En effet, comme la plupart des pays ouest-africains décolonisés par la France depuis plus de 60 ans, les « indépendances » se sont révélées, au fil du temps, piégées et vidées de leur substance. Après l’euphorie du « Soleil des indépendances, » des élites dirigeantes de moins en moins conscientes du sens de l'Histoire, ont fini par céder des pans entiers de nos économies et de nos ressources, mettant sous hypothèque notre souveraineté. De plus, et sous la fallacieuse appellation « d’aide publique au développement, » des mécanismes poussés de servitude consentie ont été mis en place. Nos autorités ont signé, sciemment ou inconsciemment, des accords et conventions multiples qui ont, dans les faits, réduit drastiquement les marges de manœuvre de nos États embryonnaires. Sous la stricte surveillance d’institutions financières internationales, qui nous dictent des thérapies aggravantes aux maladies qui nous sont causées…
Toujours confinés dans les frontières héritées du partage de Berlin en 1885, sans y avoir été représentés, nous tournons en rond. Au lieu de redessiner nos trajectoires ante-coloniales et d’élaborer une notion du progrès compatible avec le bien-être de la majorité de nos populations, les premiers dirigeants de nos pays se sont glissés dans les institutions coloniales, adoptant leurs atours et leurs discours. Ils ont régné, et c’est le cas de le dire, en perpétuant l’injustice sociale des « maitres » sortants au lieu de l’éradiquer... Nos élites dirigeantes, pour la plupart, se sont enrichies honteusement. Des cohortes de fonctionnaires, formatés par un État post-colonial corrompu et corrupteur, n’ont rien fait pour changer l’ordre des choses. Ils en ont profité, survivant à toutes les alternances et développant une aptitude à la prédation anonyme incomparable. Des opérateurs économiques, vivant aux basques de nos États entretiennent la vénalité sans limites des agents du service public. Des lobbies de toutes sortes concourent ainsi à cannibaliser la puissance publique au détriment du peuple laborieux.
Tout ce beau monde bouffe et se tait !
Les crises politiques itératives en Afrique ne tiennent qu’a ce malentendu : nos élus et nos fonctionnaires ont oublié le sens de leur mission, servir et non se servir ! Nos politiciens, quant à eux, se révèlent de plus en plus incapables de faire rêver les masses africaines. En conséquence, les électeurs désertent de plus en plus les urnes. Les élections théâtrales se succèdent et accouchent de violences lourdes en pertes humaines. Il faut commencer à se poser les bonnes questions ! Et d’abord, quand est-ce que nous allons faire confiance à notre génie propre, pour réinventer nos manières d’organiser nos sociétés et les doter d’institutions qui nous ressemblent et nous rassemblent ?
Par ailleurs, et pour parler de l’intégration africaine dont la CDEAO était censée être le levier économique au niveau sous-régional, à de rares exceptions près le bilan est plutôt mitigé… Institutions budgétivores, sommets et décisions rarement suivis d’effet rythment la vie de nos différentes institutions. L’absence de vision et d’un leadership adéquat est la marque de fabrique de la plupart des structures dédiées à l’intégration africaine. Au demeurant, que de blessures humaines jalonnent nos frontières et séparent des êtres que tout unit ! Ainsi et pour prendre mon exemple personnel, que je partage avec plusieurs ouest-africains, j’ai de la famille biologique tant au Mali qu’en Mauritanie, aussi bien en Guinée Conakry qu’en Gambie et Guinée-Bissau… Et jusqu’au Nigeria sur les traces de El Haj Omar Tall. Mon rêve d’intégration africaine n’est donc pas démesuré. Il épouse les contours de notre Histoire. Je suis un Ouest-africain en somme !! Pourtant, le passage d’un pays à l’autre, tant des personnes que des biens, reste un parcours du combattant.
Et c’est en cela que la CEDEAO vient de piétiner, une fois de trop, notre identité véritable en ramant à contre-courant de l’Histoire ! Et c’est pour cela que, de partout montent le même cri de douleur et d’indignation ! À la vérité, nous aurions dû lever une armée multinationale depuis des années pour protéger toutes les frontières de notre sous-région, au lieu d’attendre que le feu brûle la maison du voisin pour venir avec des seaux de kérosène... Nous aurions dû travailler à donner corps et cœur au panafricanisme dont le sentiment irrigue le cœur des jeunesses africaines. Nos dirigeants n’entendent-ils pas la clameur qui monte, qui monte…N’entendent-ils pas la sourde réprobation des peuples ?
Mais venons-en à l’essentiel !
Aujourd’hui l’essentiel est que le peuple malien soutienne, sans conditions, son armée et le gouvernement de transition dans la mission de restauration de l’État. Dans le même temps, l’armée doit s’engager sur une feuille de route claire, avec un échéancier rigoureux, à restaurer l’ordre constitutionnel afin de se recentrer sur ses missions régaliennes. La société civile et politique malienne doit se mobiliser et se préparer à organiser des modalités de conquête et de transmission du pouvoir qui respectent les normes de transparence, de Justice, d’équité et d’égalité pour tous. Cela partira d’un consensus fort sur la nécessité de reconquérir l’indépendance totale du Mali. D’abord et avant tout !
Notre prière pour le peuple malien frère et fier, c’est qu’il reste soudé en ces moments d’épreuve. « Diviser pour régner » est le principal levier d’action des ennemis de l’Afrique. Restons Unis et concentrés sur l’essentiel ! Sachons lever la contradiction principale qui est la restauration de la souveraineté de l’État sur l’ensemble du territoire malien. La mise en déroute des terroristes et de leurs mentors, le départ de toutes les troupes étrangères du sol malien.
Alors viendra le temps de la réconciliation et de la reconstruction. Les chantiers à la hauteur de nos rêves pourraient s’engager autour du socle fondateur de ce qui fut la première Fédération du Mali et aller au-delà dans les années à venir, lorsque nous aurons mis le pied à l’étrier aux générations montantes.
Ce millénaire doit être celui d’une Afrique nouvelle, décomplexée et conquérante !
Longue vie au peuple malien frère et fier !
Amadou Tidiane Wone
Ancien ministre