Professeur Mounirou SY, vous êtes juriste et constitutionnaliste. Le Conseil constitutionnel vient de rendre ses décisions en réponse aux différentes requêtes des coalitions et électeurs individuels portant sur des contestations et demandes relatives à l’irrecevabilité de certaines listes pour participer aux législatives de 2022. Quelle est votre première impression ?
Mon impression à chaud est de deux ordres : D’abord, un ouf de soulagement vu la tension sociale qui régnait depuis quelques jours dans le pays avec des propos tenus et des actes posés par certains responsables politiques. Il est vrai que les prochaines échéances électorales sont très déterminantes, mais la stabilité et la cohésion sociale dépassent de loin ces enjeux. Les décisions du Conseil pourraient susciter un certain apaisement social et installer un climat de sérénité qui permettra à l’avenir d’aborder avec responsabilité et lucidité toutes les opérations qui suivront jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin.
Ainsi, les sages ont permis, d’une part, à la Coalition de YAW de pouvoir corriger sa liste au niveau du département de Dakar ; et d’autre part, à celle de BBY de participer au scrutin à la suite du rejet de la requête de monsieur Déthié Fall demandant qu’il plaise au Conseil de déclarer sa liste irrecevable. Pour les autres rejets, je pense que si on suit l’argumentation très solide du Conseil, on remarquera qu’ils sont justifiés.
Ensuite, un sentiment de fierté. On constate que le Sénégal dispose d’institutions fortes qu’il faudra respecter et arrêter de jeter l’opprobre et le discrédit sur elles lorsque la décision rendue ne correspond pas aux attentes. Encore une fois, le Conseil a tranché avec rigueur et en dehors des sensibilités politiques en argumentant techniquement à partir du droit positif.
Pourtant, d’aucuns pensent que ces décisions sont politiques et que le Conseil aurait cédé à la pression sociale.
Il faut atténuer cet argument avant de le balayer. Le Conseil constitutionnel est une juridiction chargée d’arbitrer le jeu politique en utilisant comme moyen le droit positif et rien que le droit positif. Dans son contentieux, la notion de décision politique n’existe pas. C’est un abus de langage, une vue de l’esprit et une expression galvaudée et totalement fallacieuse. Le Conseil est la plus haute juridiction de ce pays qui rend des décisions frappées de l’autorité de la chose jugée, qui s’appliquent erga omnes et qui s’imposent, en vertu de l’article 92 de la Constitution, "aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles". Pour rejeter l’aspect politique de ces décisions, il suffit juste de s’aventurer à les commenter. Toutes sont rendues sur le fondement du droit avec les visas portant sur la Constitution et des lois et une motivation reposant sur une interprétation rigoureuse et objective des articles du Code électoral. C’est pourquoi, c’est inopérant et imaginaire de qualifier ces décisions de politique. Le Conseil les a rendues par le droit et en bon droit.
Il faut aussi relever que la juridiction constitutionnelle, dans tous les pays, a une vocation de régulateur du jeu politique et de la vie sociale. Ce n’est pas pour rien que ses membres sont appelés "sages". Ce qui signifie qu’ils doivent s’armer de savoir avéré et être au-dessus des contingences politiques en ayant, pour paraphraser le juge Robert Badinter, une obligation d’ingratitude envers les acteurs politiques et de fidélité envers le Peuple et le Droit.
Que pensez-vous de la certitude de l’opposition radicale affirmant que le BBY ne pourra pas participer aux législatives du fait du non-respect de la parité par la liste des suppléants de la liste nationale ?
Là aussi, il faut être très prudent. La liste des candidats n’est pas encore rendue publique par l’arrêté ministériel pour qu’on puisse gloser et subodorer d’une irrecevabilité ou pas d’une quelconque liste. Ce qu’il faut retenir sur ce cas d’espèce est l’exigence d’une analyse profonde et lucide de la réglementation à partir du Code électoral. Et même ici, il faut y aller par une opération chirurgicale interprétative, non pas au scalpel, mais au laser pour aboutir au seul résultat juridique qui vaille.
L’obligation des listes paritaires est posée par l’article L. 149 du Code électoral. Ainsi, il annonce à son alinéa premier que "tout parti politique légalement constitué, toute coalition de partis politiques légalement constitués, peut présenter des listes de candidats". En son alinéa 6, il dispose, entre autres termes, que "…la parité homme-femme s’applique à toutes les listes. Les listes de candidatures, titulaires comme suppléants, doivent être alternativement composées des deux sexes". Le cas soulevé révèle que dans la liste nationale de BBY, celle des suppléants a investi deux femmes aux 43ème et 44ème positions, ce qui, manifestement, viole l’article. L. 149 al. 6 ci-dessus.
Mais, la recevabilité d’une liste dans le Code électoral n’est prévue qu’à l’article L. 178. Et lorsque l’article L. 149 parle de "Listes" au pluriel, l’article L. 178 vise "la liste", donc au singulier. Dès lors, cette disposition établit d’office une séparation rigide des listes et pose l’autonomie de chaque liste. Ainsi, lorsque dans la liste nationale où le scrutin est proportionnel, différente de celles des départements, si la liste des suppléants n’est pas paritaire, c’est seulement celle-ci qui serait déclarée irrecevable en violation de l’article L. 149 qui exige la parité. Cette irrecevabilité sera sans incidence sur les listes départementales et sur celle des titulaires de la liste nationale, qui, à la lecture et à l’analyse minutieuse de l’article L. 178, sont autonomes.
Donc, vous pensez que malgré l’irrecevabilité de la liste des suppléants de la liste nationale, BBY participerait aux législatives ?
Ce n’est pas moi qui le dis, mais l’article L. 178 et son interprétation objective qui en découle. Avec cette disposition, la recevabilité se vérifie par liste. C’est la liste et non les listes qui sont visées. Or, dans la liste proportionnelle (ou nationale), les remplacements des titulaires ne s’effectuent pas de façon horizontale (titulaire-suppliant) mais de manière verticale (Titulaire-titulaire).
Autrement dit, à supposer une liste de 30 candidats, si seuls 16 seront élus dans le scrutin proportionnel, en cas de remplacement du candidat placé à la 7e position, ce n’est pas son suppléant qui serait choisi, mais celui qui viendrait juste après le 16e ou le 17e de la liste des titulaires en raison du sexe du candidat à remplacer. C’est pourquoi, s’il est établi que la liste des suppléants de BBY n’a pas respecté la parité, son irrecevabilité n’entacherait en rien la recevabilité ni de la liste des titulaires de la liste nationale et ni de l’ensemble des listes départementales de ladite coalition.
Votre dernier mot.
Juste lancer un appel au calme et à la sérénité et rappeler qu’aux lendemains des législatives, le soleil se lèvera. Avec les décisions de haute portée juridique prises avec responsabilité et sagesse par le Conseil constitutionnel, le Sénégal doit être fier de ses institutions incarnées par des femmes et des hommes de valeur, soucieux du devenir de leur pays et de la noblesse de leur mission. Nous attendons des "sages" qu’ils disent le droit et des acteurs politiques qu’ils respectent ses décisions. Le peuple, seul détenteur du pouvoir, sera le seul gagnant ou le seul perdant, le cas contraire.
Avec DAKARACTU
Mon impression à chaud est de deux ordres : D’abord, un ouf de soulagement vu la tension sociale qui régnait depuis quelques jours dans le pays avec des propos tenus et des actes posés par certains responsables politiques. Il est vrai que les prochaines échéances électorales sont très déterminantes, mais la stabilité et la cohésion sociale dépassent de loin ces enjeux. Les décisions du Conseil pourraient susciter un certain apaisement social et installer un climat de sérénité qui permettra à l’avenir d’aborder avec responsabilité et lucidité toutes les opérations qui suivront jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin.
Ainsi, les sages ont permis, d’une part, à la Coalition de YAW de pouvoir corriger sa liste au niveau du département de Dakar ; et d’autre part, à celle de BBY de participer au scrutin à la suite du rejet de la requête de monsieur Déthié Fall demandant qu’il plaise au Conseil de déclarer sa liste irrecevable. Pour les autres rejets, je pense que si on suit l’argumentation très solide du Conseil, on remarquera qu’ils sont justifiés.
Ensuite, un sentiment de fierté. On constate que le Sénégal dispose d’institutions fortes qu’il faudra respecter et arrêter de jeter l’opprobre et le discrédit sur elles lorsque la décision rendue ne correspond pas aux attentes. Encore une fois, le Conseil a tranché avec rigueur et en dehors des sensibilités politiques en argumentant techniquement à partir du droit positif.
Il faut atténuer cet argument avant de le balayer. Le Conseil constitutionnel est une juridiction chargée d’arbitrer le jeu politique en utilisant comme moyen le droit positif et rien que le droit positif. Dans son contentieux, la notion de décision politique n’existe pas. C’est un abus de langage, une vue de l’esprit et une expression galvaudée et totalement fallacieuse. Le Conseil est la plus haute juridiction de ce pays qui rend des décisions frappées de l’autorité de la chose jugée, qui s’appliquent erga omnes et qui s’imposent, en vertu de l’article 92 de la Constitution, "aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles". Pour rejeter l’aspect politique de ces décisions, il suffit juste de s’aventurer à les commenter. Toutes sont rendues sur le fondement du droit avec les visas portant sur la Constitution et des lois et une motivation reposant sur une interprétation rigoureuse et objective des articles du Code électoral. C’est pourquoi, c’est inopérant et imaginaire de qualifier ces décisions de politique. Le Conseil les a rendues par le droit et en bon droit.
Il faut aussi relever que la juridiction constitutionnelle, dans tous les pays, a une vocation de régulateur du jeu politique et de la vie sociale. Ce n’est pas pour rien que ses membres sont appelés "sages". Ce qui signifie qu’ils doivent s’armer de savoir avéré et être au-dessus des contingences politiques en ayant, pour paraphraser le juge Robert Badinter, une obligation d’ingratitude envers les acteurs politiques et de fidélité envers le Peuple et le Droit.
Que pensez-vous de la certitude de l’opposition radicale affirmant que le BBY ne pourra pas participer aux législatives du fait du non-respect de la parité par la liste des suppléants de la liste nationale ?
Là aussi, il faut être très prudent. La liste des candidats n’est pas encore rendue publique par l’arrêté ministériel pour qu’on puisse gloser et subodorer d’une irrecevabilité ou pas d’une quelconque liste. Ce qu’il faut retenir sur ce cas d’espèce est l’exigence d’une analyse profonde et lucide de la réglementation à partir du Code électoral. Et même ici, il faut y aller par une opération chirurgicale interprétative, non pas au scalpel, mais au laser pour aboutir au seul résultat juridique qui vaille.
L’obligation des listes paritaires est posée par l’article L. 149 du Code électoral. Ainsi, il annonce à son alinéa premier que "tout parti politique légalement constitué, toute coalition de partis politiques légalement constitués, peut présenter des listes de candidats". En son alinéa 6, il dispose, entre autres termes, que "…la parité homme-femme s’applique à toutes les listes. Les listes de candidatures, titulaires comme suppléants, doivent être alternativement composées des deux sexes". Le cas soulevé révèle que dans la liste nationale de BBY, celle des suppléants a investi deux femmes aux 43ème et 44ème positions, ce qui, manifestement, viole l’article. L. 149 al. 6 ci-dessus.
Mais, la recevabilité d’une liste dans le Code électoral n’est prévue qu’à l’article L. 178. Et lorsque l’article L. 149 parle de "Listes" au pluriel, l’article L. 178 vise "la liste", donc au singulier. Dès lors, cette disposition établit d’office une séparation rigide des listes et pose l’autonomie de chaque liste. Ainsi, lorsque dans la liste nationale où le scrutin est proportionnel, différente de celles des départements, si la liste des suppléants n’est pas paritaire, c’est seulement celle-ci qui serait déclarée irrecevable en violation de l’article L. 149 qui exige la parité. Cette irrecevabilité sera sans incidence sur les listes départementales et sur celle des titulaires de la liste nationale, qui, à la lecture et à l’analyse minutieuse de l’article L. 178, sont autonomes.
Ce n’est pas moi qui le dis, mais l’article L. 178 et son interprétation objective qui en découle. Avec cette disposition, la recevabilité se vérifie par liste. C’est la liste et non les listes qui sont visées. Or, dans la liste proportionnelle (ou nationale), les remplacements des titulaires ne s’effectuent pas de façon horizontale (titulaire-suppliant) mais de manière verticale (Titulaire-titulaire).
Autrement dit, à supposer une liste de 30 candidats, si seuls 16 seront élus dans le scrutin proportionnel, en cas de remplacement du candidat placé à la 7e position, ce n’est pas son suppléant qui serait choisi, mais celui qui viendrait juste après le 16e ou le 17e de la liste des titulaires en raison du sexe du candidat à remplacer. C’est pourquoi, s’il est établi que la liste des suppléants de BBY n’a pas respecté la parité, son irrecevabilité n’entacherait en rien la recevabilité ni de la liste des titulaires de la liste nationale et ni de l’ensemble des listes départementales de ladite coalition.
Votre dernier mot.
Juste lancer un appel au calme et à la sérénité et rappeler qu’aux lendemains des législatives, le soleil se lèvera. Avec les décisions de haute portée juridique prises avec responsabilité et sagesse par le Conseil constitutionnel, le Sénégal doit être fier de ses institutions incarnées par des femmes et des hommes de valeur, soucieux du devenir de leur pays et de la noblesse de leur mission. Nous attendons des "sages" qu’ils disent le droit et des acteurs politiques qu’ils respectent ses décisions. Le peuple, seul détenteur du pouvoir, sera le seul gagnant ou le seul perdant, le cas contraire.
Avec DAKARACTU