Chronique économique d’Abdoul Aly Kane : Le défi de la mise en service du Ter

POLITIQUE
Samedi 1 Janvier 2022

Après son inauguration le 14 janvier 2019, le Train Express Régional (TER) a été mis en service lundi dernier 27 décembre 2021 avec le même cérémonial. Le président de la République a rehaussé de sa présence les deux cérémonies, avec ses collaborateurs et autres laudateurs, dans le folklore habituel qui accompagne chacune de ses sorties.


Il s’est agi d’une double inauguration en trois ans pour ce projet « phare » du Plan Sénégal Émergent (PSE), même s’il est difficile aujourd’hui de mesurer son apport direct à la croissance économique. Les autorités présentent en tout cas le TER comme une réalisation innovante qui va dé- congestionner le trafic urbain, comme l’autoroute à péage est censée le faire, et comme le fera sans doute le BRT, dont les gains sont à chercher du côté de la compensation des pertes économiques et financières subies du fait d’embouteillages interminables et la réduction des accidents de la route. C’est le lieu de soulever la question de l’efficience des projets routiers jusque-là réalisés.

La multiplication des investissements réalisés sur emprunts pose le problème de l’efficience des choix économiques faits dans le secteur routier. Malgré les débours consacrés à ce secteur, la route est encore étranglée par les embouteillages. Il y a trop de voiture clame-t-on ici et là ! Selon la Banque mondiale, la perte économique imputable au défaut de mobilité urbaine se chiffrerait à une centaine de milliards de F CFA. La confirmant, le Président Macky SALL indique qu’il y a 40 000 nouvelles immatriculations de véhicules par an, ce qui serait excessif.

Les projets routiers réalisés sur emprunt se sont succédé à un rythme très important ces 20 dernières années, évinçant du même coup le développement des investissements dans d’autres secteurs. Il est vrai que les besoins de transport suivent la courbe du développement rapide de la population urbaine, mais il demeure que le trafic routier est étranglé par l’arrivée croissante et soutenue de voitures d’occasion importées, du fait de l’assouplissement des conditions d’entrée (âge limite des véhicules fixé à 8 ans au lieu de 5 précédemment). Si le relèvement de l’âge des véhicules d’importation a eu un effet positif sur le plan des recettes douanières (taxes douanières), il reste qu’il a provoqué la dé- gradation prématurée des infrastructures devenues sous dimensionnées avant terme et, par conséquent, entraînant un recours également prématuré aux emprunts de renouvellement, le tout se cumulant avec des emprunts de même nature non encore échus.

 Du côté de l’offre de transport, le TER va introduire davantage de concurrence dans un secteur contrôlé par les entreprises informelles du secteur (Ndiaga Ndiaye, taxis et clandos), ce qui va rendre nécessaire une concertation permanente entre les acteurs du secteur. Son impact sur l’économie sera global et réel, mais difficilement mesurable. En réalité, la mise en service du TER est ressentie par le chef de l’Etat comme une victoire personnelle compte tenu de la suspicion qui a prévalu sur la transparence du processus d’évaluation des coûts d’investissements, soient 780 milliards FCFA hors taxes, considérés comme surestimés (le coût unitaire du km réalisé revenant à 20 milliards de FCFA) par rapport aux réalisations de plus grande envergure, tels les TGV au Maroc et au Nigéria.

Rappelons que le TER a été financé par emprunts ainsi répartis :

- Banques de développement (BAD, BID) : 317 milliards FCFA

- AFD et Trésor français : 131,6 milliards FCFA,

-Appui budgétaire français : 65 milliards FCFA

L’Etat du Sénégal aurait fourni le complément c’est-à-dire environ 266,4 milliards FCFA. Ayant été financés par emprunts de l’ETAT du Sénégal auprès de ces institutions à des conditions douces (2 % de taux d’intérêts annuels sur 25 ans), le TER et les infrastructures connexes sont ainsi comptabilisées dans le patrimoine public. Avec cette mise en service, l’attention doit être déplacée de la question du coût de l’infrastructure et de l’équipement (certes important parce que touchant à la bonne gestion des ressources publiques), vers les conditions optimales de la gestion et de l’exploitation du service public. L’important aujourd’hui est relatif à l’exploitation et à la maintenance des infrastructures, du ressort de la SETER, mais aussi à la gestion du patrimoine, au contrôle de l’exploitation et de la maintenance relevant de la mission de la SENTER.

Rappelons que la SETER est une filiale de la société française SNCF, choisie par l’Etat comme partenaire technique chargé de la réalisation des infrastructures, du choix des équipements et de la maintenance. La SENTER est une société sénégalaise, au capital détenu à 100 % par l’Etat du Sénégal. Il s’agit d’un contrat de partenariat public/privé (PPP), dans le cadre d’une dé- légation de service public de transport ferroviaire. L’Etat donne mission à une société nationale de rechercher les financements d’infrastructures auprès des institutions financières à des conditions en rapport avec la nature du service, et de contrôler l’exploitation confiée à une société privée ayant le savoir-faire requis dans le secteur d’activité, aux plans particuliers technique, administratif et commercial.

Au plan de la gestion financière, une part des revenus tirés de l’exploitation sera versée par la SETER à la SENTER, comme redevance due au titre de l’utilisation des trains, des rails, du matériel et des infrastructures. Cette redevance, la SENTER la consacrera pour une large part au remboursement de la dette ayant servi à financer le projet, mais également à la couverture de ses charges de fonctionnement et autres besoins en investissements propres. La question du partage du chiffre d’affaires est donc sensible dans la mesure où la société d’exploitation (SETER) va vouloir couvrir l’ensemble de ses charges, et dégager une marge substantielle pour la couverture de ses dépenses de matériels, la prise en charge de frais d’assistance technique à la SNCF et le versement de dividendes à ses actionnaires.

Le Sénégal dans l’ère des trains rapides !

Pour la répartition du chiffre d’affaires, l’équité adossée au profil d’exploitation des deux entités devra prévaloir. C’est pourquoi, la proposition de prix unitaire d’exploitation faite par l’exploitant devra être finement analysée, et tenir grandement compte de la prise de risque financier par l’Etat, pour une équitable répartition des revenus. Les intérêts de ces structures pourront d’autant plus diverger que le prix moyen du voyage TER serait fixé bas pour tenir compte de l’aspect social de la mission. Dès lors, l’Etat, garant de l’équilibre financier de l’activité, pourrait être contraint de subventionner. De fait, lors du Conseil des ministres de mercredi dernier, le président de la République a déclaré que l’Etat allait effectivement subventionner le prix du ticket de TER.

Par la réalisation de ce dernier, le Sénégal entre dans l’ère des trains rapides rendus nécessaires par la forte croissance de la population urbaine et l’encombrement routier. Un tel type de train, ce n’est pourtant pas une première en Afrique comme le chantent les laudateurs du président de la République. Le Maroc a inauguré en novembre le premier train à grande vitesse d’Afrique (320 km/h), résultant d’un partenariat entre l’Office national des chemins de fer et la SNCF. En 2016, le Nigeria avait mis en service le premier train à « grande vitesse » d’Afrique subsaharienne, reliant la ville d’Abuja à celle de Kaduna, soit 200 km de distance. Au niveau de l’Union Africaine, la mise en place d’un réseau intégré de trains à grande vitesse en Afrique est considérée comme un levier indispensable pour la réussite de la ZLECAf.

Fort de l’expérience du TER (160 km/h) orienté vers la mobilité en intra, le Sénégal pourrait, demain, rejoindre plus aisément le réseau africain de trains à grande vitesse en constitution, afin de donner plus d’ampleur et d’efficacité au commerce intra-africain source de croissance économique. Le TER s’est fait grâce à la dette. Sans pré- juger de la pertinence du choix financier de l’Etat et de la transparence du processus global de réalisation des investissements, il s’agit d’une dette adossée à des revenus prévisionnels puisqu’il s’agit d’une infrastructure marchande. La question sera de savoir si la dette de 780 milliards pourra être remboursée en 25 ans (intérêts non compris), si l’on que les annuités ne seront pas inférieures à 31 milliards de FCFA par an, soit le montant du chiffre d’affaires annuel estimé (base : tarif moyen de 750 FCFA pour 115 000 voyages par jour, soit 30 milliards pour une année de 360 jours).

En dépit de ces interrogations, le TER est, aujourd’hui, partie intégrante du patrimoine public. Même en cas d’alternance politique, il serait impossible politiquement de le « dé- gager ». Les autorités actuelles ont tenté de « diaboliser » le Monument de la Renaissance Africaine d’Abdoulaye WADE, qui souffre encore de l’absence de projet réel de son insertion dans les secteurs du tourisme et de la culture. Ce monument est devenu, dans les faits, incontournable dans les trajets touristiques et dans les photos souvenirs ; même les sportifs en ont fait un lieu de performance avec la montée de ses marches. La jeunesse s’est appropriée cet ouvrage, les hommes de culture aussi.

Pour en revenir au TER, une attention particulière devrait être apportée sur les questions de la redevance à relier aux tarifs annoncés, du mode d’amortissement des infrastructures à pratiquer, du contrôle de l’exploitation qui devra être régulier et approfondi, du contrôle périodique de l’état du patrimoine, du renouvellement des contrats à terme échu et non par tacite reconduction, du choix des représentants des organes de contrôle de l’Etat qui ne devraient pas être les mêmes dans les deux conseils d’administration (SETER et SENTER), pour éviter tout conflit d’intérêts, et enfin sur la problématique de l’implication du secteur privé national.