Depuis plusieurs mois, principalement depuis les dernières élections législatives, des amis, y compris de très proches pour qui j’ai beaucoup de respect, me demandent de tourner la page des forfaits de la longue gouvernance de l’ancien président Wade. Leur principal argument, c’est qu’il reste encore populaire, et peut contribuer à faire battre le président-politicien en février ou en mars 2019. J’ai essayé, mais sans succès : on peut difficilement passer l’éponge sur les forfaits, les scandales gravissimes qui ont jalonné sa longue gouvernance.
Dans mes livres comme dans mes contributions, je rappelle ce mépris qu’il a toujours affiché à notre endroit, mépris ainsi décliné : «Le Sénégalais a de la peine à se souvenir de son dîner de la veille, et ne croit qu’à l’argent et aux honneurs.» Et, c’est à partir de cette conception singulière et peu valorisante pour le peuple sénégalais, qu’il nous a gouvernés pendant douze longues années. Nous serions donc amnésiques et aurions tous un prix. Fort de cette certitude, il passait allègrement d’un scandale à un autre, et se déplaçait intra comme extra muros avec des mallettes bourrées de fric.
Tirant bien plus vite que Lucky Luc, il distribuait à tout bout de champ des centaines de millions de francs à une catégorie de Sénégalais bien ciblés, de qui il pouvait attendre un coup de pouce électoral : hauts magistrats, officiers supérieurs et généraux des Forces de Sécurité, ministres, autorités administratives (gouverneurs, préfets), élus locaux et nationaux, chefs religieux, etc.
Ces mêmes privilégiés tirés sur le volet, bénéficiaient aussi de parcelles de terrain à l’occasion des lotissements dans les zones les plus courues de Dakar : réserves foncières du CICES, du Stade Léopold-Sédar-Senghor, de l’Aéroport international de Dakar, domaine maritime, etc. Le Sénégalais moyen ne retenait guère son attention. Sa «générosité» coupable, sélective et manifestement injuste est à l’origine des différentes tensions qui chauffaient le front social et que nous traînons encore, longtemps après son départ du pouvoir.
On veut nous demander d’être sourds, aveugles et indifférents aux graves forfaits dont l’ancien président-politicien s’est rendu coupable entre le 2 avril 2000 et le 2 avril 2012. Si on tourne aussi facilement la page de ses crimes, personne ne devrait plus être poursuivi. J’ai toujours refusé de tomber dans ce travers et, chaque fois que l’opportunité m’a été donnée, j’ai fait remonter en surface ces scandales que l’on veut passer aujourd’hui par pertes et profits, sous le prétexte que son auteur peut contribuer à faire battre son successeur en février ou en mars 2019.
Scandales graves, dont le moins grave est infiniment plus grave que l’Affaire du Watergate qui avait valu au président Richard Nixon, sa démission forcée en 1974. J’affirmais souvent avec force, que si nous vivions dans une vraie démocratie, avec une justice indépendante et des citoyens informés, conscients de leurs responsabilités et, partant, capables d’indignation, le «créateur de milliardaires» serait dans le meilleur des cas destitué et, dans le pire, traduit devant la Haute Cour de Justice pour haute trahison. Peut-être d’ailleurs, n’aurait-il jamais eu l’opportunité de solliciter un second mandat en 2007, encore moins un troisième à l’âge de 88 ans.
On peut aussi donner l’exemple de l’ancien président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, qui a présidé son pays de 2003 à 2010. Accusé de corruption et de blanchiment d’argent, celui que l’on considérait comme «l’icône de la gauche» a été condamné, en première instance, le mercredi 12 juillet 2017, à neuf ans et six mois de prison. Il a été reconnu coupable d’avoir accepté l’équivalent d’un million d’euros (dont un appartement dans une station balnéaire de Sao Paulo) de la part d’une entreprise d’ingénierie. Il a fait évidemment appel de sa condamnation. Celle qui lui a succédé, Dilma Roussef, a été aussi destituée pour «avoir manipulé, maquillé les comptes publics pour cacher les déficits publics et se faire réélire en 2014». Cette faute avait provoqué une vague d’indignation populaire qui l’a emportée.
Une autre présidente, celle de la Corée du Sud, Park Geun-Hye, a été destituée le 12 mai 2017 par la Cour Constitutionnelle, qui confirmait la destitution votée par l’Assemblée nationale en décembre 2016. Que mes compatriotes tendent bien les oreilles ! Les juges ont sanctionné «le fait que Mme Park avait enfreint la loi en permettant à sa confidente secrète, Choi Soon-Sil, de se mêler des affaires de l’Etat et qu’elle avait contrevenu aux règles de la Fonction publique». Qu’on est loin, vraiment loin du Sénégal, où un président de la République peut tout se permettre, et sans frais !
Un tout dernier exemple de bonne gouvernance, qui nous éloigne encore plus du Sénégal : en novembre 1995, Mona Sahlin, numéro 2 du Gouvernement social-démocrate suédois, a payé quelques achats, dont une barre de chocolat, avec sa carte bancaire professionnelle. Elle s’était expliquée et avait remboursé, mais rien n’y fit : l’opinion publique ne l’avait pas entendu de cette oreille, et elle finit par démissionner.
Oh ! J’en entends déjà qui me rétorqueront que je suis naïf, que je suis un idéaliste, que ce n’est pas réaliste de comparer le Sénégal aux pays scandinaves. Pas du tout ! Je ne suis ni naïf, ni idéaliste. J’ai bien la tête sur les épaules et sais faire lucidement la part des choses. La bonne gouvernance est une valeur universelle, à laquelle aspirent tous les peuples. Plus près de nous, les Iles du Cap Vert, et un peu plus loin, le Botswana, font des efforts importants pour se rapprocher de ces pays exemplaires que sont les Pays scandinaves et de nombreux autres. Reprenons-nous, sortons de notre torpeur et soyons plus exigeants vis-à-vis de nos gouvernants ! Ils profitent de notre indolence pour piller sans état d’âme nos maigres ressources nationales.
Les fautes qui ont valu la prison ferme à l’ancien président Lula da Silva, celles qui ont poussé à la démission son successeur Dilma Roussef et l’ancienne présidente sud-coréenne, ainsi que l’ancien numéro 2 du Gouvernement social-démocrate suédois, sont pratiquement des peccadilles par rapport aux graves forfaits que l’ancien président Wade a accumulés pendant douze longues années, sans jamais avoir été inquiété le moins du monde.
Aujourd’hui, on veut nous le présenter comme un héros, nous faire oublier ses crimes (je pèse mes mots) et nous préparer à sa réconciliation avec son ex-fils, l’autre pôle de la mal-gouvernance, sur notre dos. Il m’est difficile, très difficile de me laisser entraîner dans ce jeu. Dans quelques prochaines contributions, de la taille de celle-ci, je passerai successivement en revue ses plus lourds forfaits, certainement déjà connus d’une bonne partie du public, mais qu’il faut rappeler sans cesse. Le vieil enseignant que je suis croit à la vertu du rappel, dont le prochain sera dédié au pillage systématique de nos maigres réserves foncières, par le président-politicien Wade et son clan.
Mody Niang
Dans mes livres comme dans mes contributions, je rappelle ce mépris qu’il a toujours affiché à notre endroit, mépris ainsi décliné : «Le Sénégalais a de la peine à se souvenir de son dîner de la veille, et ne croit qu’à l’argent et aux honneurs.» Et, c’est à partir de cette conception singulière et peu valorisante pour le peuple sénégalais, qu’il nous a gouvernés pendant douze longues années. Nous serions donc amnésiques et aurions tous un prix. Fort de cette certitude, il passait allègrement d’un scandale à un autre, et se déplaçait intra comme extra muros avec des mallettes bourrées de fric.
Tirant bien plus vite que Lucky Luc, il distribuait à tout bout de champ des centaines de millions de francs à une catégorie de Sénégalais bien ciblés, de qui il pouvait attendre un coup de pouce électoral : hauts magistrats, officiers supérieurs et généraux des Forces de Sécurité, ministres, autorités administratives (gouverneurs, préfets), élus locaux et nationaux, chefs religieux, etc.
Ces mêmes privilégiés tirés sur le volet, bénéficiaient aussi de parcelles de terrain à l’occasion des lotissements dans les zones les plus courues de Dakar : réserves foncières du CICES, du Stade Léopold-Sédar-Senghor, de l’Aéroport international de Dakar, domaine maritime, etc. Le Sénégalais moyen ne retenait guère son attention. Sa «générosité» coupable, sélective et manifestement injuste est à l’origine des différentes tensions qui chauffaient le front social et que nous traînons encore, longtemps après son départ du pouvoir.
On veut nous demander d’être sourds, aveugles et indifférents aux graves forfaits dont l’ancien président-politicien s’est rendu coupable entre le 2 avril 2000 et le 2 avril 2012. Si on tourne aussi facilement la page de ses crimes, personne ne devrait plus être poursuivi. J’ai toujours refusé de tomber dans ce travers et, chaque fois que l’opportunité m’a été donnée, j’ai fait remonter en surface ces scandales que l’on veut passer aujourd’hui par pertes et profits, sous le prétexte que son auteur peut contribuer à faire battre son successeur en février ou en mars 2019.
Scandales graves, dont le moins grave est infiniment plus grave que l’Affaire du Watergate qui avait valu au président Richard Nixon, sa démission forcée en 1974. J’affirmais souvent avec force, que si nous vivions dans une vraie démocratie, avec une justice indépendante et des citoyens informés, conscients de leurs responsabilités et, partant, capables d’indignation, le «créateur de milliardaires» serait dans le meilleur des cas destitué et, dans le pire, traduit devant la Haute Cour de Justice pour haute trahison. Peut-être d’ailleurs, n’aurait-il jamais eu l’opportunité de solliciter un second mandat en 2007, encore moins un troisième à l’âge de 88 ans.
On peut aussi donner l’exemple de l’ancien président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, qui a présidé son pays de 2003 à 2010. Accusé de corruption et de blanchiment d’argent, celui que l’on considérait comme «l’icône de la gauche» a été condamné, en première instance, le mercredi 12 juillet 2017, à neuf ans et six mois de prison. Il a été reconnu coupable d’avoir accepté l’équivalent d’un million d’euros (dont un appartement dans une station balnéaire de Sao Paulo) de la part d’une entreprise d’ingénierie. Il a fait évidemment appel de sa condamnation. Celle qui lui a succédé, Dilma Roussef, a été aussi destituée pour «avoir manipulé, maquillé les comptes publics pour cacher les déficits publics et se faire réélire en 2014». Cette faute avait provoqué une vague d’indignation populaire qui l’a emportée.
Une autre présidente, celle de la Corée du Sud, Park Geun-Hye, a été destituée le 12 mai 2017 par la Cour Constitutionnelle, qui confirmait la destitution votée par l’Assemblée nationale en décembre 2016. Que mes compatriotes tendent bien les oreilles ! Les juges ont sanctionné «le fait que Mme Park avait enfreint la loi en permettant à sa confidente secrète, Choi Soon-Sil, de se mêler des affaires de l’Etat et qu’elle avait contrevenu aux règles de la Fonction publique». Qu’on est loin, vraiment loin du Sénégal, où un président de la République peut tout se permettre, et sans frais !
Un tout dernier exemple de bonne gouvernance, qui nous éloigne encore plus du Sénégal : en novembre 1995, Mona Sahlin, numéro 2 du Gouvernement social-démocrate suédois, a payé quelques achats, dont une barre de chocolat, avec sa carte bancaire professionnelle. Elle s’était expliquée et avait remboursé, mais rien n’y fit : l’opinion publique ne l’avait pas entendu de cette oreille, et elle finit par démissionner.
Oh ! J’en entends déjà qui me rétorqueront que je suis naïf, que je suis un idéaliste, que ce n’est pas réaliste de comparer le Sénégal aux pays scandinaves. Pas du tout ! Je ne suis ni naïf, ni idéaliste. J’ai bien la tête sur les épaules et sais faire lucidement la part des choses. La bonne gouvernance est une valeur universelle, à laquelle aspirent tous les peuples. Plus près de nous, les Iles du Cap Vert, et un peu plus loin, le Botswana, font des efforts importants pour se rapprocher de ces pays exemplaires que sont les Pays scandinaves et de nombreux autres. Reprenons-nous, sortons de notre torpeur et soyons plus exigeants vis-à-vis de nos gouvernants ! Ils profitent de notre indolence pour piller sans état d’âme nos maigres ressources nationales.
Les fautes qui ont valu la prison ferme à l’ancien président Lula da Silva, celles qui ont poussé à la démission son successeur Dilma Roussef et l’ancienne présidente sud-coréenne, ainsi que l’ancien numéro 2 du Gouvernement social-démocrate suédois, sont pratiquement des peccadilles par rapport aux graves forfaits que l’ancien président Wade a accumulés pendant douze longues années, sans jamais avoir été inquiété le moins du monde.
Aujourd’hui, on veut nous le présenter comme un héros, nous faire oublier ses crimes (je pèse mes mots) et nous préparer à sa réconciliation avec son ex-fils, l’autre pôle de la mal-gouvernance, sur notre dos. Il m’est difficile, très difficile de me laisser entraîner dans ce jeu. Dans quelques prochaines contributions, de la taille de celle-ci, je passerai successivement en revue ses plus lourds forfaits, certainement déjà connus d’une bonne partie du public, mais qu’il faut rappeler sans cesse. Le vieil enseignant que je suis croit à la vertu du rappel, dont le prochain sera dédié au pillage systématique de nos maigres réserves foncières, par le président-politicien Wade et son clan.
Mody Niang