inattendu locataire de la Maison-Blanche, Donald Trump, a visiblement une inébranlable culture des clichés, un goût prononcé pour les formules réductrices et, surtout, un sens fou des jugements à l’emporte-pièces.    

L’école de pensée (devrai-je dire la religion fossilisée) de Donald Trump coupe la planète en deux : les entités de merveille, d’un côté, et les pays de merde, de l’autre. En effet, le discours débile du Président républicain démolit hystériquement les grilles de lecture et refaçonne le monde. Les pays socialistes, capitalistes, non alignés, neutres, développés, en voie de développement, émergents et/ou noyés n’existent pas, aux yeux du successeur de Barack Obama. Avec les lunettes de Donald Trump, le panorama est profondément entaillé suivant une ligne géographiquement visqueuse. Jugez-en ! Aucun pays d’Asie n’est de « merde ». Même la Corée du Nord, l’Iran, le Yémen, l’Afghanistan et la Syrie (très peu amicaux avec les USA) sont placés en dehors de la « merde ». En revanche, certains Etats arabes non asiatiques, comme le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et l’Egypte, sont logés au rayon de « la merde ».  L’Amérique centrale et les Caraïbes renferment un ou deux pays de « merde », tels Le Salvador et Haïti.  L’Europe – avec la Norvège magnifiée par Trump – est un continent de merveille et de toutes les merveilles. Seule, l’Afrique est globalement cadenassée dans la « merde ». Et pourtant, l’Afrique était quand d’autres, notamment les Etats-Unis d’Amérique, n’étaient pas. 

Tant que Donald Trump restait sur le registre des balivernes amusantes et ahurissantes, la réaction des Etats pouvait être médusée et méprisante. On se rappelle que le Président Trump, nouvellement élu, a demandé au Mexique de financer la construction, sur le budget mexicain, d’un mur frontalier qui isole… le Mexique des Etats-Unis. Le gouvernement de Mexico a aussitôt rigolé et aussitôt oublié. Mais, cette fois-ci, le son de la trompette de jugement de la vie internationale a allègrement et désastreusement franchi le mur du son habituellement en conformité avec la sacralité de la dignité et l’orthodoxie diplomatique. Les sottises hilarantes sont supplantées par les âneries blessantes pour l’honneur des nations faibles mais souveraines. Du jamais vu et du jamais entendu à la Maison-Blanche. Ronald Reagan était intellectuellement indigent et politiquement amateur. Mais la stabilité mentale fut au rendez-vous, durant tout le temps de son Administration. Malgré leurs agressivités militaires respectives en Libye et en Irak, Reagan et les Bush furent globalement corrects ou normaux en politique étrangère, notamment en paroles et en postures.     

Il va sans dire que les propos du merdeux Trump ont provoqué une cascade de colères, de critiques et de réactions. Le Sénégal, pays traditionnellement de modération, de mesure et de pondération diplomatiques, a exprimé, sans fioritures ni fanfreluches, sa désapprobation et son indignation au Président américain, par le canal approprié de son ambassadeur à Dakar. Une réaction sûrement bien pesée et bien assumée quand on sait que sur « l’affaire de Jérusalem », la Représentante des Etats-Unis aux Nations-Unies, Mme Nikki Haley, avait clairement dit que Washington tirerait toutes les conséquences, en matière d’aides financières et autres, envers tout pays ayant voté de façon hostile. Une menace qui ne pouvait pas viser la Russie, la Chine et la France. En vérité, elle ciblait les pays africains membres non permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Sur ce coup précis, le Président Macky Sall n’a pas hésité, étant entendu que le Sénégal n’est pas solitaire face au fou et fougueux Trump. Dakar est blindée, cuirassée et protégée par les voix nombreuses de nations souveraines et celles d’organisations supranationales (UA) qui ont condamné fermement les propos débiles et désobligeants de Donald Trump.  

Du reste, les répliques ne baissent pas en furie. Bien au contraire. La plus percutante et la plus perspicace émane de Mme Michaelle Jean, la Secrétaire générale de l’OIF. Cette illustre Haïtienne a mis le Président Trump au KO. Forte de ses anciennes fonctions de Gouverneure Générale du Canada, nommée par la Reine d’Angleterre, l’actuelle patronne de la Francophonie a tapé sur la table et dans le mille : « Que Donald Trump se souvienne que son pays s’est construit par la sueur, le sang et la force d’hommes et de femmes arrachés à l’Afrique ». Sans commentaires. Sauf pour ajouter que les USA sont le concentré de « la merde » africaine et de la merveille européenne, le tout mâtiné d’excréments latinos. Don Quichotte ou Donald Quichotte ? 

Si Donald Trump, Président des Etats-Unis et chef suprême de l’US Army, de l’US Air Force et de l’US Navy, avait servi sa patrie, sous les drapeaux – à l’instar de John Kennedy, ex-Enseigne de vaisseau dans la Marine – il se serait rappelé, avant de dire des inepties blessantes, que 33% des effectifs de parachutistes (unités de choc) au Vietnam, fussent noirs. Des soldats afro-américains parmi lesquels figurait, en 1968, le Capitaine Colin Powell, futur Général Powell. Enfin, si Donald Trump avait les bagages intellectuels du Professeur Henry Kissinger ou de l’Economiste John Kenneth Galbraith, il aurait assimilé la savante et courageuse leçon de l’Irlandais Oscar Wilde qui a dit sans ambages : « Les Etats-Unis d’Amérique forment un pays qui est passé directement de la barbarie à la décadence sans avoir jamais connu la civilisation ». Une vérité qui ne manque pas de poids. Car des familles irlandaises comme les Kennedy et les Marshall sont à l’origine de la naissance et de l’essor de l’Amérique.  


« Si le lézard pénètre dans le mur, c’est parce que le mur s’est lézardé », répétait inlassablement feu le Président Houphouët Boigny. En effet, le lézard n’a ni crocs ni griffes. Il ne peut donc pas être entreprenant devant un mur en béton. En d’autres termes, ce sont les dirigeants africains qui baissent la garde autour de la souveraineté et de la dignité, rendant ainsi l’Afrique accessible à toute offense. Avant Donald Trump, l’ancien Président français, Nicolas Sarkozy, avait osé dire dans l’amphithéâtre d’une Université – où son hôte Abdoulaye Wade fut doyen de faculté – que « L’Afrique n’était pas suffisamment entrée dans l’Histoire ». Plus récemment, Emmanuel Macron a fait un show arrogant abondamment émaillé d’arguments paternalistes, volontiers tronqués et trompeurs, devant un auditoire jeune et mal armé, face au locataire de l’Elysée. La soif de coopération bilatérale est compréhensible et normale dans un monde globalisé qui bannit et rend impossible toute velléité ou toute tendance à l’autarcie économiquement suicidaire. Par contre, la propension à l’obséquiosité d’Etat est inacceptable. Pire, elle est récompensée par les foucades et les folies d’un Donald Trump.