Des mensonges par grosses poignées
Les débats politiques sont souvent propices à la prolifération d'intox en direct. Dans ce petit panthéon spécifique, la prestation de Marine Le Pen occupera une place de choix. Durant toute l'émission, la candidate du FN aura accumulé un nombre impressionnant de mensonges sur son adversaire. Avec toujours la même méthode : partir d'un fait réel, qu'elle tord et déforme pour parvenir à critiquer son concurrent.
Quelques exemples ? A 21h19, la candidate du FN accuse Emmanuel Macron d'avoir vendu la société STX, propriétaire des chantiers de l'Atlantique, "aux Italiens". Sauf que le chantier naval a été vendu à la société italienne Fincantiera par... son propriétaire, le groupe sud-coréen STX, en avril 2017. Il y a un mois, donc. Emmanuel Macron n'était plus ministre de l'Economie. Dans cette négociation, l'Etat, actionnaire à 33,3%, a tenté de pousser la reprise par un groupe français, en vain, faute de groupe intéressé.
A 21h34, Marine Le Pen accuse Emmanuel Macron d'être favorable à la gestation pour autrui : "Dans votre société, tout est à vendre et tout est à acheter. Les hommes, les ventres sont à vendre et à acheter, comme Monsieur Bergé qui est un de vos soutiens, nous l'a expliqué". Sauf que si l'homme d'affaires est effectivement pro-GPA, le candidat s'est toujours opposé à cette mesure :"Je suis totalement contre la GPA. Je l'ai dit et redit", objecte Emmanuel Macron.
A 22h01, elle s'emporte. Pas de doute, pour elle, Emmanuel Macron est coupable d'accointances avec le radicalisme islamiste. "Hani Ramadan, qui est pour la lapidation des femmes, vous a soutenu", assène-t-elle. Puis, elle évoque la proximité supposée entre Emmanuel Macron et l'UOIF, organisation musulmane conservatrice et traditionaliste. "Vous êtes soumis à elle, ils vous tiennent". Pour tenir ces propos, Marine Le Pen se base d'abord sur... un message Twitter, relevé immédiatement par les petites mains frontistes, dans lequel Hani Ramadan écrit : "Plutôt Macron que Le Pen". Un peu maigre pour en conclure à une complicité active entre le fondateur d'En Marche et les islamistes...
Sur l'UOIF, Emmanuel Macron nie toute proximité : "Je ne soutiens pas l'UOIF". Avant de préciser sa pensée et d'envoyer à son tour un scud à son adversaire : "Si l'UOIF prononce, invite, mène des activités contraires à la loi de la République, je la ferai interdire. Je ne connais pas les dirigeants de l'UOIF, je ne les ai jamais rencontrés, et à ma connaissance le dernier parti politique, qui a eu maille à partir avec eux et qui les a fait participer au débat, c'est le Front national avec Louis Aliot".
Louis Aliot, député européen FN et compagnon de Marine Le Pen, a en effet déjà débattu avec des représentants de l'UOIF, comme certains cadres du FN.
Le Toc du trifouillage dans les dossiers
Marine Le Pen est venue avec toute une pile de dossiers de toutes les couleurs. Des fiches qu'elle ressort à intervalles réguliers, mais pas toujours à bon escient, comme le montre sa confusion sur SFR et Alstom. Surtout, la candidate s'adonnera pendant tout le débat à la manie de trifouiller dans ses dossiers, donnant le sentiment de ne pas maîtriser son sujet ni son stress. Le contraste avec son adversaire, qui devise sans aucune feuille ou presque devant lui et reste calme, accentue cette impression d'agitation.
Le craquage total
C'est l'Objet télévisuel non identifié (OTNI) du débat. Il est 23h20 quand survient cette scène lunaire, interprétée par Marine Le Pen. Les échanges - extrêmement houleux - portent alors sur la fracture entre la France d'en haut et la France d'en bas. Emmanuel Macron tente d'expliquer qu'il ne méprise pas les électeurs du FN : "Les Françaises et les Français qui ont voté pour vous, je les ai toujours respectés. Je n'ai jamais fait de leçon de morale". Cette dernière phrase provoque chez la patronne du parti d'extrême droite une réaction étonnante. Chorégraphie circulaire avec la main droite, jeu d'épaules et roulement d'yeux, Marine Le Pen improvise un stand up : "Ce n'est pas eux que vous visiez quand vous disiez : "Regardez, ils sont là, dans les campagnes, dans les villes... Ils sont sur les réseaux sociaux"". Ce moment étrange se termine sur un long rire sardonique de la candidate. Son adversaire observe, effaré.
Marianne