Abou Abel Thiam, responsable APR, sur les Locales : «Il y a eu des erreurs manifestes de casting»

POLITIQUE
Lundi 31 Janvier 2022

Il parle rarement. Mais il sort du bois dans des moments importants comme ce lendemain de scrutin où la majorité a été malmenée. Mais Abou Abel Thiam refuse de parler de défaite, même s’il admet qu’il faut «prendre au sérieux» les scores de l’opposition. D’abord, pour lui, le «bon déroulement» du scrutin, est «une gifle retentissante à la face des adeptes du chaos». Le responsable de l’Apr estime, par ailleurs, que la non structuration de leur parti lui a fait perdre des localités. Ou encore, admet-il, il y a eu quelques «erreurs manifestes de choix politiques contestables du Président Macky Sall».


Quelle lecture faites-vous des résultats des élections locales ?
 
C’est d’abord une lecture de citoyen fier de son peuple, de son histoire, de la maturité démocratique de notre pays. Je félicite tous les vainqueurs, du pouvoir d’abord, de l’opposition ensuite et j’encourage les vaincus. Le déroulement du scrutin et son dénouement constituent, aussi, une gifle retentissante à la face des tenants des thèses de fraudes électorales, les adeptes du chaos. Ceux qui, à ce jour, parlaient de fraudes en 2019, sont ceux-là qui se préparaient à proclamer leurs propres et faux résultats s’ils avaient perdu leurs localités. Ils s’apprêtaient à appeler à la «résistance», pousser dans les rues les crédules à leurs thèses, installer la violence qui allait encore faire des victimes. Il n’y a pas de démocratie sans démocrates. Quand ils perdent, ils s’en prennent à l’administration, au gouvernement, à la presse… Quand ils perdent tout est chaos : Quand ils gagnent, tout est ok. Voilà la nouvelle opposition. Lorsqu’ils ont des démêlées judiciaires du fait de leur comportement ou acte personnel, c’est toujours de la manipulation, jamais de leur responsabilité individuelle. Leur conception de la démocratie, c’est que leur intérêt personnel fait loi !
 
Que dites-vous de l’Apr et ses nombreux candidats ?
 
L’Apr, mon parti, navire amiral de la coalition Benno bokk yaakaar, a pâti de sa non-structuration, laquelle nous a fait perdre électoralement des localités qui sont pourtant politiquement toujours favorables au pouvoir. Compte tenu du contexte, ces élections se sont déroulées comme les primaires que l’Apr n’a jamais eu à organiser. Trop de responsables qui se tracent une carrière politique se sont dits que c’est l’occasion ou jamais de se peser, d’où les nombreuses listes parallèles qui ont atteint un nombre jamais connu par un parti au pouvoir.

La sortie du Président Macky Sall sur le sujet n’a point aidé, constituant même un adjuvant pour la démultiplication de ces listes parallèles. Résultats des courses -sans jeu de mots- : notre coalition a perdu, en zones urbaines, je souligne, beaucoup de localités où les listes parallèles se sont neutralisées au profit de celle de l’opposition. Ce qui n’enlève en rien au mérite de cette opposition qui a su engranger suffisamment de suffrages dans ces cas-là, pour gagner dans ces conditions. Il ne faut pas occulter, toujours au chapitre des éléments d’analyse, l’impact des réseaux sociaux. Les opinions, pour une grande partie, sont façonnées maintenant par les éditoriaux à 280 caractères, si ce ne sont des raccourcis et approximations à longueur de posts sur Facebook. Dans un pays où des gens peuvent croire Kounkandé capable de se faire obéir de l’océan, ou gober l’existence de riz en plastique, un pays où des personnes peuvent se faire tuer parce qu’accusés d’être des rétrécisseurs de sexe, les choses les plus improbables trouvent crédit auprès d’esprits manipulés et rendus poreux à toutes sortes d’histoires. Lorsque cette manipulation se fait dans un contexte de difficultés sociales, dans des zones urbaines en proie aux affres du Covid et des restrictions que son combat commande, tout ce qui relève ou personnalise le pouvoir devient un ennemi à combattre.

Ainsi a-t-on vu des citoyens s’en prendre aux forces de l’ordre chargées de faire respecter les restrictions faites pour protéger leur santé ! Et c’est dans ce contexte encore que la manipulation des esprits aidant, la gestion maladroite, notamment par les forces de l’ordre, d’un fait divers banal opposant un habitué d’un lupanar à une jeune femme a tourné à une grande opération de marketing politique en faveur de cet individu. Tout ceci mis bout à bout, en plus d’erreurs manifestes de casting, de choix politiques contestables par endroits du Président Macky Sall, a fait que notre coalition a échoué à conquérir des bastions qui n’étaient pas dans notre escarcelle, comme Dakar et Ziguinchor. Mais la bonne appréciation par la majorité de nos concitoyens des réalisations du Président Sall, son coefficient personnel et les efforts de nos candidats ont permis, en dépit de tout cela, de préserver notre majorité, d’engranger autant de suffrages. La bonne analyse, c’est de se dire qu’en dépit de tout cela, l’opposition emporte, ou reste avec moins d’un cinquième des suffrages. Cela ne voulant pas dire, pour autant, qu’il ne faille pas prendre au sérieux les résultats de l’opposition.
 
 
Le Président Macky Sall ne minimise-t-il pas cette défaite en s’appuyant sur les autres collectivités locales ?
 
De quelle défaite parlez-vous ? C’est surréaliste d’entendre certaines choses. Qu’on me dise que nous aurions souhaité gagner Dakar et Ziguinchor, c’est une lapalissade, tellement c’est évident ! En revanche, parler de défaite globale, c’est faire injure à la démocratie et mépris aux populations des terroirs. Convenons que dans une élection, tous les suffrages se valent, et que la finalité est d’avoir plus de voix que son adversaire. Ce postulat une fois admis, quelle que soit l’unité de comptage, Benno est très largement majoritaire : Cinq fois plus de circonscriptions, suffrages globaux d’une écrasante majorité… Ces Locales auraient été un référendum, des Législatives ou une Présidentielle, les résultats donnent une faible minorité à l’opposition. Si l’on demandait aujourd’hui aux deux camps d’échanger leurs résultats, Bby refuserait ! Certes, il faut le sou ligner, l’opposition garde des circonscriptions importantes, notamment la capitale. Mais ce serait faire preuve de mépris pour les populations majoritaires des terroirs que de parler de victoire de l’opposition ou de défaite de Bby. Il ne faut pas se laisser dominer par le prisme déformant et grossissant de l’environnement urbain. L’histoire politique du Sénégal a toujours été faite de caractère décisif des terroirs dans les scrutins électoraux. Certes la capitale fait 25 % de la population, mais aucun vote dakarois ne peut valoir quatre suffrages ruraux.
 
 

Alors quel est le message sorti des urnes ? N’est-ce pas un rejet du régi me comme en 2009 ?
 
Il faut se méfier des comparaisons et des conclusions hâtives. Macky Sall n’est pas Abdoulaye Wade, il a fait des réalisations beaucoup plus importantes que lui, les opposants actuels ne sont pas Macky Sall, les contextes sont différents, et les élections locales n’ont pas la même réalité que les Législatives, encore moins que la Présidentielle. Le message est que la très grande majorité de nos concitoyens apprécie favorablement l’action du Président Macky Sall à la tête du pays. Et qu’il est encouragé à poursuivre son action, malgré les difficultés qui sont celles de tous les pays pauvres, particulièrement ces deux dernières années, surtout en milieu urbain, en raison des effets du contexte sanitaire.
 
Le questionnement sur le troisième mandat a-t-il joué ?
 
Cela voudrait-il, alors, dire que la majorité des Sénégalais y a répondu favorablement ?
 
Comment comprenez-vous la défaite de Benno à Thiès, avec l’arrivée d’Idrissa Seck ?
 
Mon sentiment, sur ce point, est qu’il faut éviter de désorienter l’électeur. Certains choix sont difficilement explicables. En politique, les choix étonnants sont rarement payants.
 
Et le débat sur la criminalisation de l’homosexualité ?
 
Là aussi j’ai l’impression de nager dans l’irrationnel. A entendre les gens sur ce débat, on se croirait dans un pays où l’Etat serait laxiste dans la lutte contre l’homosexualité. Aucun dirigeant ou chef d’Etat ne s’est dressé avec autant de fermeté contre l’homosexualité que le Président Macky Sall. Rappelez-vous, sa réponse pertinente, ferme, courageuse, devant son hôte Barack Oba ma, à ce propos. Pour lui dire que nos lois relèvent de notre souveraineté, nous ne sommes à la remor que d’aucun pays, et que nous n’entendons pas dépénaliser l’homosexualité et toutes les pratiques contre-nature.
 
La vague Yewwi va-t-elle se poursuivre aux Législatives ?
 
Je ne sais pas si c’est en référence au Covid ou à la vague qui tue des Sénégalais comme en mars 2021 ? Pour répondre à votre question, je n’en sais rien, pour le moment. Je ne le souhaite pas en tout cas. Si les résultats des Législatives épousaient la cartographie sortie des urnes lors du scrutin des Locales, nous serions preneurs. En attendant, j’invite les nouvelles autorités municipales, à leur tête le nouveau maire élu Barthélémy Dias, à se retrousser les manches pour s’occuper de l’occupation anarchique de l’espace public dakarois, les trottoirs, la circulation et les marchés. Et notre pays a besoin d’une franche collaboration entre autorités municipales et gouvernementales pour plus de rigueur et de fermeté, afin de freiner cette anarchie que l’on constate partout.
 
 
Entretien réalisé par le journal BES BI