Il gère les réseaux sociaux en Arabie Saoudite pour le compte du prince héritier Mohamed ben Salman (MBS). Il a mené l’opération ayant conduit à l’arrestation de centaines de membres de l’élite saoudienne au Ritz-Carlton, son nom apparaît dans la détention, il y a un an, du Premier ministre libanais Saad Hariri. Et, selon deux sources au sein des services de renseignement, c’est encore lui qui a orchestré le meurtre de Jamal Khashoggi à l’intérieur du consulat saoudien à Istanbul en donnant ses ordres sur Skype. Saud al-Qahtani, directeur adjoint de l’Agence nationale du renseignement et considéré comme le bras droit de Mohamed ben Salman (MBS), a été démis de ses fonctions samedi pour apaiser l’indignation internationale suscitée par l’affaire Khashoggi.
Il kidnappe et force un Premier ministre à démissionner
De source diplomatique, on estime que l’étendue des pouvoirs de Qahtani a pu être mesurée lors de l’enlèvement du Premier ministre libanais en novembre 2017. Les Saoudiens étaient alors furieux devant l’incapacité de Saad Hariri, musulman sunnite et client saoudien, à lutter contre l’influence des rivaux iraniens et de la milice chiite du Hezbollah dans la région.
Pour punir la « mauvaise volonté » du chef d’État libanais, Al-Qahtani commence par l’inviter à Ryad pour y rencontrer Mohamed ben Salman. À son arrivée dans le Royaume, aucun comité d’accueil princier, comme le veut le protocole officiel prévu lors de la visite d’un dirigeant étranger. Il a reçu un appel plus tard lui indiquant que la rencontre avec le prince héritier aurait lieu le lendemain.
Le dirigeant libanais est ensuite conduit dans une salle où Qahtani l’attendait, accompagné d’une équipe des forces de sécurité, rapportent trois sources familières proches du dossier. Hariri a été frappé, Qahtani l’a insulté et contraint à démissionner de son poste de Premier ministre lors d’une allocution retransmise par la chaîne de télévision officielle saoudienne.
Attirer Khashoggi à Ryad
Saud al-Qahtani aurait également tenté de faire venir à lui le journaliste Jamal Khashoggi. Au moins trois amis du Saoudien disparu témoignent que, quelques mois après l’installation du journaliste à Washington, il a reçu de nombreux appels téléphoniques du bras droit de Mohamed ben Salman l’invitant à revenir en Arabie Saoudite. Le journaliste a refusé l’offre, disent-ils, craignant des représailles pour ses chroniques dans le Washington Post.
Qahtani a tenté de rassurer le journaliste, lui disant qu’il était toujours très respecté, et lui a même proposé un poste de consultant à la cour royale, affirme un de ses amis. Même s’il le trouvait courtois et poli, Khashoggi ne lui faisait pas confiance. « Jamal m’a dit plus tard 'Il pense que je vais rentrer pour qu’il puisse me mettre en prison ?' », confie un de ses amis.
Un autre responsable saoudien a confirmé que Saud al-Qahtani avait discuté avec Khashoggi d’un retour en Arabie Saoudite. Mais le prince héritier était-il au courant du projet d’enlèvement imaginé par son fidèle conseiller ? Une source saoudienne proche de l’enquête affirme que Qahtani en personne aurait décidé d’organiser l’enlèvement de Khashoggi mais que le plan aurait mal tourné.
La stratégie du fusible
Un responsable saoudien, qui s’est exprimé samedi, a confirmé l’existence d’un ordre permanent autorisant à « négocier » le retour des dissidents dans leur pays sans exiger d’approbation préalable, mais a ajouté que l’équipe impliquée dans l’opération Khashoggi avait outrepassé cette autorisation.
En assumant la responsabilité de la crise qui touche l’Arabie saoudite, Saud al-Qahtani exonère le prince héritier Mohamed ben Salman. Car cette fois, la situation est grave : les capitales occidentales condamnent fermement la mort du journaliste et jugent les explications de Ryad insuffisantes.
Le roi Salman a limogé al-Qahtani et a ordonné une restructuration au sein des services de renseignement. Une restructuration… confiée à Mohamed ben Salman.
Mis à mort sur Skype
Dans l’affaire Khashoggi, Qahtani était bien présent, comme il l’a déjà été dans d’autres moments clés de l’ère de Mohamed ben Salman, mais cette fois-ci, son implication a été virtuelle. Une source de haut rang d’un pays arabe, informée et proche des membres de la cour royale saoudienne, a indiqué à Reuters que Saud al-Qahtani avait été joint par Skype dans une des salles du consulat.
Il a tout d’abord proféré des insultes contre Khashoggi, auxquelles ce dernier a répondu, dit-on de source arabe et turque. Une autre source, au sein des services de renseignement turcs, affirme que Saud al-Qahtani a demandé à son équipe, composée de hauts responsables des services de sécurité et de renseignement saoudiens, de se débarrasser du journaliste. « Apportez-moi la tête de ce chien », aurait-il dit, selon cette source.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan serait désormais en possession de l’enregistrement de l’appel Skype, ont indiqué les deux sources arabe et turque, qui ont par ailleurs refusé de le fournir aux Américains.
Fidèle du prince devenu trop embarrassant
L’influence de Saud al-Qahtani, ces trois dernières années dans l’entourage du prince héritier, a été telle qu’il sera difficile pour les autorités saoudiennes de rejeter toute la responsabilité du meurtre sur lui sans soulever de questions sur l’implication de Mohamed ben Salman, dit-on dans l’entourage de la Cour royale. « Cet épisode ne va pas renverser MBS, mais son image a été écornée et il va mettre du temps à s’en remettre, s’il s’en remet un jour. Le roi le protège », explique une source proche de la cour.
Qahtani en personne a dit naguère qu’il ne faisait rien sans l’accord de son chef. « Pensez-vous que je prenne des décisions tout seul ? Je suis un employé et j’exécute fidèlement les ordres de mon seigneur le roi et de mon seigneur le prince héritier », écrivait-il cet été sur Twitter. Ces derniers jours, sa biographie sur Twitter a été modifiée : il est désormais président de la Fédération saoudienne pour la cybersécurité, la programmation et les drones, un poste qu’il avait déjà occupé par le passé.
Un représentant saoudien informé de l’avancée de l’enquête sur la mort de Jamal Khashoggi a dit samedi qu’aucun ordre d’enlèvement ni d’assassinat n’avait été donné par le royaume. Mohamed ben Salman, a-t-il précisé, ne savait pas qu’une opération spécifique serait menée au consulat saoudien d’Istanbul.