CLASSE POLITIQUE, PARRAINAGE ET OPINION PUBLIQUE

TRIBUNE LIBRE
Mardi 17 Avril 2018

 
 Les dernières élections législatives ont abouti à un constat, implacable. Elles ont consacré une crise de la représentation qui remet en cause le système représentatif lui-même. Elles ont démontré surtout l’urgence d’une réforme du fonctionnement de notre système électoral, pour en crédibiliser le processus et renforcer notre démocratie.

Les principaux perdants dans cette opération ont été les partis politiques. Ils sont pléthoriques. Et nous avons constaté combien ils sont désormais concurrencés et rendus un peu archaïques dans leur fonctionnement par les nouveaux mouvements sociaux.

Les trois quarts des listes n’ont pas eu d’élus. De plus en plus aussi, les leaders d’envergure au fort potentiel qui émergent préfèrent dorénavant mettre en place des mouvements, plus fonctionnels, moins contraignants à faire fonctionner et somme toute plus adaptés à nos réalités actuelles.

Les partis politiques dans leur conception ancienne et pour la quantité infime d’entre eux ont été les lieux de formation et d’affirmation d’une citoyenneté active résolument tournée vers la prise en charge des intérêts matériels et moraux de leurs concitoyens. «Eléments constitutifs du fonctionnement démocratique», ils mettaient un point d’honneur à remplir leur vocation essentielle de socialisation politique et d’intégration des citoyens au système politique.

C’était une époque aujourd’hui révolue, où le combat des idées constituait le champ du politique, des idées portées par une idéologie basée sur une vision du monde clairement articulée à une action sur le terrain conforme aux convictions de acteurs politiques de ces temps-là.
De nos jours, il est difficile de classer les partis politiques actuels, en fonction de leur appartenance idéologique.

Dès lors, même si «la Loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis (…) à la vie démocratique de la Nation», ces dispositions prennent aussi en compte les groupements politiques qui ont les mêmes droits que les partis politiques en la matière.
La joyeuse pagaille qui a été constatée lors des dernières législatives a été déplorée par tous les acteurs et observateurs de notre démocratie, que nous qualifions de majeure.

L’opinion publique, qu’Edward Bernays, définit comme «l’organe exécutif du gouvernement invisible» avait à l’unanimité exprimé son souhait ardent d’une meilleure organisation des joutes électorales, en condamnant notamment la floraison exagérée des candidatures, et de listes dont je me garderai de désigner certaines du vocable de fantaisistes, tant leur prolifération fit rire…jaune !

Il est temps que les conditions d’une organisation responsable des élections soient déterminées, et que ces rendez-vous cruciaux pour notre peuple se tiennent dans des conditions acceptables de nature à crédibiliser le processus électoral et à légitimer davantage les dirigeants que les électeurs sénégalais se choisissent en ces moments de haute solennité.
C’est pourquoi je suis pour le parrainage.

En effet, quiconque prétend diriger notre pays doit quand même pouvoir se prévaloir d’une certaine représentativité qui puisse légitimer sa candidature et lui donner une image reconnue par ses concitoyens dont il sollicite les suffrages.

La crédibilisation des profils de candidats fait effectivement partie des fondamentaux qui demeurent, dans l’agitation de la campagne, autant de repères pertinents pour comprendre et en interpréter l’issue.
Ne faisons alors pas un procès d’intention à Macky SALL, pour ce coup-ci. D’aucuns voient en cette initiative la manifestation de la virtu propre au Prince de Machiavel, et l’accusent en conséquence de délit d’initié, pour avoir fomenté la floraison des listes aux dernières législatives, afin de se trouver un prétexte de nature à crédibiliser le projet de parrainage, présenté dès lors comme un guet-apens politicien qui lui ouvrirait un boulevard vers un second mandat dès le premier tour, au mois de février prochain.

Ce faux débat pour ma part est l’expression d’une forme de populisme exacerbée, orchestrée par une certaine classe politique qui cherche à soulever une tempête dans un verre d’eau.
Ce n’est pas le sort du peuple que ces acteurs appellent à un soulèvement populaire semblable à celui d’un certain 23 juin qui les intéresse, c’est plutôt leur positionnement sur l’échiquier politique, et leur avenir qu’ils jouent, qui les rend si déterminés contre cette réforme nécessaire.
Il faut donc se méfier de ce nouveau populisme, porté par une propagande (due au pluralisme des médias et à l’absence de monopole) qui risque de conduire à un affaiblissement de notre démocratie.
C’est que le populisme est la nouvelle plaie du système politique sénégalais. Il est «à la fois le symptôme d’une détresse réelle et l’expression d’une illusion», celle de se retrouver par cette stratégie calife à la place du calife, il est un outil rhétorique démagogique dont le but est de rassembler le peuple sous la bannière d’un chef prétendument charismatique, et il est dangereux : il s’associe en effet au rejet de toute démonstration factuelle et logique qui viendrait révéler son inanité.
D’où le rejet de toute forme de dialogue, et une radicalisation exagérée par rapport à cette question du parrainage !
Il faut que nous retrouvions notre lucidité. Et que nous attendions l’heure des joutes électorales pour montrer chacun en ce qui nous concerne notre capacité de mobilisation, et la qualité de nos offres politiques respectives.
Le Sénégal notre pays nous survivra, et notre Nation repose fermement sur deux pieds qui le maintiennent debout, face à toutes les menaces et autres prédictions de cataclysmes imaginaires : notre tradition de pays de dialogue et notre Justice.
La question de la limite du pouvoir est intimement liée à celle de la Justice, en effet. Et nous ne sommes certes pas dans une République des juges, mais la sagesse de nos magistrats et leur haut degré de loyauté et de patriotisme guide leurs actes, et fonde le sens de leurs responsabilités ultimes dans la préservation de la stabilité de notre pays.
En tant que somme des expériences humaines passées, nos traditions fondent nos habitudes, elles ont consolidé notre Constitution et nous ont offert un cadre qui a résisté à l’épreuve du temps et de la folie des hommes…politiques !
Parlons alors des mesures d’application du parrainage et des moyens de contrôler son application pour garantir les droits de chaque futur candidat.
C’est le seul débat qui vaille, aujourd’hui.
 
Cissé Kane NDAO
Président A.DE.R