Souffrant d'un ulcère à l'estomac et d'hypertension artérielle, il avait été hospitalisé il y a quelques jours dans la capitale qatarienne, d'après l'agence Algérie Presse Service (APS)
Devenu le chef de file de l’islam politique dans son pays après l’avoir porté au grand jour, Madani avait quitté l’Algérie en 2003 après avoir été libéré de prison où il avait purgé une peine de douze ans pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Il avait été aussi interdit de toute activité politique.
Cela ne l'avait pas empêché, depuis son exil dans la Golfe, d'appeler en 2012 les Algériens à boycotter les législatives, organisées selon lui par "un régime illégitime". L'année d'avant, alors que les Printemps arabes mettaient des partis islamistes sur le devant de la scène, les députés algériens avaient voté une loi pour faire barrage à un retour du Fis: elle interdit notamment à toute personne "responsable de l'exploitation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale (la guerre civile) de fonder un parti politique ou de participer à sa création".
Un infatigable prédicateur
Né en 1931 à Sidi Okba, une palmeraie de l’Est algérien, Abassi Madani suit les enseignements d’une école coranique. En novembre 1954, il participe au déclenchement de la guerre d’indépendance contre le pouvoir colonial français, mais rapidement arrêté après une tentative d’attentat contre la radio d’Alger, il passera les sept ans du conflit en prison.
Licencié en philosophie, il décroche en Grande-Bretagne, grâce à une bourse, un doctorat en pédagogie et sciences de l’éducation. Professeur de psycho-pédagogie à l’université d’Alger, Abassi Madani milite tôt - dans une Algérie régie par le parti unique - pour un islam politique, dont il devient un chef de file et qui lui vaut un séjour d’un an en prison en 1982.
Après avoir transformé les mosquées en tribunes politiques, Madani et quelques autres font sortir l’islam politique de la clandestinité à la faveur des réformes - dont le multipartisme - lancées après les émeutes d’octobre 1988, en créant en 1989 le Front islamique du salut (Fis) : objectif du parti l’instauration d’un État théocratique en Algérie, le premier État islamique du Maghreb. Madani en prend la tête, assisté d’un jeune bras droit Ali Belhadj de 25 ans son cadet.
Prédicateur infatigable, courant d’une mosquée à l’autre, Madani est devenu le chef incontesté, adulé par des milliers de fidèles, de l’islam politique en Algérie. Décrit comme un politicien rusé, l’homme, barbe rousse taillée en collier, est un orateur médiocre - mais persuasif - au débit lent et à l’accent nasillard, qui préfère laisser à Ali Belhadj le soin de haranguer les foules par ses prêches incendiaires. Il joue du contraste avec le caractère exalté de ce dernier pour apparaître comme un modéré.
Mais certaines formules qui l’ont rendu célèbre, telle que "L’islam n’est pas un self-service, c’est un tout", font dire à ses détracteurs que ses engagements de respecter la démocratie et le pluralisme si le Fis conquérait le pouvoir, sont de "pures tactiques".
La dissolution du Fis
Après la large victoire, en juin 1990, du Fis aux élections locales (le premier scrutin pluraliste de l’histoire de l’Algérie), Madani se comporte en successeur virtuel du président Chadli Bendjedid, en fin de mandat. Et présente son parti comme le "dépositaire de la légitimité populaire" contre l’ex-parti unique, le Front de libération nationale (FLN), usé par 30 ans de pouvoir sans partage. Son appel à une "grève générale illimitée" en mai-juin 1991 pour forcer le président Bendjedid à organiser des législatives anticipées tourne à l’épreuve de force et dégénère en affrontements entre forces de l’ordre et manifestants. L’armée décrète l’état de siège le 5 juin 1991 et le fait arrêter avec Ali Belhadj.
C’est depuis sa cellule, que M. Madani assiste à la fin de cette même année à la victoire du FIS au premier tour des législatives qui annonce un raz-de-marée au second, à l’annulation du scrutin et la dissolution de son parti début 1992.
Cette dissolution du Fis interrompt le processus démocratique et plonge le pays dans une décennie de guerre civile, groupes islamistes armés contre forces de sécurité, mais dont les civils figureront en nombre parmi les 200 000 morts officiels du conflit, victimes notamment des attentats ou massacres attribués aux maquis islamistes.
En 1999, Madani avait dit appuyer la décision de l’Armée islamique du salut (AIS), le bras armé du Fis, qui annonçait déposer les armes. A sa libération en 2003, il avait appelé lui-même à la fin de la lutte armée, qu'il avait pourtant invoquée en 1992 après l'annulation du scrutin en cours.