Affaire Khalifa Sall : Procès politique, verdict politique

POLITIQUE
Mardi 27 Février 2018

Au bout de 22 jours, le procès de Khalifa Sall et de ses co-prévenus a pris fin en attendant que le juge Malick Lamotte délibère avec ses assesseurs sur le sort du maire de Dakar et compagnie. Ainsi, l’Essentiel revient sur quelques péripéties de ce procès qui risque de se traduire en tragédie politique le 30 mars prochain, l’objectif étant d’infliger à Khalifa une peine minimale de trois ans en retenant le délit de «faux et usage de faux». Chef d’inculpation qui peut entrainer un retrait de ses droits civiques et par voie de conséquence son inéligibilité.


La première partie du procès Khalifa Sall portant sur une affaire aussi obscure que rocambolesque de «détournement de deniers publics, escroquerie, complicité de faux en écriture de commerce, faux et usage de faux en écriture publique et blanchiment de capitaux» a pris fin le vendredi 24 février 2018.  C’est donc dans un climat très violent, dénué de toute sérénité, que la justice est censée être rendue ou pas dans ce dossier potentiellement déterminant pour l’avenir politique de Khalifa Sall. Mais de l’enquête de l’IGE passant par celle de la police, l’inculpation et l’arrestation jusqu’au procès, la sentence à livrer le 30 mars prochain par les juges du tribunal ne semble guère rassurante pour les Sénégalais épris de justice.

Procès politique

Khalifa Sall, c’est l’homme à abattre politiquement. D’ailleurs, l’aspect politique du procès a poussé le maire de Dakar, dans sa déclaration préliminaire, à dire que «l'objet de ce procès est de mener un combat politique contre un adversaire politique». Mais le président du tribunal, Malick Lamotte, a précisé que «le tribunal est saisi de faits et non de personnes et qu’il n'a aucune compétence pour juger un fait politique».

Mais point n’est besoin d’aller loin pour savoir que le procès de Khalifa Sall est un procès politique avec un habillage judiciaire. Et malheureusement, le juge Lamotte aura à trancher le différend politique qui oppose Macky et Khalifa. Si on analyse certains faits, on se rendra compte dans ce procès que la personne de Khalifa Sall intéresse que les faits dont parle le juge Lamotte. Depuis l’enquête, en passant par l’arrestation de Khalifa, l’instruction jusqu’au procès, l’exécutif s’est toujours exprimé sur cette affaire transmise au judiciaire.
D’ailleurs, c’est le ministre Ismaïla Madior Fall qui avait annoncé en exclusivité la tenue du procès lors de son passage à l’Assemblée nationale pour le vote de son budget. Et ce, au moment où plusieurs recours avaient été formulés par les conseils du maire de Dakar. Son prédécesseur à la Justice, Sidiki Kaba, a nié l’immunité parlementaire de Khalifa Sall et pourtant le ministère public a adressé une correspondance à l’Assemblée nationale pour lever cette immunité dont jouit le député Khalifa Sall.

Les pouvoirs judiciaire et législatif instrumentalisés

De l’alpha à l’oméga  de ce procès, on retrouve le pouvoir exécutif (Macky Sall) qui a utilisé les pouvoirs  judiciaire et législatif (l’Inspection générale d’Etat (IGE), la police, l’administration judiciaire, les députés de Bennoo) pour neutraliser un adversaire politique. C’est l’IGE, logée au palais, à qui le président de la République a enjoint de farfouiller dans la gestion du maire de Dakar. Et voilà qu’au bout de 18 mois, les vérificateurs dont le chef de mission, Abdoul Kader Camara, actuel Secrétaire général du Haut conseil des collectivités territoriales dirigé par Tanor Dieng, ont produit un rapport qui est à la base des poursuites à l’encontre de Khalifa Sall.

Entre le 21 février (passage à la DIC) et le 07 mars 2017 (passage devant le Doyen des juges), le sort de l’édile de Dakar et de ses collaborateurs est plié. Seuls les deux percepteurs, membres de l’APR, ont été épargnés alors qu’ils devaient être soumis à un débet étant donné que leur culpabilité première dans cette affaire de la caisse d’avance est entièrement établie.

Pour étayer le caractère politique de ce procès, il rappeler que le 25 février 2013, dans une longue interview au journal le Quotidien, Mbaye Ndiaye, ex-ministre de l’Intérieur et Directeur des structures de l’Alliance pour la République (APR), prévenait le maire de Dakar en ces termes : «qu’il rejoigne l’APR s’il veut rester maire. Je suis convaincu qu’il aurait pu le faire s’il avait une lecture de responsabilité de la réalité politique. Le Président Macky Sall en a pour dix ans.»

De tels propos émanant d’un ex-ministre de l’Intérieur qui a tous les renseignements étaient loin d’être anodins. Et le combat politique contre le maire de Dakar socialiste qui prenait ses distances de plus en plus de la mouvance présidentielle avait commencé lors du lancement officiel de l’Acte III de la Décentralisation le 19 mars 2013 qui le dépouillait de ses prérogatives de Super-maire de Dakar. Par la suite, beaucoup d’actes ont été posés par le pouvoir pour bloquer le fonctionnement l’institution municipale : l’objection de l’Etat à l’emprunt obligataire de 20 milliards, l’arrêt du programme de pavage, le retrait de la gestion des ordures, le blocage de la réfection de la place de l’Indépendance…

Aujourd’hui le juge Lamotte, nonobstant son indépendance ou son impartialité, a du mal à évacuer la politique du prétoire. D’ailleurs, selon les révélations du journaliste Pape Alé Niang, la planification de l’arrestation de Khalifa Sall s’est faite au palais de la République en présence «du président Macky Sall, de Massamba Sall Doyen des juges, de Serigne Bassirou Guèye Procureur de la République, du juge Maguette Diop, d’Antoine Diome Agent judiciaire de l’Etat, de Malick Lamotte, de Demba Kandji, de Lansana Diaby Procureur général, de Gallo Syr Diagne Président Chambre d’accusation, de Cheikh Tidiane Coulibaly Procureur général de la Cour Suprême, de Mamadou Badio Camara Président Cour Suprême, de Pape Oumar Sakho juge constitutionnel, d’Oumar Youm Directeur de cabinet du président de la République et d’un journaliste connu pour ses révélations à charge dans l’affaire Khalifa Sall». 

Une telle information aussi sérieuse jamais démentie par les principaux concernés à part un désinvolte communiqué de l’UMS met en lumière le caractère inique de de ce procès déjà tenu au palais. Y a-t-il à espérer une issue heureuse pour le maire de Dakar si deux des trois juges de Khalifa Sall ont pris part à cette réunion du palais ? D’ailleurs, il est à préciser que l’UMS, qui se prononce la plupart du temps sur des revendications catégorielles et jamais sur un procès équitable pour tous et non plus sur l'impunité des puissants, notamment en matière de délinquance économique et financière, ne peut pas servir d’avocat aux magistrats mis en cause.

Et la récente sortie de Seydou Guèye, dans le journal l’Observateur du 13 février dernier, Secrétaire général du gouvernement par ailleurs porte-parole de l’Alliance pour la République, laisse trahir une condamnation imminente du député-maire de la Capitale concoctée dans les officines du palais. «Il sortira une vérité judiciaire de cette affaire qui, pour moi, reste une affaire de droit commun, loin des conjectures qui visent à la requalifier comme une affaire politique» a-t-il martelé dans le journal de Youssou Ndour. 

Et le lapsus révélateur de Serigne Bass qui a déclaré au dernier jour du procès qu’«à la Chambre d'accusation, trois magistrats du siège et d'autres magistrats dont l'un fait partie des juges de Khalifa Sall ont tous été convaincus comme lui du sérieux de dossier du maire de Dakar» est venu conforter le caractère conspirationniste de ce procès hautement politique. 

Le procureur et l’AJE, bourreaux de Khalifa Sall

Ainsi la politique a plané tout au long de ce procès même si l’Agent judiciaire de l’Etat (AJE), le procureur de la République, les avocats et le juge Lamotte ont soutenu l’inverse. D’ailleurs la somme de 6 milliards 800 millions demandée par l’AJE comme réparation de préjudices morale et matérielle que la Ville de Dakar atteste de la volonté manifeste de l’exécutif de bloquer toute participation à la prochaine présidentielle. Demander à un prévenu presque 7 milliards alors qu’il n’est pas en mesure de payer une caution de 1,8 milliard, c’est lui poser la guillotine sur le cou pour l’assassiner politiquement. C’est dans la même veine que s’inscrivent la peine carcérale (7 ans) et l’amende demandées (5 milliards 490 millions) par le procureur. Et voilà que le chemin est balisé pour le juge Lamotte qui pourrait infliger une peine d’inéligibilité à Khalifa Sall assortie d’une amende de l’ordre de 3 milliards.

Les partisans et défenseurs du maire pessimistes

A dire vrai, plusieurs partisans du maire de Dakar et observateurs de la vie politique ne se bercent guère d'illusions sur la prochaine sentence condamnatoire. Pour eux, la cause semblerait déjà entendue. Un homme probe et propre va être injustement condamné car l'arbitraire est érigé en règle au Sénégal quand il s’agit régler des comptes politiques. La multiplicité des chefs d’accusation comparable à une auberge espagnole apporte une fois de plus la preuve que, dans cette affaire, c’est l’homme politique qui intéresse plus que les faits qui lui sont reprochés. Sinon comment comprendre que les prédécesseurs de Khalifa Sall à la mairie de Dakar qui ont usé voire abusé des fonds politiques n’eussent jamais été l’objet de poursuites judiciaires ?

«Notre justice a été aveugle, sourde et très étourdie. Mon client est victime d’un plan politique de liquidation visant à freiner ses ambitions politiques. Ainsi, tout ce cirque a été déroulé pour empêcher un citoyen d’exercer convenablement ses droits», déplorait Me Clédor Ciré Ly, la nuit du 7 mars 2017 où Khalifa Sall venait d’être inculpé et placé sous mandat de dépôt par le doyen des juges Samba Sall. «Les plaidoiries les plus éloquentes échouent sous le mur  d’un dossier partisan» avait conclu pessimiste Me Ly. Ainsi, en dépit des assurances du juge Lamotte (qui a pris part à cette fameuse réunion dont parle Pape Alé Niang) sur la sentence juste qui sera donné le 30 mars, il appert que Khalifa n’échappera pas à une peine d’inéligibilité même l’on souhaite se tromper d’analyse.

Pour nombre d’observateurs, la Justice au Sénégal n’est plus qu’une fiction, l’institution ne brillant guère par son indépendance. Ce qui compromet l’Etat de droit. Avec ce procès, on ne rend pas la justice, on rend un service à un compétiteur frileux (Macky Sall) pour empêcher un autre compétiteur ambitieux (Khalifa Sall) de lui barrer la route à la prochaine présidentielle. C’est ce qui explique cette double interrogation du député-maire de Dakar dans la déclaration écrite à l’issue du procès : «Devrais-je aller en prison uniquement parce que le Président de la république du Sénégal le veut ? Devrais-je être déchu de mon droit d’être candidat parce que Macky Sall ne veut pas que Khalifa Ababacar Sall devienne son adversaire en 2019 ?» La réponse à ces questions sera tributaire de la sentence du juge Lamotte le 30 mars prochain.  

L’Essentiel