Dakaractu: L'ancien président de la République gambienne, Dawda Jawara a rendu l’âme à l’âge de 95 ans. Que peut-on retenir de son magistère ?
Barka Bâ : Comme tout héritage, il y a un droit d’inventaire à faire. Pour ce qui concerne le magistère de Dawda Jawara à la tête de la Gambie, il faut lui reconnaître son statut de « père de la nation gambienne » qui a su conduire ce pays à l’indépendance, en maintenant une étroite collaboration avec la puissance colonisatrice, le Royaume uni. Mais à mon avis, son grand mérite, c’est dès le départ, dans la construction de la nation gambienne, d’avoir su éviter le piège du tribalisme et les démons de la division ethnique, qui ont été fatals pour la stabilité de bien des pays africains après l’indépendance. Surtout quand on voit comment son successeur a été tenté lui, d’instrumentaliser parfois les appartenances communautaires pour se maintenir au pouvoir, ce n’est pas rien. Maintenant comme tout bilan, son magistère recèle un revers de la médaille. À force de durer au pouvoir (24 ans), il avait fini par laisser la Gambie dans un état désastreux sur le plan économique et la corruption avait fini par s’y installer. C’est en partie ce qui a facilité le putsch de Jammeh en juillet 1994, qui avait été largement approuvé par une majorité de Gambiens, au début.
En tant que président de la Gambie, quelles étaient ses relations avec le Sénégal ?
Les relations avec Dawda Jawara ont toujours été complexes. Je pense qu’il a toujours su manœuvrer intelligemment face à un voisin puissant pour toujours voir le meilleur parti qu’il pouvait tirer d’un voisinage complexe du fait de la géographie et de l’histoire entre deux peuples que tout liait. Ainsi, à chaque fois que son régime a été menacé il n’a pas hésité à demander la protection du Sénégal. Ce qui s’est traduit par les fameuses interventions militaires du Sénégal. Pour l’opération « Fodé Kaba I», intervenue en 1980, il s’agissait pour le Président Senghor d’aider Jawara à maintenir l’ordre après une mutinerie qui avait failli dégénérer. Mais c’est surtout l’Opération Fodé Kaba II en 1981, déclenchée par Abdou Diouf qui venait d’arriver au pouvoir, qui va durablement marquer les esprits. Il s’agissait d’une intervention assez risquée et complexe, même pour un petit pays comme la Gambie, car Kukoy Samba Sanyang avait presque fini de prendre le pouvoir, en profitant d’un voyage à Londres de Jawara. Les soldats sénégalais conduits par le colonel Abel Ngom ont fait preuve de beaucoup d’héroïsme pour rétablir Jawara dans ses fonctions. Il avait même fallu une opération commando pour libérer l’épouse de Jawara et ses enfants pris en otage par les hommes de Sanyang. Psychologiquement et politiquement, c’est donc un Dawda Jawara très diminué qui accepte le projet de Confédération que lui soumet le président Diouf qui entre en vigueur le 1er février 1982. Au-delà de l’intégration économique et politique entre les deux pays, Jawara a d’abord vu cette confédération comme un atout inespéré pour assurer sa sécurité avec la présence rassurante des troupes sénégalaises sur le sol gambien. Ainsi, lorsqu’il a commencé à faire de la surenchère sur la Confédération, le Président Diouf a eu le sentiment qu’il lui avait planté un poignard dans le dos et a mis fin malheureusement à cette expérience fort intéressante et en avance sur l’époque. Il faut se rappeler le contexte de l’époque : l’année 1989 était une « annus horribilis »pour le Sénégal qui faisait face à trois fronts : un front intérieur avec la recrudescence du conflit casamançais, une tension extrême avec la Mauritanie et des velléités de la Guinée Bissau de nous disputer le gisement pétrolier « Dôme flore ». Les foucades de Dawda Jawara ont été perçues, donc par Dakar, comme une trahison, raison pour laquelle Diouf n’a pas cette fois-ci levé le plus petit doigt pour le sauver quand Yahya Jammeh a fait son putsch en 1994 pour le renverser.
Déposé par Yahya Jammeh en 1994, comment a-t-il pu s’en sortir indemne ?
Je pense que les putschistes conduits par Jammeh étaient très soucieux de faire un coup d’État sans effusion de sang et c’est cela surtout qui a sauvé la vie de Jawara qui avait pu quitter Banjul à bord d’un navire de guerre américain. Les hommes de Jammeh avaient une peur bleue d’une nouvelle intervention militaire sénégalaise et d’ailleurs l’un des premiers gestes de la junte à peine installée au pouvoir avait été de dépêcher une délégation, conduite à l’époque par le capitaine Sadibu Hydara, pour venir expliquer au président Diouf les raisons de leur coup de force. Il fallait aussi à ces jeunes officiers qui ont presque ramassé un pouvoir sclérosé, donner des gages à la communauté internationale en ne se montrant pas trop expéditifs. C’est donc bien après ces péripéties que Jammeh est devenu le dictateur sanguinaire que l’on sait.
Qu’est ce qui explique son retour en Gambie en 2002 ? Jammeh lui-même a-t-il imposé des conditions ?
Je pense que son retour en 2002 obéissait à des considérations de politique intérieure de la part de Jammeh. Jawara ne constituait plus une menace sérieuse pour lui d’autant plus que le parti de ce dernier était devenu marginal sur l’échiquier politique. En outre, Jammeh, par ce geste d’apaisement avait une volonté de polir son image auprès des Gambiens pour apparaître comme un rassembleur en se réconciliant avec le père de la nation gambienne.
Dakaractu
Barka Bâ : Comme tout héritage, il y a un droit d’inventaire à faire. Pour ce qui concerne le magistère de Dawda Jawara à la tête de la Gambie, il faut lui reconnaître son statut de « père de la nation gambienne » qui a su conduire ce pays à l’indépendance, en maintenant une étroite collaboration avec la puissance colonisatrice, le Royaume uni. Mais à mon avis, son grand mérite, c’est dès le départ, dans la construction de la nation gambienne, d’avoir su éviter le piège du tribalisme et les démons de la division ethnique, qui ont été fatals pour la stabilité de bien des pays africains après l’indépendance. Surtout quand on voit comment son successeur a été tenté lui, d’instrumentaliser parfois les appartenances communautaires pour se maintenir au pouvoir, ce n’est pas rien. Maintenant comme tout bilan, son magistère recèle un revers de la médaille. À force de durer au pouvoir (24 ans), il avait fini par laisser la Gambie dans un état désastreux sur le plan économique et la corruption avait fini par s’y installer. C’est en partie ce qui a facilité le putsch de Jammeh en juillet 1994, qui avait été largement approuvé par une majorité de Gambiens, au début.
En tant que président de la Gambie, quelles étaient ses relations avec le Sénégal ?
Les relations avec Dawda Jawara ont toujours été complexes. Je pense qu’il a toujours su manœuvrer intelligemment face à un voisin puissant pour toujours voir le meilleur parti qu’il pouvait tirer d’un voisinage complexe du fait de la géographie et de l’histoire entre deux peuples que tout liait. Ainsi, à chaque fois que son régime a été menacé il n’a pas hésité à demander la protection du Sénégal. Ce qui s’est traduit par les fameuses interventions militaires du Sénégal. Pour l’opération « Fodé Kaba I», intervenue en 1980, il s’agissait pour le Président Senghor d’aider Jawara à maintenir l’ordre après une mutinerie qui avait failli dégénérer. Mais c’est surtout l’Opération Fodé Kaba II en 1981, déclenchée par Abdou Diouf qui venait d’arriver au pouvoir, qui va durablement marquer les esprits. Il s’agissait d’une intervention assez risquée et complexe, même pour un petit pays comme la Gambie, car Kukoy Samba Sanyang avait presque fini de prendre le pouvoir, en profitant d’un voyage à Londres de Jawara. Les soldats sénégalais conduits par le colonel Abel Ngom ont fait preuve de beaucoup d’héroïsme pour rétablir Jawara dans ses fonctions. Il avait même fallu une opération commando pour libérer l’épouse de Jawara et ses enfants pris en otage par les hommes de Sanyang. Psychologiquement et politiquement, c’est donc un Dawda Jawara très diminué qui accepte le projet de Confédération que lui soumet le président Diouf qui entre en vigueur le 1er février 1982. Au-delà de l’intégration économique et politique entre les deux pays, Jawara a d’abord vu cette confédération comme un atout inespéré pour assurer sa sécurité avec la présence rassurante des troupes sénégalaises sur le sol gambien. Ainsi, lorsqu’il a commencé à faire de la surenchère sur la Confédération, le Président Diouf a eu le sentiment qu’il lui avait planté un poignard dans le dos et a mis fin malheureusement à cette expérience fort intéressante et en avance sur l’époque. Il faut se rappeler le contexte de l’époque : l’année 1989 était une « annus horribilis »pour le Sénégal qui faisait face à trois fronts : un front intérieur avec la recrudescence du conflit casamançais, une tension extrême avec la Mauritanie et des velléités de la Guinée Bissau de nous disputer le gisement pétrolier « Dôme flore ». Les foucades de Dawda Jawara ont été perçues, donc par Dakar, comme une trahison, raison pour laquelle Diouf n’a pas cette fois-ci levé le plus petit doigt pour le sauver quand Yahya Jammeh a fait son putsch en 1994 pour le renverser.
Déposé par Yahya Jammeh en 1994, comment a-t-il pu s’en sortir indemne ?
Je pense que les putschistes conduits par Jammeh étaient très soucieux de faire un coup d’État sans effusion de sang et c’est cela surtout qui a sauvé la vie de Jawara qui avait pu quitter Banjul à bord d’un navire de guerre américain. Les hommes de Jammeh avaient une peur bleue d’une nouvelle intervention militaire sénégalaise et d’ailleurs l’un des premiers gestes de la junte à peine installée au pouvoir avait été de dépêcher une délégation, conduite à l’époque par le capitaine Sadibu Hydara, pour venir expliquer au président Diouf les raisons de leur coup de force. Il fallait aussi à ces jeunes officiers qui ont presque ramassé un pouvoir sclérosé, donner des gages à la communauté internationale en ne se montrant pas trop expéditifs. C’est donc bien après ces péripéties que Jammeh est devenu le dictateur sanguinaire que l’on sait.
Qu’est ce qui explique son retour en Gambie en 2002 ? Jammeh lui-même a-t-il imposé des conditions ?
Je pense que son retour en 2002 obéissait à des considérations de politique intérieure de la part de Jammeh. Jawara ne constituait plus une menace sérieuse pour lui d’autant plus que le parti de ce dernier était devenu marginal sur l’échiquier politique. En outre, Jammeh, par ce geste d’apaisement avait une volonté de polir son image auprès des Gambiens pour apparaître comme un rassembleur en se réconciliant avec le père de la nation gambienne.
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