Dans ce secteur, on trouve les chauffeurs de «cars rapides» et de «Ndiaga Ndiaye», qui gagnent dignement leur vie, mais qui risquent de se retrouver sans emplois d’ici quelques années. Le gouvernement va mettre en œuvre le projet BRT, qui est un projet qui risque de faire perdre plus d’emplois qu’il n’en créera. Certes, nous avons besoin de développement, mais il aurait été plus sage de trouver une alternative pour que ces emplois informels ne soient pas détruits. Le secteur routier joue un rôle dominant dans le secteur du transport et plus de 90 % des déplacements de biens et personnes sont assurés par ce secteur.
Le plus dominant est l’AFTU (Association de Financement des professionnels du Transport Urbain) qui est le premier réseau de transport en commun au Sénégal. Selon leur site, ils ont assuré le déplacement de 250 millions de passagers en 2016 et ont créé environ 6 000 emplois directs composés de chauffeurs, receveurs, régulateurs et contrôleurs. Il y a aussi les «Ndiaga Ndiaye» et les «cars rapides» qui circulent depuis presque 50 ans.
L’Etat avait promis leur retrait de la circulation, car ils représentent un danger, mais hélas, ils sont toujours en circulation. Il y a encore une nouvelle promesse de retirer les cars d’ici 2020 et les remplacer progressivement par un parc de transport urbain plus jeune.
En tant que véritable institution, il sera quasi-impossible de les mettre hors de la circulation, car la plupart des cars appartiennent à d’influents marabouts. Le but était d’éliminer 300 véhicules par an à compter de 2016, soit 300 par an pour les supprimer complètement en 2019. Lors de l’étude pour la demande de prêt, Dakar Dem Dik exploitait 23 lignes pour 6 % des déplacements quotidiens en transport commun, l’AFTU exploitait 56 lignes et représentait 35 % des déplacements quotidiens.
Presque 25 % des autres déplacements étaient assurés par les «cars rapides» et «Ndiaga Ndiaye». Vu que la population augmente de manière exponentielle à Dakar, la demande est forte pour la demande, ce qui fait que le reste de la demande est assuré par les taxis clandos et les taxis officiels de couleur jaune et noire.
Étudions les risques évoqués pour la mise en place de ce genre de projet au Sénégal. Il faut noter que pour dédommager les déplacés, il faudrait payer presque 5 milliards de FCFA, or le Sénégal n’est pas en mesure de payer cette somme sans que cela n’affecte un autre projet phare. Le Sénégal affiche un déficit budgétaire à hauteur de 3,5 % du PIB et je ne vois pas personnellement comment le ministère des Finances peut inclure cette dépense dans le budget sans affecter un autre secteur.
Le risque institutionnel est aussi présent, car c’est la première fois qu’un tel projet voit le jour au Sénégal. Entre le TER et le BRT, on parle de deux grands projets de transport et le gouvernement ne peut pas contrôler ces deux grands projets. Il aurait été plus sage de finir un projet et de le tester au bout d’une année voire deux ans avant de se lancer dans cet autre projet même si le but principal est de couvrir Dakar du Nord au Sud. Il ne faudrait pas oublier les risques fiduciaires, car le CETUD n’a pas assez d’expérience ni assez de moyens dans ce genre de marchés, car c’est le premier projet de ce genre que le Sénégal met en œuvre. Le gouvernement sera dans l’obligation d’embaucher des consultants spécialisés dans ce domaine et ce sont des extra dépenses dont les ressources ne sont pas encore mobilisées. Étant conscients de nos limites, nous savons que nous ne sommes pas capables d’exploiter et d’entretenir cette flotte d’autobus modernes.
Dans ce cas, on devra encore faire recours à l’expertise internationale pour la maintenance de l’ensemble du système. Nous allons donc créer des emplois qui seront occupés par des étrangers. L’Etat n’est pas en mesure d’accompagner une entreprise privée nationale, car il ne dispose pas d’assez de ressources. Quant au risque lié à la destruction d’emplois informels directs et indirects, le risque est réel et cela affectera beaucoup de ménages sénégalais.
De multiples risques non pris en charge
Certes, il y aura une joint-venture avec les opérateurs locaux et une possibilité pour qu’ils puissent acquérir de la flotte, et que les opérateurs de l’AFTU exploiteront les itinéraires de desserte, le risque est toujours présent. Il faut noter que dans l’étude, le but est d’éliminer les «cars rapides» et les «Ndiaga Ndiaye», et on parle de milliers d’emplois directs qui seront affectés et qui ne pourront pas être remplacés. Durant la mise en œuvre de chaque projet qui impactera un secteur, des rencontres s’effectuent entre les acteurs du secteur et les fonctionnaires de l’Etat et ces derniers leur font signer un accord de principe sur un nouveau régime qui sera loin de la réalité sur le terrain et cela causera des désagréments une fois le projet en place.
Selon le CETUD, qui a dit avoir soigneusement évalué les impacts, ils avaient dit que 265 bus seraient affectés et parmi ces 265 bus, 150 seront assignés aux itinéraires de desserte et que leur analyse financière a montré une rentabilité et les 115 bus restant seront mis hors circulation et ceux qui exploitaient ces routes vont être utilisés comme des travailleurs journaliers tout au début. Quel sera leur sort quand l’exploitation débutera ? Nous avons souvent vu les fonctionnaires du pays tromper les acteurs d’un secteur pour la mise en place d’un programme sans leur dire ce qu’il en sera exactement pour qu’ils puissent se préparer conséquemment. S’il est bien mis en place, le projet BRT peut être une bonne chose pour le Sénégal, même s’il faut que nous analysions le coût du projet et le comparer à d’autres projets BRT en Afrique, car nous sommes plus intéressés par le mécanisme pour nous assurer que les Sénégalais ne vont pas payer pendant des années un prêt mal négocié. Nous ne devons pas oublier que ce projet va nous coûter 426,3 millions de dollars et le gouvernement ne décaissera que 10,8 millions de dollars. Quel est le plan mis en place par le gouvernement pour les pertes d’emplois qu’occasionnera le projet BRT ? Il est impératif, sans d’autres alternatives, de laisser en place ces emplois informels qui jouent un rôle d’amortisseur social.
Mohamed Dia est consultant bancaire Dakar