Attaques des mouvements religieux contre le préfet de Dakar : le summum de l’hypocrisie ou la pathétique naïveté

TRIBUNE LIBRE
Dimanche 29 Avril 2018

Dans son livre «La Franc-maçonnerie au cœur de la République de 1870 à nos jours» paru en Novembre 2012,  Jean-Paul Lefebvre-Filleau, Colonel de gendarmerie en retraite considéré comme «le détective de l’histoire» écrit ceci : «…….. Le 4 septembre 1870, la République est proclamée et un «gouvernement de Défense nationale» formé – sur douze membres, il comprend neuf francs-maçons du Grand Orient de France et de la Grande Loge de France »…Au cours de son récit partant de la chute du Second Empire jusqu’à l’élection présidentielle récente de François Hollande en Mai 2012, l’auteur nous rappelle que «l’action principale du Grand Orient de France consistait à consolider le régime républicain qu’il considérait comme son œuvre ».

Toujours dans le même sillage, monsieur Daniel Keller, réélu «Grand Maître» du Grand Orient de France (GODF) avec 29 voix et 5 bulletins blancs au soir du premier jour du Convent qui se tenait à Reims du 27 au 29 août, nous rappelle que : «Dans un moment où la société cherche des boucs émissaires, le GODF se doit d’être présent pour rappeler inlassablement les valeurs fondamentales de la République. Le GODF est une institution DE la République et aussi DANS la République. La Franc-Maçonnerie a fortement contribué à la naissance et à l’implantation de la République. Que l’on pense simplement à quelques Grands Hommes tels que Léon Bourgeois, Jean Zay, Mendes-France, Gambetta, Jules Ferry, tous maçons. La République est fondamentalement maçonnique à travers l’affirmation laïque de la liberté de conscience et du refus des pressions dogmatiques, permettant l’affirmation de l’intérêt général au service des plus faibles.»
En considérant que cette République Française est génitrice de «notre» présente République du Sénégal pour le contrôle, l’encadrement et la surveillance de laquelle la France veille scrupuleusement au grain, force est de reconnaître que les pouvoirs du «petit» Préfet de Dakar, M. Alioune Badara Samb, ne pèsent pas lourd sur la balance d’une décision qui vise les intérêts d’une organisation française d’obédience maçonnique. Il faut plutôt regarder du côté du «grand» «Préfet du Sénégal», Mr.Macky Sall.  
Par conséquent, s’ériger en sentinelle de la nation sénégalaise contre la franc-maçonnerie est certes une posture noble et louable, mais épargner au même moment la République jusqu’à féliciter le Chef de l’Etat parce qu’il aurait interdit la réunion de cette organisation qui devait se tenir à Dakar en janvier 2018, s’apparente à de la naïveté manifeste.

Le Préfet Alioune Badara Samb, un fervent musulman «taalibé cheikh», ne peut être la bonne cible des attaques des mouvements religieux qui combattent la franc-maçonnerie. Au surplus, il pourrait lui être reproché de servir une République construite sur des fondements franc-maçons; auquel cas, la logique et l’honnêteté voudraient que les responsabilités du Gouverneur, du ministre de l’Intérieur, du Premier ministre et du Chef de l’Etat, soient aussi pointés du doigt en tant que supérieurs hiérarchiques du Préfet. Le fait de s’arrêter à ce pauvre Préfet, le vilipender auprès des Chefs religieux et le jeter en pâture à la furie de la société sénégalaise, est simplement injuste et peu productif.

Surtout que ce fut le Président de la République du Sénégal, Macky Sall et non le Préfet de Dakar, qui était le destinataire légitime des félicitations et remerciements de la part des mouvements religieux, à la suite de l’interdiction de la manifestation des franc-maçons qui était prévue à Dakar. De la même manière et par souci de cohérence, le Président de la République doit être la seule cible légitime de vos attaques, parce qu’étant l’unique et le seul Responsable de la levée de cette interdiction; parallélisme des formes oblige.

Les considérations morales qui caractérisent le noble combat que vous portez et que je soutiens de toutes mes forces, vous interdisent d’être injustes et hypocrites et cela risque de porter un sacré coup à la crédibilité de votre engagement. Ce serait dommage et malheureux que des Imams soient pris à défaut de manière si flagrante et à un niveau aussi évident.

Combattre la franc-maçonnerie au Sénégal suppose que vous ayez le courage et la détermination nécessaires de vous attaquer à ses racines que sont la République et son Chef, au risque de permettre à ses promoteurs de rire sous cap et de dérouler leur agenda sans se préoccuper outre mesure de la levée de bouclier actuelle.

Les origines du mal sont d’abord la République et ensuite le Chef de l’Etat. Alors, vous ne pouvez pas vous limiter à arracher avec acharnement les feuilles de l’arbre à détruire tout en prenant le grand soin d’épargner son tronc et ses racines pourtant trop visibles.
 
Cheikh Bassène via Yérim Post